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Société - Disparition

Melhem Chaoul, l’ex-soixante-huitard qui a rêvé d’un Liban moderne

Sociologue, professeur à l’Université libanaise, l’académicien était de ces érudits qui impressionnaient, sans jamais faire étalage de son savoir.

Melhem Chaoul, l’ex-soixante-huitard qui a rêvé d’un Liban moderne

le professeur Melhem Chaoul, lors de la signature de l’un de ses ouvrages. Photo fournie par la famille

Le sociologue, penseur et professeur universitaire Melhem Chaoul a été emporté par une crise cardiaque, jeudi, à l’âge de 72 ans. Épuisé physiquement par un Covid long venu se greffer sur des problèmes chroniques de santé, il était encore éprouvé par la mort de ses deux amis les plus proches, en juillet 2021, les intellectuels Farès Sassine et Jabbour Douaihy. Ce « cèdre du Liban », comme on le qualifiait parfois, était de ces érudits qui impressionnaient, sans jamais faire étalage de son savoir, disent unanimement ses proches. De ces académiciens férus de livres qui pouvaient se targuer à la fois d’une excellente connaissance du terrain. « Malgré ses connaissances encyclopédiques, il était doté de l’humilité qui fait les grands hommes », salue Ayman Mhanna, directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir. « C’était l’un des plus grands chercheurs libanais. Il a réussi à s’imposer grâce à ses compétences et s’est distingué par ses prises de position courageuses à l’UL », dit de lui le professeur et historien Issam Khalifé.

Qu’il s’agisse de sociologie, d’histoire ou de politique, Melhem Chaoul s’est toujours efforcé de mettre sa réflexion au service de la société libanaise et de sa ville, Zahlé. Une réflexion libérale, indépendante, portée par les valeurs de diversité et ce rêve d’un Liban souverain capable d’opérer sa transition vers la modernité. Favorable à une décentralisation pour renforcer l’unité entre Libanais, mais pas au fédéralisme, vu les désaccords sur la politique étrangère, la stratégie de défense et la politique économique, il s’est aussi penché sur la guerre civile libanaise et sur les concepts de zaama (leadership) et de féodalisme. Avec, au passage, une étude approfondie de la loi électorale. « Il lui suffisait d’avoir sa bibliothèque et son fauteuil. Il était alors capable d’élaborer des théories, seul, durant des heures », révèle son épouse, Nada Nassar Chaoul. « Son éthique irréprochable, sa capacité de se distancier des événements avec humour, et sa bienveillance » achèveront d’asseoir « sa réputation d’homme exceptionnel ». « Un homme d’une grande générosité, rassurant et fin psychologue, qui inspirait le respect et qu’on ne pouvait pas ne pas aimer », résume-t-elle. « C’est une grande perte pour le pays auquel il a tant donné, et pour toute une génération d’étudiants », confie son ami d’enfance et voisin zahliote, le journaliste Nagib Khazzaka.

La désillusion de ceux qui ne croient pas au changement radical

Melhem Chaoul s’en est allé sur la pointe des pieds, empreint de cette désillusion propre à ceux qui ne croient pas au changement radical. « Il est resté attaché aux structures sociales traditionnelles. Déçu de voir la thaoura infiltrée par des éléments à la solde du pouvoir, il n’a pas pu la considérer comme une révolution », note son épouse, en référence au soulèvement populaire qui a éclaté au Liban en octobre 2019 sur fond de crise socio-économique profonde.

L’universitaire était de ces personnalités au passé militant. Gauchisant, soixante-huitard animé par un désir de révolte, à ses débuts, il a milité pour la cause palestinienne, aux côtés de Nagib Khazzaka. « En revanche, nous n’avons jamais accepté l’armement palestinien qui était un obstacle à la souveraineté libanaise et à l’État », précise ce dernier. La guerre civile marque la fin de cette ère. « Melhem se lance dans la recherche universitaire et la politique », se souvient-il.

C’est en France et plus particulièrement à l’École pratique des hautes études en sciences sociales que le sociologue entreprend un doctorat sur la sécurité dans le golfe Arabo-Persique. « Son approche ethno-stratégique dans le Golfe, basée sur un voyage dans toute la région, même en Iran, lui a valu un article dans Le Nouvel Observateur », se souvient son épouse. Sollicité en France, Melhem Chaoul choisit de rentrer au Liban pour y enseigner la sociologie à l’Université libanaise. En même temps, il collabore avec l’Université de Lyon, l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et le Centre jordanien du Moyen-Orient. Il prend alors la tête de l’Institut des sciences sociales de l’UL et de l’Association libanaise de sociologie, et multiplie les publications, parmi lesquelles une étude sur la zaama nationale en 2012, une autre sur la citoyenneté dans une société non homogène en 2011, et une troisième, en 2007, sur le point de vue chrétien sur la guerre entre Israël et le Hezbollah de 2006…

Pas d’État stable sans respect de la démocratie

Sur le plan politique, avec ses amis proches, il développe un cercle d’intellectuels passionnés. Nagib Khazzaka, Farès Sassine, Jabbour Douaihy, Antoine Courban, Sélim Mouzannar, Michael Young, Ahmad Beydoun en font partie, parmi tant d’autres. « Adepte du changement dans la continuité, Melhem n’a eu de cesse de combattre les idéologies qui ont fait sombrer le Liban dans le désastre », rappelle Nagib Khazzaka. C’est dans ce cadre qu’il s’engage en 2007 dans le Renouveau démocratique de Nassib Lahoud, contre la politique prosyrienne au Liban. « Membre du Comité exécutif du parti où nous nous sommes côtoyés, il aborde la politique avec noblesse, adoptant des positions basées sur des valeurs et une profonde connaissance de l’histoire et de la sociologie, plutôt que sur des positions populistes », observe Ayman Mhanna. Rapidement, Melhem Chaoul et le Renouveau démocratique prennent leurs distances avec le 14 Mars dont ils ne partagent ni les méthodes ni la structure politique. « Il croyait au monopole de la force par l’État, et à l’impossibilité de fonder un État stable sans respect des libertés et de la démocratie », se souvient encore M. Mhanna. La disparition prématurée de Nassib Lahoud est un coup dur pour le penseur. « Il ne s’en remettra jamais », regrette Mme Chaoul. Il laisse derrière lui, outre son épouse Nada, ses deux fils, Joseph et Raja, et un petit-fils, Raphaël.

Le sociologue, penseur et professeur universitaire Melhem Chaoul a été emporté par une crise cardiaque, jeudi, à l’âge de 72 ans. Épuisé physiquement par un Covid long venu se greffer sur des problèmes chroniques de santé, il était encore éprouvé par la mort de ses deux amis les plus proches, en juillet 2021, les intellectuels Farès Sassine et Jabbour Douaihy. Ce « cèdre du...

commentaires (3)

Une grande perte pour le Liban.

Maalouf Josiane

09 h 39, le 29 mai 2022

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Commentaires (3)

  • Une grande perte pour le Liban.

    Maalouf Josiane

    09 h 39, le 29 mai 2022

  • C'etait un "hinnete homme", chercheur academique talentueux mais aussi avant tout un homme de coeur. Il manquera au Liban.

    Michel Trad

    09 h 50, le 28 mai 2022

  • Les gens biens et integres nous quittent! Les octagenaires corrompus, destructeurs et vendus ont longue vie et continuent a detruire notre pays et notre societe.....Un jour, un jour!!!!

    Sabri

    05 h 07, le 28 mai 2022

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