Critiques littéraires Coup de cœur

Trouver l’avenir en arpentant le passé

Le texte de Diane Mazloum est plutôt l’occasion d’un retour sur soi, d’une interrogation sur son identité éclatée, d’un regard différent sur son lien au Liban.

Trouver l’avenir en arpentant le passé

D.R.

Ce livre, bien qu’intitulé Le Musée national, ne vaut pas par ce qu’il nous ferait découvrir d’inédit, de différent, de singulier sur le musée, ses objets ou son histoire. À l’instar d’autres ouvrages de la même collection qui s’intitule « Ma nuit au musée » et à laquelle ont participé de grandes voix du monde des lettres, telles que Leila Slimani ou Jakuta Alikavazovic – qui a remporté le Prix Médicis essai pour sa version d’une nuit passée au Louvre –, le texte de Diane Mazloum est plutôt l’occasion d’un retour sur soi, d’une interrogation sur son identité éclatée, d’un regard différent sur son lien au Liban, son attachement profond autant que son détachement devenu nécessaire vis-à-vis de ce pays qui est en train de disparaître sous ses yeux.

Livrant là son ouvrage le plus personnel et le plus touchant, l’autrice revient sur son enfance et son adolescence passées à Rome où « seuls et déracinés », les parents et leurs deux filles ont « formé un pays à nous quatre », portant un nom de famille amputé de ses deux dernières lettres, par les parents qui liquidèrent ainsi « le sens littéral du nom originel signifiant opprimé, oppressé », et donnèrent à leurs filles « un nom abstrait, insipide, sans étymologie ni racine ». Et c’est bien de racines dont il est question ici, de leur dimension autant réelle qu’imaginaire, puisqu’« il n’y a pas un jour à Rome où le Liban n’a pas été présent par son absence ». Et si Rome a en commun avec Beyrouth son passé qui plonge très loin dans les premiers âges de l’humanité, grandir dans l’une ou l’autre des deux villes permettrait sans doute de mieux « mesurer que les pays meurent aussi ». C’est tardivement que Mazloum fait enfin l’expérience de la vie quotidienne au Liban, alors qu’elle s’engage dans des études à l’Université américaine de Beyrouth. La ville la fascine par sa pluralité, son énergie, sa capacité à faire coexister des extrêmes simplement juxtaposés et elle souhaite l’écrire pour la faire sienne. « Parce que j’étudiais en anglais, que je pensais en français, m’énervais en libanais, jurais en romanaccio (dialecte populaire de Rome), j’ai tenté de développer un nouveau langage, ma propre langue, une langue mixte », forcément hybride et ambivalente donc. Mais malgré tout, vient le moment du désenchantement, celui où elle prend conscience que son lien au Liban repose sur une représentation idéalisée de ce pays et tient sur des bases fragiles : « une langue que je ne maîtrisais pas, un pays où je n’étais pas née, son histoire que je ne connaissais pas ». Il lui semble que tout cela la prive de son « droit de parole ». « En manque d’appuis, sans repères, cette béance s’est vite transformée en carence, les trous en lacunes bien calibrées ». Le désenchantement devient source de mélancolie, elle se sent de plus en plus souvent étrangère, mais sans ailleurs auquel appartenir, condamnée à un « flottement identitaire » plus lourd à porter que celui de l’enfance. Son engagement dans l’écriture lui paraît être le moyen le plus sûr de capter, fixer, posséder un peu Beyrouth, et elle écrira deux romans qui la choisissent pour cadre, profondément reconnaissante à cette ville grâce à laquelle elle trouve enfin une identité qui lui sied, celle d’écrivaine. C’est par la fiction donc que Diane Mazloum devient libanaise, et c’est un Liban sinon fictif, du moins reconstruit par son imaginaire qu’elle donne à voir.

Sans doute la terrible tragédie de l’explosion du port de Beyrouth, qu’elle vit dans sa chair et dont elle et son fils sont miraculeusement épargnés, rebat-elle à nouveau les cartes. Elle plonge dans « le morcellement et la détresse » et espère que sa nuit au musée lui apportera des réponses. Ou du moins un peu de baume. Car « comment appartient-on à un pays qui n’existe plus » ?

Le parcours s’achève sur le constat qu’alors qu’il n’y a plus personne pour parier sur l’avenir, le seul pari possible est celui du passé : « croire en notre passé pour inventer l’avenir ».


Le Musée national de Diane Mazloum, Stock, 2021, 170 p.

Ce livre, bien qu’intitulé Le Musée national, ne vaut pas par ce qu’il nous ferait découvrir d’inédit, de différent, de singulier sur le musée, ses objets ou son histoire. À l’instar d’autres ouvrages de la même collection qui s’intitule « Ma nuit au musée » et à laquelle ont participé de grandes voix du monde des lettres, telles que Leila Slimani ou Jakuta...

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