C’est le grand enjeu des semaines à venir. Les deux candidats qualifiés en vue du second tour le savent : le pari est risqué, l’issue imprévisible. Pour Emmanuel Macron (27,85 %) comme pour Marine Le Pen (23,15 %), les chances de victoire seront en grande partie déterminées par leur capacité à rallier les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Arrivé en troisième position (21,95 % des suffrages), le chef de file de La France insoumise (LFI) n’est pas parvenu à doubler sa rivale d’extrême droite. Mais en améliorant son score par rapport à 2017 (environ 2,5 points de pourcentage de plus), il s’impose comme l’arbitre du jeu. Pour l’heure, le président sortant bénéficierait d’une fine majorité en sa faveur, avec 51 % des suffrages contre 49 % pour sa rivale, selon un sondage IFOP/Fiducial réalisé dimanche soir pour TFI et LCI. Depuis le soir du 1er tour, chacun peaufine sa stratégie, préparant le repositionnement de la campagne – virage social pour Marine Le Pen, réactivation du front républicain pour Emmanuel Macron. Mais face à la volatilité d’une frange de l’électorat et aux risques d’abstention, tout est encore possible.
Certes, les appels à la constitution d’un front républicain se sont multipliés depuis dimanche soir, alors que Yannick Jadot (EELV – 4,6 %), Fabien Roussel (PCF – 2,3 %) et Anne Hidalgo (PS – 1,8 %) ont appelé leurs électeurs à faire barrage à l’extrême droite en votant pour le président sortant. De même, Valérie Pécresse (LR, 4,8 %) a déclaré qu’elle voterait « en conscience » pour Emmanuel Macron, tout en demandant à ses électeurs de « peser dans les jours qui viennent avec gravité les conséquences potentiellement désastreuses (...) de tout choix différent (du sien) ». Le président sortant pourrait cependant compter sur un report de voix plus limité que celui de Marine Le Pen alors que l’ensemble des partis d’extrême droite a totalisé 32,53 %.
Réserves de voix
Avec des réserves de voix importantes, la candidate d’extrême droite espère de son côté rallier la majorité des électeurs des deux autres candidats d’extrême droite, Éric Zemmour (7 %) et Nicolas Dupont-Aignan (2 %), qui ont tous deux appelé à glisser son bulletin dans l’urne. Ainsi que rafler des voix parmi les abstentionnistes et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Avec 26 % d’électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes, ce premier tour a été marqué par une abstention record depuis 2002. « En termes de sociologie politique, le profil des abstentionnistes est en fait très proche du profil de l’électorat de Marine Le Pen, observe Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et membre du centre de recherches politiques de Sciences Po, le Cevipof. On trouve beaucoup de gens issus de catégories populaires, peu diplômés, assez précaires. »
Du côté des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, passer d’un extrême à l’autre n’est pas exclu. Sans compter le fait que ce dernier a probablement obtenu des votes des sympathisants de la gauche et de l’écologie par « utilité », davantage que par conviction. Selon le sondage précité, Marine Le Pen obtiendrait au second tour 23 % des votes exprimés pour le candidat Insoumis au premier tour (contre 33 % pour Emmanuel Macron).
En se revendiquant depuis 2017 au-dessus des clivages gauche-droite, le président sortant pourrait voir son pari se retourner contre lui. Après avoir pioché pendant cinq ans dans des thématiques de droite comme de gauche, ce dernier a contribué à l’éclatement des lignes de fracture entre les partis traditionnels. « Emmanuel Macron n’a plus beaucoup d’interlocuteurs modérés. Une fois que la droite des Républicains a quasiment disparu, il n’y a en face de lui que la gauche radicale et la droite radicale », note Luc Rouban.
Digue républicaine
Car pour le président sortant, le principal enjeu en termes de réserve de voix se situe bel et bien du côté des électeurs ayant plébiscité l’extrême gauche. Durant les deux prochaines semaines, il s’agira pour lui de séduire les sympathisants de Jean-Luc Mélenchon. Avec notamment comme défi de ne pas compromettre son programme. Un exercice périlleux sachant que le chef du parti LFI n’a pas explicitement appelé à voter pour Emmanuel Macron. Depuis son QG parisien, il a averti à l’issue des résultats qu’« il ne faut pas donner une seule voix à Marine Le Pen ». Et de scander : « Nous savons pour qui nous ne voterons jamais. » La perspective est d’autant plus inquiétante pour le président sortant qui craint que la digue républicaine ne s’effondre face au nombre d’abstentionnistes et d’électeurs du premier tour qui se refuseraient à soutenir un président jugé élitiste et de droite. En outre, si l’enjeu pour Emmanuel Macron est, certes, de remporter la présidentielle, ce dernier espère également que l’écart avec sa rivale sera suffisamment important pour asseoir sa légitimité.
Un challenge supplémentaire alors que, selon plusieurs analystes, sa rivale aurait mené la campagne électorale la plus réussie de ce premier tour. Poursuivant sa stratégie, Marine Le Pen pourrait se réapproprier des thèmes sécuritaires chers à son parti, comme l’immigration et l’islamisme radical, sur lesquels Éric Zemmour avait surfé. Mais il est plus probable qu’elle continue d’axer sa campagne sur le pouvoir d’achat sans faire de fracas, histoire d’attirer les votes des abstentionnistes ou des électeurs de LFI issus des catégories populaires. Son credo est notamment de créer un front anti-Macron afin de ratisser large parmi les déçus du quinquennat, de droite à gauche. « Sa stratégie sera de se poser en synthèse de toutes les colères, forte de l’argument qu’elle est la candidate de la proximité, des problèmes quotidiens des Français. Tandis qu’Emmanuel Macron restera l’homme des élites, de la scène internationale, toujours un peu lointain », indique Luc Rouban.
Affirmant d’abord de manière délibérée son statut de président au-delà de la mêlée, puis occupé par la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron a assuré un service minimum pour sa campagne présidentielle. Le candidat de La République en marche s’est présenté officiellement le 3 mars dernier, un jour avant la date limite du dépôt des candidatures, et n’a tenu qu’un seul meeting à La Défense Arena, huit jours avant le premier tour du scrutin. Une stratégie qu’il a déjà commencé à infléchir, alors que son adversaire au second tour a mené une campagne de proximité avec 44 déplacements en France et dans les territoires d’outre-mer en moins de huit mois. Le président sortant s’est ainsi rendu hier dans les Hauts-de-France, où le Rassemblement national est arrivé largement en tête, et tiendra un grand meeting à Marseille samedi, dans le fief du député Insoumis.
Thèmes de gauche
Il s’agit non seulement de défendre son bilan, mais surtout de casser l’image d’un président distant de sa population et qui ne se préoccuperait guère des problèmes quotidiens. Dans un appel du pied aux électeurs de gauche, Emmanuel Macron s’est adressé dans son discours de dimanche soir à ceux qui « sont en colère face aux inégalités qui perdurent » et qui s’inquiètent des « désordres écologiques », thème largement relégué au second plan de sa campagne jusque-là. « Il faudra faire attention à ne pas développer un programme trop libéral, notamment concernant ses propositions de retarder l’âge de départ de la retraite à 65 ans et un nombre d’éléments qui sont vraiment de nature à bloquer certains électeurs de gauche », souligne Luc Rouban.
Paradoxalement, l’entre-deux-tours pourrait être ainsi dominé par des thèmes de gauche entre un président qui se dit du centre et sa rivale d’extrême droite qui a réussi sa stratégie de dédiabolisation en trouvant plus à droite qu’elle. Le coût de la vie, l’écologie ou encore le féminisme pourraient ainsi être évoqués par les candidats en plus de la question européenne et des enjeux internationaux, lors du débat de l’entre-deux-tours prévu le 20 avril. Un exercice qui avait laissé en 2017 un souvenir traumatique aux partisans de Marine Le Pen et qui avait probablement contribué à nourrir l’abstention entre les deux tours des précédentes élections présidentielles. Attendue au tournant, la finaliste du premier tour arrivera cette fois probablement mieux préparée et combative pour focaliser l’attention sur le bilan du quinquennat.
Quelle que soit l’issue du vote présidentiel, la bataille se poursuivra lors du scrutin législatif en juin, qui se présente souvent comme le troisième tour. Si le président actuel est réélu, « le véritable enjeu pour lui sera la création d’une majorité présidentielle qui s’ouvrira notamment à tous les anciens députés sortants ou à des candidats venants des Républicains, qui lui donneraient recours à un personnel politique de notables, très bien implantés sur le plan territorial », suggère Luc Rouban. Un mandat Le Pen pourrait quant à lui être caractérisé par une cohabitation hostile et une instabilité politique du fait d’un manque de majorité à l’Assemblée nationale.
Ça ne risque pas d’arriver au Liban, il n’y a pas d’électeurs insoumis…
13 h 00, le 12 avril 2022