Les partis traditionnels de droite et de gauche étaient déjà à l'agonie depuis des années en France, le premier tour de la présidentielle dimanche a enfoncé un nouveau clou dans leur cercueil.
Selon les premières estimations, la candidate socialiste Anne Hidalgo obtient un résultat humiliant, sans précédent, autour de 2%, voire moins, et celle des Républicains (droite) Valérie Pécresse signe une défaite historique à environ 5% des voix. A l'annonce des résultats, la salle parisienne où se tenait la soirée socialiste s'est figée dans le silence. Mme Hidalgo a appelé à voter le 24 avril pour Emmanuel Macron afin de contrer l'extrême droite, tout en promettant que le combat continuerait "pour faire obstacles aux projets injustes" portés selon elle par le président sortant. "Nous travaillerons au rassemblement de la gauche dispersée qui n'a pas su s'unir (...) pour retisser en profondeur les liens (...) avec les classes populaires", a-t-elle déclaré.
La gauche a perdu les classes populaires
La chute de la maison socialiste, minée par ses divisions idéologiques et ses batailles d'égo, s'est accélérée sous le mandat du président François Hollande (2012-2017), qui a dû renoncer à se représenter pour un second mandat en 2017
Dynamité par un candidat pourtant venu de ses rangs, Emmanuel Macron, le Parti socialiste avait enregistré au premier tour un échec historique, son candidat Benoît Hamon ne récoltant que 6,36% des voix. La maire de Paris, 62 ans, enregistre aujourd'hui une défaite encore plus cuisante. Elle n'a jamais réussi à décoller et sa campagne a été marquée par des propositions qualifiées d'irréalistes ou démagogiques, comme le doublement du salaire des enseignants, et des tergiversations sur l'organisation d'une primaire pour rassembler la gauche.
Pour le politologue et ancien élu de droite Dominique Reynié, qui situe le début du déclin du PS au milieu des années 80, "la gauche n'a jamais pu retrouver ses classes populaires, parce que au lieu de faire une espèce de révolution, ils sont restés un parti des élus et fonctionnaires. Ce n'est pas illégitime mais ce n'est pas suffisant", a-t-il estimé.
Droite écartelée
A droite, le parti d'inspiration gaulliste LR (Les Républicains) n'a jamais vraiment remonté la pente après la défaite de son chef et président sortant Nicolas Sarkozy en 2012, et s'est longtemps déchiré pour trouver un leader. La présidente de la région Ile-de-France (région parisienne) Valérie Pécresse a un temps créé l'illusion en montant haut dans les sondages après sa désignation suite à une primaire militante. Mais elle finit dans le décor, avec entre 4,5% et 5,1% des voix selon les estimations, un score sans précédent pour sa formation.
"C'est une déception personnelle et collective", a reconnu Valérie Pécresse, qui, rappelant "(son) engagement contre les extrêmes", a aussitôt annoncé qu'elle voterait "en conscience" pour Emmanuel Macron au deuxième tour. Mme Pécresse n'a pas réussi à imposer un discours clair entre la radicalisation d'une partie de LR, et l'affirmation d'une droite républicaine étanche aux idées d'extrême droite.
"Le problème aujourd'hui de la droite est qu'elle est écartelée entre un électorat modéré passé chez Macron, qui ne se retrouve pas dans sa dérive autoritaire, voire xénophobe, et un électorat vieillissant très conservateur et tenté par le discours d'extrême droite", explique le politologue Rémy Lefebvre dans la revue Grand Continent datée du 7 avril. "Il arrive pour la droite ce qui s'est passé pour le PS" en 2017, coincé entre Macron et le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon. "Maintenant, la droite est dans un casse-noix entre Macron et l'extrême droite".
L'irruption sur la scène politique de l'ancien polémiste ultra radical Eric Zemmour, et son ambition avouée d'effacer les frontières entre droite et extrême droite, ont porté leurs fruits. Dès l'automne, un des poids lourds de LR, Eric Ciotti, affirmait qu'il préférerait voter pour M. Zemmour que pour M. Macron, mettant à bas le déjà fragile "cordon immunitaire" prôné par les leaders historiques de la droite, dont l'ancien président Jacques Chirac, décédé en 2019.
Question de survie
Socialistes comme Républicains vont désormais avoir les yeux tournés vers les élections législatives de juin, qui s'annoncent comme un enjeu quasi-vital.
Le parti socialiste dispose actuellement de 25 députés sur 577. "Ca va vraiment poser des questions de survie, parce qu'en France les dotations publiques qui financent l'essentiel des partis politiques sont calculées en fonction du résultat des législatives et du nombre des députés. Si il s'ajoute au très mauvais score de la présidentielle une débâcle à l'élection législative (...), la question de la survie du parti dans sa forme actuelle va se poser", estime Frédéric Sawicki, professeur en Sciences Politiques à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
"Nous assistons à une recomposition de la vie politique française avec cette nouvelle bipolarité entre les centristes et l'extrême droite. Et avec les partis traditionnels de gouvernement, le PS et les Républicains, qui disposent ensemble de moins de 10% des voix. Cela en dit long sur l'évolution politique de la France", a déclaré à l'AFP le politologue Gaspard Estrada.
Le PS a renié les valeurs de la gauche et le LR celles de la droite et n'attirent donc plus personne. Ne restent plus à gauche, comme à droite, que les extrêmes, et, au milieu, un Macron qui, malgré son bilan catastrophique, va rafler la mise.
08 h 04, le 12 avril 2022