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Moyen-Orient - Éclairage

Abou Dhabi et Damas franchissent un pas supplémentaire dans la normalisation

Le président syrien Bachar el-Assad s’est rendu vendredi aux Émirats arabes unis où il a rencontré le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed. C’est sa première visite dans un pays arabe depuis le déclenchement en Syrie du soulèvement populaire il y a onze ans.

Abou Dhabi et Damas franchissent un pas supplémentaire dans la normalisation

Le président syrien avec le dirigeant de facto des EAU, cheikh Mohammad ben Zayed al-Nahyane. Photo AFP

Le processus était déjà en cours depuis plusieurs années mais la visite vendredi aux Émirats arabes unis du président syrien Bachar el-Assad marque une étape supplémentaire dans la normalisation des relations entre les deux pays. Il s’agit du premier voyage officiel de M. Assad dans un pays arabe depuis le déclenchement il y a onze ans du soulèvement syrien, réprimé dans le sang avant de se muer en une guerre civile aux implications régionales. Les agences de presse officielles émiratie et syrienne ont rapporté que le président syrien s’est entretenu à la fois avec cheikh Mohammad ben Zayed, prince héritier d’Abou Dhabi et véritable homme fort des EAU, et cheikh Mohammad ben Rached al-Maktoum, vice-président et Premier ministre du pays et dirigeant de l’émirat de Dubaï. Au menu des discussions : l’expansion des relations bilatérales entre Damas et Abou Dhabi.

Pour les Émirats arabes unis, cette rencontre permet d’affirmer le revirement opéré depuis 2018, avec la réouverture de leur mission diplomatique dans la capitale syrienne. Dans les faits toutefois, leur position tout au long du conflit syrien s’est, dès ses balbutiements, illustrée par une profonde ambiguïté, appuyant officiellement l’opposition syrienne d’une part ; maintenant, et de manière plus tacite différents types de liens avec le régime Assad de l’autre. À titre d’exemple, plusieurs hommes d’affaires syriens dont Rami Makhlouf – cousin germain du président – ou encore Samer Foz ont pu poursuivre sans trop de difficultés leurs affaires aux EAU, et ce malgré les sanctions internationales qui pesaient sur eux. Même si, comme le reste des pays de la Ligue arabe, Abou Dhabi s’était résolu fin 2011 à exclure Damas des rangs de l’organisation. Et même si, comme les autres membres du Conseil de coopération du Golfe, il avait décidé de retirer en février 2012 son ambassadeur de Syrie. En mars 2021, un appel téléphonique entre Bachar el-Assad et MBZ a souligné l’accélération du rapprochement en cours, avant que les deux hommes ne décident de passer à la vitesse supérieure, avec la visite à Damas en novembre dernier d’une délégation de haut rang conduite par le ministre émirati des Affaires étrangères, cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyane.

Tester Joe Biden

Le timing de la rencontre de vendredi est éminemment symbolique. Il coïncide peu ou prou avec l’anniversaire du soulèvement syrien et souligne de ce fait la volonté des EAU de tourner définitivement la page des printemps arabes. Cette visite assoit également le rôle d’Abou Dhabi comme l’une des principales forces contre-révolutionnaires du Moyen-Orient : premier pays arabe à avoir normalisé ses relations avec Israël depuis 2020 et État du Golfe le plus résolu à réintégrer Damas dans le concert régional. Si la démarche émiratie n’est pas surprenante, elle malmène néanmoins le narratif dominant à Washington, ce dernier ayant activement encouragé l’établissement de liens entre l’État hébreu et Abou Dhabi et qui, en revanche, se montre extrêmement défavorable à une approche similaire vis-à-vis de Damas. Interrogé vendredi à ce sujet, le porte-parole du département d’État américain Ned Price a d’ailleurs déclaré que Washington était «  profondément déçu et troublé par cette tentative apparente de légitimer Bachar el-Assad, qui reste responsable de la mort et de la souffrance d’innombrables Syriens, du déplacement de plus de la moitié de la population syrienne d’avant-guerre, de la détention arbitraire et de la disparition de plus de 150 000 hommes, femmes et enfants ». Entre alliés émirati et américain, l’atmosphère semble si glaciale que le secrétaire d’État US Antony Blinken a annulé le même jour sa tournée prévue pour la fin du mois dans le Golfe, aux EAU et en Arabie Saoudite.

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« Au-delà de la condamnation, l’administration Biden ne semble pas disposée à faire grand-chose pour réagir à la décision émiratie, car aucune mesure américaine antérieure n’a été prise contre les précédentes mesures de normalisation jordaniennes et émiraties avec le régime d’Assad, contrairement à Donald Trump qui a été énergique pour geler le rapprochement du Golfe », décrypte Joe Macaron, chercheur sur les relations internationales au Moyen-Orient. En octobre dernier, Abdallah II de Jordanie s’était entretenu au téléphone pour la première fois en dix ans avec Bachar el-Assad. « Comme d’autres dirigeants régionaux, les Émiratis testent l’administration Biden », résume M. Macaron.

Autonomie face à Washington

La visite de Bachar el-Assad aux EAU s’inscrit dans un contexte de tensions entre Abou Dhabi d’une part et Washington de l’autre, sur fond d’invasion russe de l’Ukraine et de négociations indirectes sur le nucléaire iranien entre les États-Unis et la République islamique. Depuis l’arrivée de Joe Biden au pouvoir en janvier 2021, les leaders de la région jouent la carte de la désescalade. Ankara et Le Caire ont repris langue ; l’Égypte et le Qatar ont rétabli leurs relations diplomatiques ; Israël et les Émirats ont intensifié leur coopération ; Riyad et Téhéran ont entamé des pourparlers en vue d’une normalisation de leurs relations. Or, les EAU tout comme l’Arabie saoudite ne souhaitent ni que la guerre en Ukraine réduise à néant leurs efforts, ni que Moscou se retrouve trop isolé sur la scène diplomatique. D’abord parce qu’ils perçoivent la Russie – principal allié, avec Téhéran, du régime syrien – comme l’une des seules présences régionales capables de canaliser l’influence iranienne, leur véritable bête noire. Ensuite parce qu’ils craignent qu’un affaiblissement de Moscou ne renforce Washington et sape en conséquence leur aspiration à une plus grande diversité d’alliances et à moins de dépendance vis-à-vis des États-Unis. À plus forte raison que la Maison-Blanche leur apparaît comme un partenaire peu fiable, soucieux avant tout de parvenir au plus vite à un accord avec Téhéran, et qu’ils lui reprochent de ne pas les avoir assez soutenus après les tirs de missiles balistiques le 24 janvier dernier contre leurs territoires respectifs. Une attaque revendiquée par les rebelles houthis – soutenus par la République islamique – avec lesquels ils sont en guerre depuis l’intervention militaire de la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen en mars 2015.

«  Les Émirats arabes unis ont réagi à l’invasion de l’Ukraine par la Russie avec neutralité. Ils ont pris soin de répondre à la guerre de telle sorte à ne pas contrarier le Kremlin. Cela n’a pas plu à Washington qui cherche à unir ses alliés et partenaires contre la Russie en réponse à l’invasion de l’Ukraine  », explique Giorgio Cafiero, PDG du Gulf State Analytics. «  Les EAU sont à présent désireux de démontrer leur autonomie par rapport à Washington  », poursuit-il. Selon Joe Macaron, plusieurs éléments semblent confirmer la volonté émiratie de se rapprocher de Moscou, alors que les relations avec Washington traversent une période pour le moins houleuse. Il en va ainsi « du récent refus d’augmenter la production de pétrole », mentionne-t-il, au grand dam des États-Unis qui interdisent désormais l’importation de l’or noir et du gaz russes dans le cadre des sanctions imposées à Moscou. «  Les Émirats arabes unis mènent leur propre politique étrangère et semblent moins intéressés à apaiser Washington en raison du manque de confiance et des priorités conflictuelles avec l’administration Biden », indique Joe Macaron. Pour Abou Dhabi, les enjeux d’un rétablissement de ses liens avec la Syrie sont à la fois stratégiques et économiques. « Les EAU envisagent de manière pratique leur acceptation de la légitimité du régime Assad. Pour les officiels à Abou Dhabi, il s’agit de se résoudre à la réalité  », commente M. Cafiero. «  Mais dans le même temps, Abou Dhabi est intéressé par le fait d’affaiblir le plus possible les partis et les mouvements liés aux Frères musulmans à travers le Moyen-Orient. Or, c’est aussi l’un des objectifs du régime syrien. Il y a donc également des synergies idéologiques en jeu  », ajoute-t-il.

Deux inconnues

Les EAU espèrent également se tailler une place de choix dans la reconstruction de la Syrie et bénéficier d’opportunités d’investissement, d’autant qu’Abou Dhabi est le principal partenaire commercial de Damas. Les rencontres entre hommes d’affaires des deux pays se sont multipliées et en octobre 2021, un accord a même été conclu afin de « renforcer la coopération économique et de développer de nouveaux secteurs ».

Depuis plusieurs années, les Émirats arabes unis tentent ainsi de profiter du fait que les deux alliés principaux du régime Assad – à savoir Moscou et Téhéran – sont eux-mêmes en proie à de multiples défis économiques en interne, lui laissant plus de marge de manœuvre dans une Syrie exsangue, en proie à une grave crise économique aggravée par les sanctions internationales et par les répercussions de l’effondrement financier au Liban. Dans de telles circonstances, l’activisme émirati a de quoi ravir Damas qui doit de surcroît composer avec les effets de l’invasion russe en Ukraine. Selon le Programme alimentaire mondial (WFP) – organisme de l’ONU – 12,4 millions de personnes sont ainsi touchées en Syrie par l’insécurité alimentaire. Une situation qui pourrait se dégrader encore plus dans le cadre de la guerre en Ukraine, alors que Damas dépend fortement de Moscou pour son approvisionnement en blé. « La Syrie a importé quelque 1,5 million de tonnes de blé l’an dernier, en grande partie de Russie » , a souligné au cours du mois de février la publication économique, The Syria Report.Mais en dépit de ses ambitions, l’engagement d’Abou Dhabi reste limité. Le hic  ? La loi César votée aux États-Unis et entrée en vigueur en juin 2020, qui impose une pression maximale au régime syrien en ciblant quatre domaines clés : l’aéronautique militaire, les hydrocarbures, les finances et la construction. En conséquence, toute personne ou entreprise, qu’elle soit syrienne ou étrangère, qui collabore avec le pouvoir à Damas peut être soumise à ces mesures ultra restrictives. «  Jusqu’à présent, la loi César a empêché les Émirats d’investir massivement en Syrie. Mais ces derniers pensent à la Syrie sur le long terme et aimeraient à un moment donné récolter une partie des récompenses économiques qui iraient vers des pays qui ont été prêts à prendre des risques et à tendre la main à Assad quand les puissances occidentales étaient totalement opposées à cet agenda  », explique Giorgio Cafiero. Autre inconnue : la réaction de l’Arabie saoudite, allié d’Abou Dhabi avec qui elle partage nombre de priorités. Si Riyad n’a toujours pas sauté le pas de la normalisation, le royaume a accordé une large couverture médiatique à la visite de Bachar el-Assad aux EAU vendredi. «   Riyad fait ses propres calculs avec Abou Dhabi et l’administration Biden. Il a été ouvert mais prudent dans son rapprochement public avec Assad. Toutefois, si les relations américano-saoudiennes venaient à se détériorer davantage et que Riyad percevait Poutine comme capable de gérer l’invasion de l’Ukraine, les dirigeants saoudiens pourraient accroître leur engagement envers Damas », avance Joe Macaron. « La position saoudienne pourrait rester calibrée dans un proche avenir, jusqu’à ce qu’il y ait plus de clarté concernant le champ de bataille en Ukraine. Cependant, la normalisation des relations entre les dirigeants saoudiens et le régime Assad n’est qu’une question de temps. »

Le processus était déjà en cours depuis plusieurs années mais la visite vendredi aux Émirats arabes unis du président syrien Bachar el-Assad marque une étape supplémentaire dans la normalisation des relations entre les deux pays. Il s’agit du premier voyage officiel de M. Assad dans un pays arabe depuis le déclenchement il y a onze ans du soulèvement syrien, réprimé dans le sang...

commentaires (1)

Je ne comprends pas, c’est la même analyse légèrement remaniée de "Timing, contexte, enjeux : pourquoi les Émirats ont accueilli Assad" d’hier. C’est à la fin de l’été dernier que la Syrie débutait son retour sur la scène arabe, avec des négociations sur l’énergie avec le Liban, Jordanie. etc. Quand le tuteur russe est occupé par une autre guerre plus meurtrière, Assad prend le large. A quand alors le retour au sein de la Ligue arabe, et autres négociations avec l’ennemi qui partage la maîtrise du ciel syrien avec son protecteur russe. S’il a "gagné" sa guerre contre les révolutionnaires syriens, l’histoire ne dit pas comment des millions de réfugiés syriens pourront un jour rejoindre leur pays tant qu’il est encore au pouvoir.

Nabil

11 h 48, le 21 mars 2022

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Commentaires (1)

  • Je ne comprends pas, c’est la même analyse légèrement remaniée de "Timing, contexte, enjeux : pourquoi les Émirats ont accueilli Assad" d’hier. C’est à la fin de l’été dernier que la Syrie débutait son retour sur la scène arabe, avec des négociations sur l’énergie avec le Liban, Jordanie. etc. Quand le tuteur russe est occupé par une autre guerre plus meurtrière, Assad prend le large. A quand alors le retour au sein de la Ligue arabe, et autres négociations avec l’ennemi qui partage la maîtrise du ciel syrien avec son protecteur russe. S’il a "gagné" sa guerre contre les révolutionnaires syriens, l’histoire ne dit pas comment des millions de réfugiés syriens pourront un jour rejoindre leur pays tant qu’il est encore au pouvoir.

    Nabil

    11 h 48, le 21 mars 2022

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