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Culture - Roman

Les variations littéraires de Fouad el-Etr sur la montée du désir

Récemment récompensé par le Prix France-Liban 2021 de l’Association des écrivains de langue française, le dernier ouvrage de Fouad el-Etr, « En mémoire d’une saison de pluie » (Gallimard, 2021), interpelle par son hermétisme et son maniement singulier des genres littéraires, des topoï et des mots.

Les variations littéraires de Fouad el-Etr sur la montée du désir

Fouad el-Etr. Photo Fransceca Mantovani/Gallimard

« J’assiste à mon rêve comme à un film

Les séquences défilent à toute vitesse

La montagne ressemble à un poème qui se détache

À chaque image de moi

Je reconnais parfois ma vie »

Le lecteur familier des narrations qui le guident dans un espace-temps bien défini se verra rapidement déconcerté dès les premières lignes du texte de celui qui a fondé la revue de poésie La Délirante en 1967. Au fil des mots de l’ouvrage En mémoire d’une saison de pluie (Gallimard, 2021) de Fouad el-Etr, nous avons la sensation de découvrir un cabinet de curiosités génériques, qui flirtent entre la poésie, le poème en prose et les stances, au sein d’un récit cadre énigmatique qui se déplace inopinément dans l’espace et dans le temps : d’un pensionnat de jeunes filles pas si rangées que ça, à une forêt enchantée, ou à une maison de famille où se retrouvent trois adolescents, dont les explorations sensorielles se déploient dans une syntaxe ample, juteuse et rythmée. La rythmique soutenue des mots fait résonner un lexique érudit, souvent précieux, aux références mythologiques et musicales récurrentes. « Le mouvement hélicoïdal de L’Offrande suivait, s’il ne la devinait, la courbe asymptotique de mon cœur et du sien. (...) Nous étions devenus le canon l’un de l’autre, le diapason, la règle, le miroir sans fin nous précédant à tour de rôle (…). Les lignes chromatiques montaient, comme des caresses remontaient, en moi redescendaient sans qu’il me fût possible, ou même que je le voulusse, peut-être, m’en défendre. »

Fouad el-Etr Francesca Mantovani (c) Editions Gallimard

Le motif de la musique rejoint celui de la sexualité, de la nature, mais aussi de l’écriture. « La pluie scandait les syllabes solubles, des mots sonores comme des sources ruisselaient dans les phrases, les autres luisaient comme des pépites. »

L’écrivain – primé pour cet opus par le Prix France-Liban 2021 de l’Association des écrivains de langue française qui lui a remis le prix hier soir lors d’une cérémonie à l’ambassade du Liban à Paris – propose une écriture expérimentale qui transgresse les repères de la narration classique, et les effets de brouillage sont constants entre le rêve et la réalité, le souvenir et les sensations, l’amour et l’amitié, le fantasme et la sexualité… Le schéma narratif met en scène deux jeunes hommes attirés par la même fille, autour de cet axe se dessinent des variations sur la montée du désir, sa construction mentale et la suavité de ses effets. La structure musclée des phrases accompagne un flux de sensations qui résonne dans un paysage qui accompagne l’élan des amants, dont la rencontre charnelle est célébrée de manière suggestive et originale. Le texte entier pourrait être lu comme la métaphore d’une temporalité sexuelle dilatée.

Différents thèmes rappellent le genre du conte : les personnages stéréotypés (l’ami, le poète, la fille), le motif du bois, de la maison dans la forêt...Les quelques passages dialogués font écho au genre théâtral, puisqu’ils ne s’intègrent pas au texte narratif. Après un extrait du journal intime de la jeune fille, le narrateur se livre à certaines confidences énigmatiques sur le statut de son écrit, dont la forme littéraire est en mutation constante.

« Comme un géant très lent il gravissait le temps… »

En mémoire d’une saison de pluie intrigue par sa forme et par son interrogation constante du langage, réceptacle d’un amour et d’une jeunesse perdus. La lecture favorise une certaine sensibilité à la prosodie, laissant résonner des hexasyllabes, des octosyllabes ou des alexandrins qui rythment le texte. « Mont de Vénus ! Mont de Vénus ! Combien de fois l’ai-je menée, comme un berger ses brebis blondes, au son des flûtes sur tes pentes. » En contrepoint à cet épanchement pastoral, une approche plus idéaliste du désir amoureux, qui semble se confondre avec la quête esthétique de l’artiste. « Amoureux du désir autant que de nous deux, nous n’imaginions pas qu’il pût être assouvi par autre chose que lui-même, ni ranimé que par ses braises ; et nous étions les seules vestales, femelle et mâle, mâle et femelle, intempestives de ce feu. »

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Fouad el-Etr, Prix France-Liban 2021

La trajectoire initiatique des deux amants dans la forêt les amène à rencontrer un cèdre, qui introduit une dimension mystique et panthéiste. « Comme un géant très lent il gravissait le temps de tout son bois musclé en répétant ses fourches et de ses bras nombreux, noueux, tordus ensemble comme une divinité tendrement hiératique, il mendiait aux paliers des étages du ciel, il s’humiliait par grandeur…(…) Priez pour nous, arbre mystique ! Dans le ciel gris, ni bleu, ni noir, la brume dénouait sa barbe aux ailes d’hyacinthe. Mais le verbe restait en nous comme un saphir. »

Fouad el-Etr propose à son lecteur de l’accompagner dans un parcours onirique, enchanteur et cruel, mais aussi littéraire et ambitieux, dont il dévoile le caractère éphémère à la fin de son texte. « J’ai longtemps poursuivi, dans les sables mouvants de mon cerveau, des rêves interrompus, la trace des encres diluées avec lesquelles ils furent écrits, dans l’espoir qu’en reviendraient un jour des bribes en pointillé, peut-être, dans la futaie nombreuse des années, avant de disparaître de nouveau dans les plis et replis de la pluie ou l’air dru d’un matin grêle, et de rejoindre pour un temps l’ossuaire des songes. »

« J’assiste à mon rêve comme à un filmLes séquences défilent à toute vitesseLa montagne ressemble à un poème qui se détacheÀ chaque image de moiJe reconnais parfois ma vie » Le lecteur familier des narrations qui le guident dans un espace-temps bien défini se verra rapidement déconcerté dès les premières lignes du texte de celui qui a fondé la revue de poésie La...

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