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Monde - Éclairage

Comment le Moyen-Orient voit la crise ukrainienne

Dans la région, les déclarations sur la situation à Kiev sont rares. Un silence stratégique qui met en lumière une volonté de demeurer neutre entre Washington et Moscou.

Comment le Moyen-Orient voit la crise ukrainienne

Des militants de la république populaire autoproclamée de Donetsk se massent à l’entrée d’un centre de mobilisation militaire dans la ville de Donetsk, contrôlée par les séparatistes ukrainiens, le 23 février 2022. Alexander Ermochenko/Reuters

Face aux développements sur le terrain ukrainien, en tout cas avant le lancement de l'opération militaire, jeudi matin, contre l'Ukraine, c’est un certain attentisme qui régnait au Moyen-Orient. À part la Turquie, qui a vendu des drones à l’Ukraine et a jugé « inacceptable » la décision russe de reconnaître l’indépendance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk lundi soir, les pays de la région ont jusqu'à présent fait preuve d’un silence frappant. Au lendemain de la signature par Vladimir Poutine des accords d’« amitié et d’entraide » avec les républiques autoproclamées, le quotidien saoudien Asharq al-Awsat, basé à Londres, annonce que « Poutine ouvre la voie au démembrement de l’Ukraine ». Plus tranchant, le journal al-Akhbar, proche du Hezbollah libanais, titre « La Russie à l’Occident : ici commence la guerre », signalant qu’une confrontation armée est désormais inévitable. Alors que tous les regards sont tournés vers l’Ukraine, la couverture de l’actualité du Moyen-Orient reste néanmoins prédominante. La visite du président Abdel Fattah al-Sissi au Koweït occupe la une des journaux locaux ; les négociations sur le nucléaire font l’objet de nouvelles spéculations ; l’Arabie saoudite célèbre le Jour de la fondation du royaume – fête nationale instaurée le mois dernier ; et les médias du Golfe s’intéressent à la première visite du président iranien au Qatar, dans le cadre du sixième forum des pays exportateurs de gaz. Même les articles d’opinion, souvent utilisés dans la presse régionale comme vecteurs de diffusion d’une ligne officielle, sont rares sur le dossier ukrainien. Reflétant une tendance générale dans la région, le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et les négociations, Abdel Aziz Aluwaisheg, écrivait mardi dans les colonnes du média saoudien Arab News que « la dévastation causée par la guerre froide, dont les pays en développement ont le plus souffert, devrait leur apprendre à rester en dehors de celle-ci ».

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La présidence syrienne ayant, selon l’agence officielle syrienne SANA, eu l’idée de reconnaître les républiques autoproclamées d’Ukraine il y a deux mois de cela, Damas n’a pu que soutenir la décision du président russe, disant vouloir coopérer avec les deux entités séparatistes, tandis que les rebelles houthis du Yémen, soutenus par Téhéran, ont déjà emboîté le pas à Moscou. Le président syrien, Bachar el-Assad, doit son maintien au pouvoir à l’intervention russe qui lui a permis dès 2015 de regagner du terrain face aux groupes d’opposition et aux jihadistes qui menaçaient son régime. Si l’allégeance de Damas est claire, son allié iranien, plus prudent, a appelé à la « retenue », tout en regrettant les provocations de l’OTAN et des États-Unis en Ukraine. Alors que Téhéran espère signer un accord de coopération stratégique sur 20 ans avec la Russie, il s’agit aussi pour la République islamique de mener à terme les négociations en cours sur le nucléaire pour revenir à l’accord de 2015. Des négociations auxquelles participent le Kremlin et la Maison-Blanche. Par ailleurs, la remise en question des frontières est un sujet sensible pour le régime, notamment au vu des revendications autonomistes de la minorité kurde qui rendent difficile un soutien à l’entreprise russe.

Éviter de prendre parti

À l’instar de l’Iran, la plupart des pays de la région « ont jusque-là cherché à éviter de prendre parti dans le conflit qui se déroule actuellement en Ukraine, dans l’espoir de rester dans les bonnes grâces à la fois de Washington et de Moscou », estime Randa Slim, directrice du Programme Conflict Resolution and Track II Dialogues au Middle East Institute. Ces dernières années, les alliés traditionnels des Américains ont cherché à développer leur réseau d’alliances, y compris avec la Russie, en réponse au désengagement américain de la région entamé sous la présidence de Barack Obama. « Alors que la majorité des gouvernements de la région ont des relations bien plus fortes avec les États-Unis, la Russie est devenue un partenaire commercial et militaire de plus en plus important », précise Kelly Petillo, coordinatrice MENA pour le European Council on Foreign Relations. L’Égypte compte notamment sur les Russes pour maintenir une certaine stabilité dans la Libye voisine, où les mercenaires du groupe Wagner seraient présents sur tout le territoire. Membre de l’OPEP+, le Kremlin dispute à l’Arabie saoudite la place de premier producteur mondial de brut. Tous deux se retrouvent ainsi dans l’obligation de coordonner leur niveau de production pour pouvoir influencer les prix du marché. Et Riyad ne semble pas enclin à rompre l’accord tacite existant avec Moscou en faveur de Washington, sachant que le prix du baril risque d’atteindre rapidement les 100 dollars dans le contexte actuel de crise, permettant de renflouer les caisses après les mauvaises années liées à la pandémie.

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Au regard du prix des hydrocarbures et de l’influence russe dans la région, « les développements en Ukraine pourraient conduire à la fin de la dépriorisation actuelle du Moyen-Orient dans les priorités stratégiques des États-Unis », prévient Randa Slim. Washington pourrait ainsi se voir contraint de faire des concessions pour obtenir un soutien de ses alliés, via par exemple la réhabilitation par Joe Biden du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane. À son arrivée à la Maison-Blanche, le président américain avait rendu public un rapport des services secrets désignant le jeune dirigeant comme ayant approuvé l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018 au consulat de son pays à Istanbul et refuse depuis d’être en contact direct avec lui, s’adressant uniquement à son père, le roi Salmane. Aux Qataris, les États-Unis ont déjà attribué le statut d’allié majeur non membre de l’OTAN suite à la visite de l’émir Tamim ben Hamad al-Thani à Washington le 31 janvier dernier, durant laquelle il s’est dit prêt à aider autant que possible les pays européens en cas de rupture de leur approvisionnement en gaz par la Russie – qui compte pour près de 40 % de la consommation de l’Union européenne. Caractérisé par son appétence à jouer les médiateurs internationaux, l’émir qatari restera probablement neutre face au conflit lui-même.

Un œil attentif

« Les pays du Moyen-Orient observent très attentivement la position américaine sur l’Ukraine, afin de savoir jusqu’où l’administration Biden est prête à aller pour défendre un allié dans une région confrontée à une sérieuse menace militaire », souligne Kelly Petillo. En 2013, une première ligne rouge américaine avait été franchie par le régime syrien avec l’attaque chimique sur la Ghouta, sans donner lieu à la réponse pourtant prévue par l’administration Barack Obama. À la grande déception de son allié stratégique saoudien, Donald Trump n’avait ensuite pas activé le parapluie sécuritaire américain en septembre 2019, lorsque les rebelles houthis – qui se battent au Yémen contre la coalition menée par Riyad en appui aux forces progouvernementales – ont revendiqué l’attaque contre des installations d’Aramco qui a perturbé la production saoudienne de pétrole pendant plusieurs semaines. Si Joe Biden a dénoncé mardi soir le « début d’une invasion » suite à l’envoi de troupes russes censées « maintenir la paix » dans la région du Donbass, les représailles de Washington et de ses alliés se limitent jusqu’à présent à des sanctions.

Les répercussions économiques d’un conflit pourraient néanmoins voir les États-Unis reprendre un rôle plus important dans la région. Moscou et Kiev étant deux des plus gros exportateurs de blé, « une nouvelle hausse du prix des denrées alimentaires serait particulièrement alarmante, surtout quand on pense au rôle que la sécurité alimentaire a joué dans les soulèvements arabes », rappelle Kelly Petillo. Premier importateur de blé au monde, le régime du Caire, qui subventionne fortement le pain, pourrait souffrir politiquement d’une flambée des prix ou d’un problème d’approvisionnement, sachant que Moscou est son principal fournisseur, Kiev le second. Déjà sous le coup de crises économiques, le Liban et la Libye font également partie des principaux clients de l’Ukraine dans la région, tandis que les programmes d’aide alimentaire pour le Yémen et la Syrie dépendent de ce producteur.

Face aux développements sur le terrain ukrainien, en tout cas avant le lancement de l'opération militaire, jeudi matin, contre l'Ukraine, c’est un certain attentisme qui régnait au Moyen-Orient. À part la Turquie, qui a vendu des drones à l’Ukraine et a jugé « inacceptable » la décision russe de reconnaître l’indépendance des républiques populaires de Donetsk et de...

commentaires (2)

Quand une vache tombe les bouchers se précipitent pour abréger ses souffrances. Pauvres ukarainiens on ne peut que vous compatir à vos souffrances et prier pour que le moins de victimes civiles tombent à cause de la folie d’un dictateur à qui on a laissé croire qu’il pouvait faire ce qu’il voulait pendant des décennies et qui se croit invincible à présent. Ce sont toujours les innocents qui paient la folie des dictateurs qu’on rend fort par une certaine lâcheté et pour des intérêts financiers jusqu’au point de non retour. Il fallait agir en amont et empêcher que les blindés et les militaires encerclent l’Ukraine, mais ils ont préféré la diplomatie avec un dictateur qui ignore même le sens du mot et ne connaît que les rapports de force, force qui a toujours manqué à tous les occidentaux. La preuve en mille le désastre au Liban qu’ils rechignent à régler alors qu’ils ont toutes les cartes en mains, mais préfèrent gaspiller du temps jusqu’à ce qu’ils perdent le contrôle et nous déclarer que c’est un problème libano-libanais alors qu’ils savent que c’est loin d’être le cas.

Sissi zayyat

13 h 10, le 24 février 2022

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Commentaires (2)

  • Quand une vache tombe les bouchers se précipitent pour abréger ses souffrances. Pauvres ukarainiens on ne peut que vous compatir à vos souffrances et prier pour que le moins de victimes civiles tombent à cause de la folie d’un dictateur à qui on a laissé croire qu’il pouvait faire ce qu’il voulait pendant des décennies et qui se croit invincible à présent. Ce sont toujours les innocents qui paient la folie des dictateurs qu’on rend fort par une certaine lâcheté et pour des intérêts financiers jusqu’au point de non retour. Il fallait agir en amont et empêcher que les blindés et les militaires encerclent l’Ukraine, mais ils ont préféré la diplomatie avec un dictateur qui ignore même le sens du mot et ne connaît que les rapports de force, force qui a toujours manqué à tous les occidentaux. La preuve en mille le désastre au Liban qu’ils rechignent à régler alors qu’ils ont toutes les cartes en mains, mais préfèrent gaspiller du temps jusqu’à ce qu’ils perdent le contrôle et nous déclarer que c’est un problème libano-libanais alors qu’ils savent que c’est loin d’être le cas.

    Sissi zayyat

    13 h 10, le 24 février 2022

  • Plutôt écrire, (Comment le "monde arabe" voit la crise ukrainienne). Dans le Moyen-Orient, un pays que je ne nommerai pas, surveille de près l'évolution de la guerre en Ukraine. Intérêts de vente de matériels de guerre de haute technologie, une population russophone, et finalement relations avec l'Ukraine...

    Nabil

    11 h 47, le 24 février 2022

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