Critiques littéraires Roman

De la chute de Byzance aux périples sans fin de ses exilés

De la chute de Byzance aux périples sans fin de ses exilés

© Benjamin Constant, 1876

Les Exilés de Byzance de Catherine Hermary-Vielle, Albin Michel, 2021, 470 p.

À 78 ans, Catherine Hermary-Vielle, prix Femina en 1981 pour son premier opus Le Grand Vizir de la nuit inspiré des contes des Mille et une nuits, après une carrière bien assise et plébiscitée par le public pour ses nombreux romans historiques, ne déroge pas à sa règle d’inspiration de fouiller les pages et les recoins des jours enfouis. Elle publie aujourd’hui dans la même veine Les Exilés de Byzance dans lequel elle interroge les strates du passé.

Les exilés : un thème qui a nourri bien de plumes et de chansons. D’abord le célèbre et merveilleux tango-habanera Youkali de Kurt Weil, parolier et compositeur pour l’œuvre de Bertolt Brecht, hymne d’espoir à tous les cœurs et âmes brisés, ainsi que le roman Les Exilés du Caucase d’Alexandre Najjar, tragique épopée de Cheikh Mansour et de ses descendants techerkesses chassés du Caucase. Sans oublier de mentionner, dans le sillage du thème des routes de l’exode, le chapelet d’écrits d’Éric Maria Remarque, Paul Acker, Théodore Banville, Abnousse Shalmani, Viviane Forrester… et tant d’auteur.trice.s, liste guère exhaustive tant l’exil et l’émigration hantent les esprits et malmènent les populations devant des envahisseurs sans foi ni loi, de tous les temps…

Sous la plume alerte, l’esprit vif, l’imaginaire fécond, la documentation minutieuse de Catherine Hermary-Vieille le sujet prend une ampleur spectaculaire. Et son roman, loin d’être un simple témoignage sur la chute apocalyptique de l’Empire byzantin ou Empire romain d’Orient, est aussi une vision d’espoir pour les rescapés de cette destruction massive d’un règne à la longévité et la puissance exceptionnelles.

Dès les premières lignes de l’ouvrage, touffu et tumultueux, parfois même abusant des digressions, d’une sève fourmillante de rebondissements imprévisibles, la toile de fond est dessinée d’emblée : Byzance, 1453. La soldatesque turque, avec une incroyable agressivité, envahit Constantinople la capitale. Sous les assauts répétés et impitoyables des armées et des janissaires menés par le sultan Mehmet II, entre bruit, fureur et soif de sang, la ville finit par tomber en miettes et en lambeaux, sous les coups de boutoir d’une canonnade assourdissante et sanglante –  d’ailleurs une des premières inventions et armes militaires perfectionnées pour l’époque…

Deux frères, les Dionous, sont séparés durant les attaques et la rage des batailles. Nicolas et sa femme s’enfuient vers la Russie tandis que Constantin rejoint Alep. Ils se font toutefois le serment de se retrouver ou du moins que leurs descendants se retrouvent un jour… Ainsi le chemin de l’exil, par-delà la lutte acharnée pour la survie et l’effort de ne jamais perdre ses racines, prend toutes les couleurs de l’espoir, du désespoir. Avec la volonté tenace et au prix de combats acharnés, de triompher de toute odieuse adversité…

L’autrice de L’Infidèle déploie son talent de conteuse rompue au métier en narrant les aventures, les mésaventures, les pérégrinations et les périples de ses personnages jetés sur les durs et douloureux chemins de l’exode… L’occasion pour la romancière de dresser une fresque somptueuse et étourdissante qui traverse plusieurs siècles où une famille est prise dans les turbulences de l’Histoire.

De la Russie au manteau d’hermine sous la neige à Damas au soleil de plomb, la vie reprend ses droits. De Moscou à Saint-Pétersbourg, le prestige des icônes pour le frère qui a élu domicile en terre des tsars et un commerce fructueux pour celui qui ira de la Syrie en Palestine en passant par Beyrouth et le Caire.

Passionnante et palpitante histoire qui survole les remous du Proche-Orient ainsi que les chamboulements opérés par Lénine, Staline, Nasser tandis que les communautés dans toutes les régions s’entretuent… Tourbillon d’événements et de personnages qui atténuent les émotions et font perdre un peu le lecteur dans ce dédale d’horizons multiples entre Occident et Orient ainsi que le passage parfois éclair d’un personnage à un autre ainsi que les liens qui les unissent. Cela part à une vitesse de croisière sans jamais approfondir les paysages, les lieux et les caractères des actants…

Et, ironie du destin, quand la révolte et les révolutions grondent et déracinent les familles à peine déjà installées et stabilisées depuis quelques générations, fuir, une fois de plus dans la débâcle, est la nouvelle alternative.

Et c’est Istanbul, comme si Constantinople n’a jamais été rayée de la carte après cette immémoriale nuit noire des vaincus, qui ouvre les bras de son Bosphore, les ruelles de son « kapale tcharché » (marché fermé), les joyaux de son Topkapi et l’aérien passage de son pont Galata… Retrouvailles où autrefois les deux frères s’étaient engouffrés au sein d’une frêle embarcation cahotante, comme la plupart des exilés du monde aujourd’hui…

Livre intense et d’actualité car l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement. Un livre peu tentaculaire et diffus, écrit avec finesse et exaltation pour parler de la mouvance, de l’instabilité, de la fragilité et de la vulnérabilité de la condition humaine.

Catherine Hermary-Vieille navigue dans toutes les eaux, aussi bien calmes que chargées d’orages, avec un sens du romanesque entre faits historiques et aléas du destin. En brassant autant de changements et de transformations sociétales, l’autrice livre aussi une leçon de sagesse, une sorte de cri d’alarme. Dans cette houleuse traversée humaine, nul n’est à l’abri des intempéries car la certitude et la tranquillité ne sont jamais un fait.

Les Exilés de Byzance de Catherine Hermary-Vielle, Albin Michel, 2021, 470 p.À 78 ans, Catherine Hermary-Vielle, prix Femina en 1981 pour son premier opus Le Grand Vizir de la nuit inspiré des contes des Mille et une nuits, après une carrière bien assise et plébiscitée par le public pour ses nombreux romans historiques, ne déroge pas à sa règle d’inspiration de fouiller les pages et les recoins des jours enfouis. Elle publie aujourd’hui dans la même veine Les Exilés de Byzance dans lequel elle interroge les strates du passé.Les exilés : un thème qui a nourri bien de plumes et de chansons. D’abord le célèbre et merveilleux tango-habanera Youkali de Kurt Weil, parolier et compositeur pour l’œuvre de Bertolt Brecht, hymne d’espoir à tous les cœurs et âmes brisés, ainsi que le roman Les Exilés du Caucase...
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