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Culture - Portrait

La puissance de Hala Omran au service de Médée

Sur les planches du théâtre al-Madina, Sulayman el-Bassam offre à l’actrice syrienne multiprimée le rôle d’une émigrée arabe instruite en profond désaccord avec le monde qui l’entoure, dans une libre adaptation du mythe grec de Médée.

La puissance de Hala Omran au service de Médée

Hala Omran, actrice syrienne exilée à Paris, primée aux Journées théâtrales de Carthage et au Festival du Caire pour son interprétation dans la pièce « I, Medea » de Suleyman el-Bassam. Photo Zaldi

Née à Damas en 1971, l’année ou Hafez el-Assad arrive au pouvoir, Hala Omran évolue depuis toute jeune dans un milieu d’artistes et d’intellectuels : « J’ai eu une enfance privilégiée et heureuse, se souvient l’actrice, mon père était poète et journaliste (Mohammad Omran, considéré comme l’un des premiers à avoir écrit de la poésie moderne, NDLR). Il écrivait sur la mort et sur les mouvements du monde arabe des années 50 à 70, militait alors pour le parti Baas, qu’il quitte au début des années 70, et la politique avec. Et ma mère chantait. La maison familiale baignait dans la poésie et le chant. » Hala Omran évoque ces années de bonheur pendant lesquelles des poètes et écrivains arabes et du monde entier ont franchi au moins une fois le seuil de la demeure des Omran. Enfant, elle rêvait de devenir actrice. Élève brillante, elle se dirige toutefois par hasard, comme pour se rassurer, vers une licence en pharmacie, sans omettre de flirter avec le théâtre en parallèle, pour finalement abandonner la science et poursuivre ses études à l’Institut supérieur des arts dramatiques de Damas. L’émotion était définitivement au théâtre. « Depuis petite, j’écrivais des poèmes et je pleurais sans raison, et bien qu’étant une personne gaie et positive, loin de la tragédie, j’abordais le sujet de la mort, c’était une forme mélancolie et de nostalgie mélangées. Mon professeur de théâtre me le reprochait souvent. Alors que mes amies s’évertuaient à faire ressortir leurs émotions, moi je cherchais à les canaliser. Je lisais beaucoup et voyageait à travers mes sens dans un monde libre. » Et si, pour elle, le monde du théâtre était envoûtant, Hala Omran ne s’est jamais posé la question sur les limites à ne pas franchir. Elle se savait prête à s’essayer à tous les exercices.

Hala Omran, actrice syrienne exilée à Paris, primée aux Journées théâtrales de Carthage et au Festival du Caire pour son interprétation dans la pièce « I, Medea » de Suleyman el-Bassam. Photo Zaldi

Le renoncement de Nina ?

Nina, dans La Mouette de Tchekhov, sera son premier rôle. Archétype du personnage tchekhovien et de l’actrice engagée, « c’est une de mes figures préférées dans le monde du théâtre, » confie Hala Omran. C’est l’histoire d’une jeune fille qui veut devenir actrice. Elle poursuit son rêve mais aussi souvent des illusions. Abîmée par la vie elle n’est en mesure de prendre possession de celle-ci que sur scène. Hala Omran devient Nina « l’actrice éblouissante ». « Elle m’a longtemps accompagnée dans ma carrière, confie Omra. Elle a souffert dans sa chair et ses rêves, les a déchirés, s’est blessée devant cette gloire et ce succès. Au renoncement, elle a préféré l’enfoncement. Chez Tchekhov, le monde s’écroule autour des personnages mais ils ne le perçoivent pas ou ne veulent pas l’admettre. Alors ils s’accrochent désespérément à leur quotidien, cherchant des repères désormais brouillés. »

À chaque fois que Hala Omran relisait La Mouette, elle pleurait. « Et face à cette activité lacrymogène récurrente, mon père s’inquiétait. “Si tu veux être une actrice, me disait-il, il faudra savoir te contrôler”. »

Et comme la tragédie commençait à souffler en coulisses dans son pays, Hala Omran est contrainte à l’exil tout comme sa sœur, la célèbre poète et journaliste Rasha Omran, aujourd’hui résidente en Égypte.

En 2011, Hala Omran quitte Damas et s’installe à Paris. Elle travaille en Italie, au Danemark, suit des stages de théâtre avec, entre autres, Ariane Mnouchkine, Eugenio Barba, Pascal Rambert, Christian Rist.

Ou la détermination de Chams et Médée ?

Hala Omran a également fait du cinéma. Dans La porte du soleil (Sélection officielle Cannes 2004) du cinéaste égyptien Yousry Nasrallah, inspiré du roman d’Élias Khoury, elle a incarné le rôle de Chams. Dans cette œuvre sur la mémoire palestinienne qui donne la parole aux réfugiés, à tous ces gens qui ont été interdits de parole, les femmes ont une part extrêmement importante et très diversifiée, ce qui participe grandement à son humanité. De par sa forte personnalité, Chams se rapproche de l’actrice qui l’interprète. « C’était une femme libre, rebelle et audacieuse avec des convictions très fortes, confie l’actrice, d’aucuns ont pensé que mon rôle était à la limite de l’indécence et de la pornographie et nombreuses sont les actrices arabes à avoir refusé le rôle. » Mais Hala Omran entretient un rapport très sain avec son corps. Elle est capable de camper le rôle d’une femme passionnée et libre ou de danser et chanter seins nus au théâtre, comme elle l’a fait dans May He Rise and Smell the Fragrance de Ali Chahrour, spectacle présenté en 2018 au Festival d’Avignon. La pornographie reste pour elle le mensonge, l’humiliation et l’oppression. « Le corps et la voix de l’acteur sont des outils, dit-elle, pour moi rien n’est tabou. Au théâtre tout est permis, tout est art ! »

Inspirée du texte grec Médée d’Euripide, la pièce du metteur en scène koweïtien Sulayman el-Bassam est présentée ce soir et demain au Madina. Primée aux Journées théâtrales de Carthage en 2021 (Prix du meilleur texte, prix de la meilleure scénographie et prix de la meilleure interprétation féminine), ainsi qu’au Festival du Caire (prix de la meilleure actrice), elle traite de questions humanitaires actuelles comme la migration, les conflits d’identité, le racisme... Hala Omran brille dans le rôle-titre auprès d’el-Bassam lui-même, avec la participation des musiciens libanais Abed Kobeissy et Ali Hout.

Pour incarner le rôle de Médée en actes et en chansons (chants de mécontentement et d’injures), Hala Omran convient de la difficulté de l’exercice théâtral proposé par le metteur en scène koweïtien Sulayman el-Bassam. « Cela requiert une forte présence sur scène et un contrôle de soi. Être dans l’instant, consciente du monde qui m’entoure, pour pouvoir le contrôler et maîtriser mes émotions. » Et d’ajouter : « Il faut être dans la précision pour que la violence des sentiments soit à portée du spectateur. Je canalise mes émotions pour arriver à les transmettre, comme un point infiniment petit mais atomique lorsqu’il explose. Pour interpréter Médée, j’ai appris à garder une distance entre moi et le personnage afin de me protéger et accomplir le transfert entre le public et moi. Contenir mes émotions et pratiquer une dissociation afin que la liberté du jeu puisse se déployer. » Cette volonté de puissance nietzschéenne que Hala Omran revendique est l’essence même de son jeu.L’actrice avoue n’avoir jamais eu de grandes ambitions mais a toujours fonctionné par instinct, à l’écoute de son cœur. Elle est aujourd’hui membre fondateur du groupe musical Rithmus (Poésie et chant) et une actrice heureuse qui croit dans une énergie cosmique qui la place parmi les actrices arabes les plus puissantes et les plus libres. Et le lien entre toutes ces femmes qu’elle a incarnées au théâtre ou sur grand écran ? Leur forte personnalité et la puissance de leur détermination. Quant à la figure féminine qu’elle préfère, c’est naturellement la femme rebelle !

I, Medea de Sulayman al-Bassam, au théâtre al-Madina.

Ce samedi 29 et demain dimanche 30 janvier, à 20h.

Billets chez Antoine Ticketing

Née à Damas en 1971, l’année ou Hafez el-Assad arrive au pouvoir, Hala Omran évolue depuis toute jeune dans un milieu d’artistes et d’intellectuels : « J’ai eu une enfance privilégiée et heureuse, se souvient l’actrice, mon père était poète et journaliste (Mohammad Omran, considéré comme l’un des premiers à avoir écrit de la poésie moderne, NDLR). Il écrivait...

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