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Idées - Commentaire

Nucléaire iranien : une bombe à retardement difficile à désamorcer

Nucléaire iranien : une bombe à retardement difficile à désamorcer

L’installation d’enrichissement atomique de la centrale de Natanz, à 300 kilomètres de Téhéran. Archives AFP

Tous les problèmes dans les affaires internationales n’ont pas de solutions que les parties concernées sont prêtes à poursuivre dans le temps et de la manière nécessaires pour réussir. Le problème du nucléaire iranien avait trouvé une solution via l’Accord de Vienne (JCPOA) de 2015. Il n’était pas parfait, mais il avait permis de stabiliser la situation en empêchant l’Iran d’avoir des armes nucléaires, jusqu’à ce qu’il soit mis à terre par le président Donald Trump et ses partisans en mai 2018. Désormais, l’ombre d’une crise nucléaire pointe de nouveau à l’horizon avec peu d’espoir d’issue.

Pour comprendre pourquoi la crise semble politiquement impossible à résoudre, il faut considérer les perspectives des trois antagonistes. L’Iran a accepté le JCPOA après douze ans de négociations en dents de scie avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Union européenne et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (plus l’Allemagne). Selon l’AIEA et les services de renseignements américains, l’Iran respectait les conditions de l’accord. Il limitait ses activités liées à l’enrichissement, fermait les installations requises, convertissait un réacteur de recherche, etc. Malgré la suppression des sanctions, les entreprises restaient néanmoins réticentes à commercer avec l’Iran pour des raisons liées à la situation politique et économique du pays, ainsi qu’ à la crainte de nouvelles sanctions américaines. Du coup, au moment du retrait américain de 2018, les dirigeants et les citoyens iraniens avaient le sentiment que les avantages espérés du JCPOA n’étaient pas au rendez-vous. L’imposition ultérieure de nombreuses sanctions supplémentaires par Washington a coûté à l’économie iranienne 1 000 milliards de dollars, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Javad Zarif. Résultat, les dirigeants iraniens exigent désormais d’être indemnisés pour les pertes subies, mais également des garanties (qu’ils savent impossibles) que les États-Unis ne reviendront pas sur leur décision, avant d’envisager tout retour à l’accord ou la limitation de leur programme nucléaire. Du point de vue de l’équité élémentaire et de la psychologie politique, difficile de contester cette position.

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Le deuxième groupe d’antagonistes comprend les États-Unis, leurs alliées européens, mais aussi le gouvernement israélien actuel et d’autres voisins de l’Iran. Ce groupe reconnaît, à des degrés divers, que les États-Unis ont rompu l’accord mais en conclut en substance : « Cela ne peut être défait, concentrons-nous sur le problème actuel. » Pour eux, le problème actuel est que l’Iran a enrichi de l’uranium bien au-delà des limites du JCPOA – en pourcentage d’uranium hautement enrichi, dans le nombre et la qualité des centrifugeuses utilisées, et en termes de stock accumulé – et n’a pas coopéré avec l’AIEA à de nombreux égards. Ils doutent par conséquent qu’un « simple » retour au JCPOA soit suffisant pour atteindre l’objectif fondamental de maintenir l’Iran à un an de l’acquisition de l’arme nucléaire s’il décidait de le faire. Ils souhaitent donc que Téhéran accepte des restrictions plus importantes ou plus durables que celles prévues par le JCPOA. Du point de vue des capacités physiques et de la prévention de la prolifération nucléaire, il est également difficile de s’opposer à cette position.

Le troisième groupe d’antagonistes comprend d’importantes factions à Washington, l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, et peut-être l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, voire d’autres voisins de l’Iran. Ils veulent l’effondrement du régime iranien – ou du moins une pression économique, politique et physique clandestine maximale et sans relâche sur le gouvernement et les personnages-clés de ses agences nucléaires et de projection. Pour eux, un accord nucléaire qui allège la pression sur l’Iran sans changements positifs plus larges dans le comportement régional de l’Iran est indésirable. L’influence de ce groupe au Congrès est telle que le président Joe Biden ne pourrait accepter sans coût politique un accord nucléaire tel que voulu par l’Iran.

Partant de là, il est difficile de voir comment les différents acteurs auront le courage ou la capacité politique de s’accorder suffisamment de ce dont ils ont besoin pour résoudre la crise actuelle.

Engrenage à issues multiples

Ce qui rend cette situation éventuellement tragique, c’est que les dirigeants iraniens n’ont pas décidé qu’ils voulaient réellement fabriquer des armes nucléaires, comme l’a affirmé le directeur de la CIA William Burns le 6 décembre. Mais si l’Iran ne peut pas obtenir au moins une grande partie de la réparation économique qu’il estime équitable et qu’il répond en continuant à renforcer ses capacités nucléaires, la logique de la pression maximale continuera de guider les États-Unis et, par le biais de sanctions secondaires, d’autres pays. L’Iran augmentera alors encore ses capacités dans un engrenage qui pourrait avoir trois issues possibles.

La première est que les dirigeants iraniens décident finalement de fabriquer des armes nucléaires pour obliger les autres parties à réduire leur pression. Le plus probable est que cet effort soit détecté par Israël et/ou les États-Unis, et il serait alors possible que l’Iran soit attaqué avec une intensité sans précédent depuis sa guerre avec l’Irak dans les années 1980. Une telle guerre aurait des effets imprévisibles sur l’ensemble de la région et au-delà, tandis que les sanctions internationales redoubleraient d’intensité.

Une deuxième issue pourrait être que les dirigeants iraniens décident qu’ils ne tirent aucun avantage militaire, économique ou politique exploitable du matériel et des capacités nucléaires qu’ils sont en train d’acquérir, et qu’ils devraient donc tenter une autre voie pour aboutir à un processus durable d’allégement des sanctions. En d’autres termes, Téhéran accepterait un JCPOA+ en échange de la promesse d’un allégement majeur et immédiat des sanctions. Compte tenu de la dynamique qui affecte les exigences des États-Unis et de la psychologie apparente du guide suprême Ali Khamenei et du nouveau gouvernement, il est difficile d’imaginer que les dirigeants iraniens soient prêts à parier sur cette approche.

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Une troisième issue – qui semble la plus probable parce qu’elle exige moins de courage et de prise de risque de la part d’un ou de plusieurs des antagonistes – est qu’ils continuent tous à se comporter comme ils l’ont fait ces dernières années (et de 2002 à 2009) : les États-Unis et leurs partenaires continueront à offrir à l’Iran moins que ce que les dirigeants iraniens estiment juste, tandis que ces derniers continueront à accroître ses activités nucléaires et régionales de manière alarmante. La situation générale restera en permanence au bord du précipice.

Exemples inquiétants

On peut certes penser que les grandes puissances occidentales ne resteront pas passives face à cette véritable bombe à retardement et qu’au moins l’une d’entre elles prendra une initiative qui mènera à une solution. Un tel optimisme ne semble toutefois pas justifié. Prenons l’exemple de la Corée du Nord qui n’a cessé de développer ses capacités nucléaires au cours des 30 dernières années, malgré toutes les sanctions et tentatives internationales d’obtenir sa « dénucléarisation ». Le pays continue de construire et de tester des missiles plus dangereux et d’acquérir davantage de matériel de bombardement, mais les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud n’ont pas modifié leur approche de la « dénucléarisation » de manière à inverser significativement la tendance. Pyongyang a accru sa capacité de dissuasion, mais ne peut supprimer les sanctions qui maintiennent son peuple dans la pauvreté ; tandis que ses voisins continuent de vivre sous la menace d’une attaque nucléaire par un gouvernement au comportement imprévisible.

II en va de même pour la situation critique des Palestiniens et le soi-disant processus de paix ; ou bien pour les tensions entre l’Inde et le Pakistan, et bien d’autres défis internationaux majeurs susceptibles de dégénérer en guerre, voire en guerre nucléaire... À chaque fois, le compromis et l’accommodement semblent plus dangereux ou inacceptables pour les parties impliquées que la poursuite d’une compétition explosive.

C’est le cas de l’Iran et de son programme nucléaire. Tant qu’il n’y a pas de guerre et peut-être même après, les Américains ne souffrent pas sensiblement des sanctions contre l’Iran ; ce sont les Iraniens qui en souffrent. Si certains sont innocents, c’est la faute de leur gouvernement qui continue à s’accrocher à un programme nucléaire inutile. Cette façon de voir les choses pourrait devenir de plus en plus répandue aux États-Unis jusqu’à ce qu’une nouvelle idéologie et un nouveau leadership émergent au sein du Parti républicain, qui permettraient les compromis nécessaires à la réussite d’une diplomatie bipartisane.

Ce texte est la traduction synthétique d’un article publié en anglais et en arabe sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.

Par George PERKOVICH

Chercheur spécialisé dans les questions de non-prolifération nucléaire et vice-président pour les études du Carnegie Endowment for International Peace

Tous les problèmes dans les affaires internationales n’ont pas de solutions que les parties concernées sont prêtes à poursuivre dans le temps et de la manière nécessaires pour réussir. Le problème du nucléaire iranien avait trouvé une solution via l’Accord de Vienne (JCPOA) de 2015. Il n’était pas parfait, mais il avait permis de stabiliser la situation en empêchant l’Iran...

commentaires (3)

Selon moi, la question primordiale est de savoir si les israéliens ont la capacité de neutraliser les usines de fabrication en Iran, de manière ciblée, ou non.

F. Oscar

09 h 44, le 20 décembre 2021

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Commentaires (3)

  • Selon moi, la question primordiale est de savoir si les israéliens ont la capacité de neutraliser les usines de fabrication en Iran, de manière ciblée, ou non.

    F. Oscar

    09 h 44, le 20 décembre 2021

  • "les dirigeants iraniens n’ont pas décidé qu’ils voulaient réellement fabriquer des armes nucléaires. Mais alors, à quoi diable peut bien leur servir de l'uranium enrichi à 60%? J'aimerais savoir quelle explication ils ont pu donner.

    Yves Prevost

    07 h 18, le 19 décembre 2021

  • LE NUCLEAIRE PAR LE NUCLEAIRE POURRAIT ETRE IMPOSEE COMME SEULE SOLUTION. - IDEE FLOU DE GWB. - ARDEUR DES ISRAELIENS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 27, le 19 décembre 2021

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