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Moyen-Orient - Crise

La population turque démunie face à l’effondrement économique

Alors que la monnaie nationale s’effondre de jour en jour, de nombreux ménages ne parviennent plus à joindre les deux bouts en raison de la baisse de leur pouvoir d’achat. Une situation qui aurait été aggravée par la politique monétaire souhaitée par Recep Tayyip Erdogan, hostile aux taux d’intérêt élevés qu’il perçoit comme un frein à la croissance.

La population turque démunie face à l’effondrement économique

Une cliente devant un bureau de change à Istanbul, le 23 novembre 202. Dilara Senkaya/Reuters

Depuis plusieurs mois, l’augmentation du prix des factures d’électricité, de gaz et de certains produits alimentaires est devenue un cercle infernal pour Zeynep*, illustratrice freelance de 33 ans résidant à Ankara avec son mari et sa belle-mère. « Vous mettez la moitié de votre salaire dans vos courses alimentaires et l’autre moitié couvre à peine vos besoins essentiels comme le loyer, le chauffage, etc. », déplore-t-elle. En cause, l’effondrement de la livre turque, qui a perdu près de 35 % de sa valeur cette année. Hier, la monnaie nationale a atteint son plus bas record, dépassant les 13 livres pour un dollar et accentuant davantage par ricochet l’augmentation des prix. Face à l’accélération de la dépréciation de la livre turque et de l’inflation, qui a grimpé de 20 % en un an, la population souffre de la perte de son pouvoir d’achat. D’autant que l’industrie est très dépendante des matières premières qu’elle importe, à l’instar du gaz, du pétrole et du charbon. « Il devient de plus en plus difficile de joindre les deux bouts. On se sacrifie au quotidien en achetant des articles moins chers et en plus petite quantité », ajoute la jeune femme.

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Ce nouveau plongeon historique survient au lendemain des déclarations faites par le président turc Recep Tayyip Erdogan, s’engageant à remporter « sa guerre d’indépendance économique » face à un prétendu « complot ». « Nous savons très bien ce que nous faisons avec la politique actuelle, pourquoi nous le faisons, le type de risques qu’elle implique et ce que nous réaliserons à la fin », a-t-il déclaré à l’issue d’une réunion de son cabinet. Ces remarques interviennent en outre quelques jours après que la banque centrale turque (TCMB) a abaissé son principal taux directeur pour la troisième fois en moins de deux mois, sous l’influence du chef de l’État qui estime que cela permettrait de stimuler les emprunts et les investissements et ainsi la croissance, malgré les avertissements de nombreux économistes. Depuis 2019, le reis a limogé trois gouverneurs de la TCMB, sapant la confiance des investisseurs et alimentant les inquiétudes quant à l’indépendance de l’institution financière. « Le gouvernement veut réduire les pressions inflationnistes en maintenant des taux d’intérêt bas et en favorisant la production, observe Selva Demiralp, professeure d’économie à l’université Koç d’Istanbul. Réduire l’inflation en augmentant la production n’est cependant possible qu’à long terme, si vous augmentez votre capacité de produire. À court terme, une augmentation de la production par des baisses de taux est davantage susceptible d’épuiser les capacités de production actuelles et de provoquer une nouvelle inflation. »

Cote de popularité en baisse

Dans ce contexte, Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 19 ans, semble plus menacé que jamais à l’approche des scrutins législatif et présidentiel prévus en juin 2023. Face à la situation économique, de nombreux partis d’opposition ont appelé à la tenue d’élections anticipées, ce à quoi le président s’est encore opposé hier. « Je blâme entièrement le gouvernement car il n’a aucune idée de ce qu’il fait, dénonce Zeynep. C’est ainsi depuis qu’il a été élu. Les choses ont encore empiré avec sa mauvaise gestion de la pandémie (du coronavirus). » Selon une enquête dévoilée samedi par MetroPOLL, l’un des principaux instituts de sondage turcs, seules 28 % des personnes interrogées pensent que le gouvernement sera en mesure de résoudre les problèmes économiques et financiers de la Turquie. Une autre étude publiée par le même organisme révèle que la cote d’approbation du reis est tombée à 38,9 % en octobre, soit 2,5 points de pourcentage en moins par rapport au mois précédent. « Les gens souffrent, se suicident, parce qu’ils ne trouvent pas de travail alors que le gouvernement vit dans un palais et achète des produits hors de prix », ajoute Zeynep. Pour la première fois cet été, des photographies de la nouvelle résidence d’été du président turc sur la côte égéenne – un luxueux complexe estimé à 74 millions de dollars et achevé deux ans plus tôt – avaient été publiées par son architecte, suscitant l’indignation à travers le pays. Ces images avaient été dévoilées peu après que la Première dame avait conseillé à la population de réduire ses portions alimentaires pour arrêter le gaspillage. « Cela fait des années qu’on se dirige vers la ruine économique et juste au moment où on pensait que ça ne pouvait pas être pire, la pandémie est arrivée, constate Zeynep. Depuis cette période, je suis passée au travail à domicile. Mon mari n’a pas pu trouver d’emploi pendant un an à cause de la situation. Je ne suis pas sortie pour m’amuser depuis un mois parce qu’on ne peut rien mettre de côté, même pour aller boire un café. »

La vie d’avant

Depuis l’apparition de la crise sanitaire du Covid-19, qui a aggravé un peu plus la dévaluation de la livre, Yusuf* a lui été contraint de « faire un nouveau plan de dépenses » basé sur son budget actuel. Une nécessité pour cet agent d’assurances vivant à Istanbul, qui doit subvenir aux besoins de son foyer, composé de sa femme et de leur enfant de 7 ans. S’il est payé environ 5 000 livres turques par mois (près de 385 dollars au taux actuel) – soit plus que le salaire minimum net turc, aujourd’hui équivalant à 224 dollars –, Yusuf est loin de pouvoir mener sa vie d’avant. Le père de famille se désole surtout de ne pas pouvoir accomplir les deux rêves de son fils : partir en vacances et voir son père avoir de nouveau une voiture pour l’amener à l’école. « Mon frère a eu un accident avec ma voiture, qui a dû partir à la ferraille. Depuis, impossible d’en acheter une nouvelle à cause de ma situation financière », confie-t-il. Pour Yusuf, rien n’est plus important que l’éducation de son fils. Alors, même si tout son salaire ou presque part dans le loyer et les frais de scolarité de son enfant, placé dans une école privée, pas question de renoncer à ce luxe. Malgré cette situation, ce natif d’Istanbul ne compte pas sanctionner le pouvoir aux prochaines élections. « En Turquie, vous pouvez voir le même spécialiste à la télévision parler de l’économie à midi et commenter le sport le soir. Les critiques ne sont pas des personnes bien informées, observe-t-il. Je pense que la baisse des taux d’intérêt du gouvernement vise à stopper certains lobbies. »

*Les prénoms ont été modifiés

Depuis plusieurs mois, l’augmentation du prix des factures d’électricité, de gaz et de certains produits alimentaires est devenue un cercle infernal pour Zeynep*, illustratrice freelance de 33 ans résidant à Ankara avec son mari et sa belle-mère. « Vous mettez la moitié de votre salaire dans vos courses alimentaires et l’autre moitié couvre à peine vos besoins essentiels comme...

commentaires (2)

Surtout ne nous dites pas que les Turcs vont venir se réfugier chez nous. C'est déjà complet!

Mago1

03 h 24, le 24 novembre 2021

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Commentaires (2)

  • Surtout ne nous dites pas que les Turcs vont venir se réfugier chez nous. C'est déjà complet!

    Mago1

    03 h 24, le 24 novembre 2021

  • Pffft. Amateurs! En matière de crise économique, nous sommes les CHAMPIONS DU MONDES toutes catégories! Yess! Vive le Liban fooooort!

    Gros Gnon

    00 h 19, le 24 novembre 2021

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