Critiques littéraires

Sarr avance entre fiction totale et roman exploratoire puissant

Présent sur la liste de sept grands prix, La plus secrète histoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr est la révélation de cette rentrée littéraire. Un roman habile, truculent et enchanteur qui met la littérature là où elle devrait toujours être : au centre des choses, au cœur de la vie.

Sarr avance entre fiction totale et roman exploratoire puissant

La plus secrète mémoire des hommes
de Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey, 2021, 462 p.

Un jeune écrivain sénégalais fait un jour la découverte d’un livre paru au siècle dernier, en 1938. C’est peu dire que le Labyrinthe de l’illusion écrit par un auteur africain quasi-inconnu le ravit. Il le secoue, il le perturbe, il l’obsède. Au point que Diégane Layr Faye décide de se lancer sur la piste de T. C. Elimane. Il cherche à tout savoir sur cet homme et sur son œuvre qui a complètement disparu de la mémoire littéraire. Pourquoi ? Comment ?

Sous la forme d’une enquête qui va prendre des tours toujours renouvelés et différents, La plus secrète histoire des hommes joue avec virtuosité à expérimenter plusieurs genres littéraires : l’enquête policière s’y mêle au roman social, le récit biographique à la confession intime, l’art poétique à la satire du petit milieu des lettres qui est gentiment chahuté tout au long du récit.

Après une kabbale littéraire menée contre lui, il est décrété que Le Labyrinthe de l’illusion de T. C. Elimane serait un faux, un pastiche honteux, un vulgaire plagiat. Comme on arrache des galons à un général, le livre-culte devient livre-honni et son auteur déchu, banni sans qu’on entende ce qu’il aurait à dire pour sa défense. Du reste, lui-même ne veut pas parler et ne cherche pas à s’expliquer, considérant qu’un livre parle de lui-même, qu’il est à lui-même sa propre fin. Et puis au fond, il y a cette suspicion qui anime le milieu littéraire. Comment un tel livre aurait-il pu être écrit par un Noir, fût-il passé par l’école et l’instruction françaises ? Cela paraît tout bonnement impossible. « Il reste maintenant à découvrir, écrit B Bolème dans la Revue des Deux Mondes, qui se cache derrière cet étrange nom : T. C. Elimane. S’il s’agit, improbablement, d’un des nègres de nos colonies, il y aurait là de quoi commencer à croire à la puissante magie qu’on leur prête. » Et pourtant…

L’enquête rebondit et part en voyage, à travers les époques et à travers le temps. En Afrique bien sûr mais aussi du côté des tranchés dans la Somme ou de l’Argentine avec les exilés de l’après-guerre. Sur la piste du mystère T. C. Elimane, Diégane Latyr Faye, apprenti-écrivain, veut convoquer et confronter son modèle. Il va déterrer des secrets et rencontrer, tel un héros de roman, bien des obstacles, sa matière fuyant au fur et à mesure qu’il se rapproche d’elle. « J’ai compris qu’en réalité, derrière la suite du livre, c’est la littérature même que tu dois chercher. Mais chercher la littérature, c’est toujours poursuivre une illusion. Chercher la littérature c’est chercher la merde. »

Mais quelle vérité découvrir au sujet de T. C Elimane, le « Rimbaud nègre » oublié ? Quelle autre vérité que celle de la littérature ? « Une fois leur degré révélé, leurs termes inscrits, leurs inconnues établies et posée leur complexité, que restait-il ? La littérature ; il ne restait et ne resterait jamais que la littérature ; l’indécente littérature, comme réponse, comme problème, comme foi, comme honte, comme orgueil, comme vie. »

Pour son quatrième roman, Mohamed Mbougar Sarr assume une ambition littéraire qui le place sous l’égide des grands. On décèle – mais toujours dans l’esprit du jeu et de l’hommage – la filiation du texte de Sarr avec les fictions de Borges ou les grands romans de Bolano, soit une littérature d’expérimentation et de digression et l’ambition d’un roman total. Sarr signe un grand livre dont le sujet, derrière le masque des egos, derrière les chausse-trappes de la comédie sociale, derrière le bruit des passions humaines, corps et esprits déchaînés, demeure la littérature. « La vérité, Diégane, c’est que seul un livre médiocre ou mauvais ou banal parle de quelque chose. Un grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout et ce quelque chose aussi est déjà tout. »


La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey, 2021, 462 p.Un jeune écrivain sénégalais fait un jour la découverte d’un livre paru au siècle dernier, en 1938. C’est peu dire que le Labyrinthe de l’illusion écrit par un auteur africain quasi-inconnu le ravit. Il le secoue, il le perturbe, il l’obsède. Au point que Diégane Layr Faye décide de se lancer...

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