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Culture - Beyrouth BD Festival

« De l’importance du poil de nez » chez Noémie Honein

Bien qu’installée en France depuis quelques années, cette jeune auteure-dessinatrice de talent puise toujours ses histoires de son vécu au Liban. Rencontre à l’occasion du Beyrouth BD Festival.

« De l’importance du poil de nez » chez Noémie Honein

Noémie Honein, le sourire radieux d’une croqueuse de (tranches de) vie. Photo DR

Elle a dans le sourire et la voix ce « punch », cette vitalité radieuse de ceux qui ont traversé des moments difficiles et en sont sortis meilleurs. Plus forts, plus sereins, plus rayonnants de vie et de générosité… Et, forcément, plus riches d’histoires à partager. « On a tellement de vécu au Liban que c’est impossible de ne pas partir de soi », affirme Noémie Honein, en parlant d’inspiration.

Vingt-huit ans au compteur, et déjà une pleine valise d’expériences douces-amères… La jeune bédéiste qui « dessine à la première personne » a en effet de quoi remplir une série d’albums de ses récits personnels. Depuis sa naissance en 1993 à Beyrouth, dans une société encore imprégnée des clivages et traumatismes de la guerre, en passant par son adolescence « kesrouanaise », dans un environnement tout en contrastes, où liberté et tabous se mélangent allègrement, jusqu’à son installation en France, à Toulouse, la ville rose, d’où elle continue à observer le monde dans lequel elle a grandi. À savoir, ce « microcosme sociétal » que constituent sa famille, ses amis, les personnes qui gravitent dans son entourage et sur lesquels elle porte « non pas un œil critique mais, au contraire, plein de bienveillance et de tendresse », signale-t-elle. Un regard nourri d’humour. Et de « beaucoup d’autodérision » quand il se pose sur les choses (intimes) de la (sa) vie…

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De l’importance des codes couleurs dans la BD de Noémie Honein. Photo DR

Dédramatiser…

Dédramatiser les sujets graves en les croquant avec autant de lucidité que de légèreté, de vérité que de second degré : voilà à quoi sert chez Noémie Honein la pratique du récit dessiné. C’est ainsi que l’auteure de De l’importance du poil de nez (éditions Sarbacane) a abordé le douloureux épisode de son cancer. Sous ce titre délirant – inspiré néanmoins d’une scène d’une crue réalité – se cache en effet une histoire moins drôle que celle attendue. Mais loin d’être lugubre pour autant. Car même si dans ce roman graphique, Noémie/Naoumi (sa signature d’auteure-dessinatrice) raconte l’irruption de la maladie dans son existence trépidante d’étudiante de 20 ans, la retranscription qu’elle en fait, couplée à un dessin gorgé de couleurs, délivre un éclatant et magnifique message d’amour de la vie. Un opus issu d’une démarche clairement cathartique qui va paver la voie vers la bande dessinée de cette artiste touche-à-tout, à la fois illustratrice, peintre, photographe et auteure. Sans compter son engagement social à travers les ateliers qu’elle dispense aux personnes en situation de précarité.

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Lorsqu’on lui découvre un cancer de Hodgkin, Noémie Honein est en 3e année de licence en graphisme et illustration à l’Académie libanaise des beaux-arts de Beyrouth (ALBA). Pour se faire soigner, elle est obligée d’interrompre ses études durant un an et doit renoncer à son rêve de compléter son cursus par un master en bédé à Berlin. C’est à l’ALBA qu’elle présentera, une fois guérie, son projet de master : un roman graphique dans lequel elle raconte sa maladie. « J’ai éprouvé la nécessité d’en parler pour mieux en comprendre les particularités. Pour déchiffrer en quelque sorte la manière dont je l’avais subie, l’impact qu’elle a eu sur ma famille et ce qu’elle a changé dans le rapport à mon corps et aux autres », confie la bédéiste. « Mon but n’était pas de faire une bande dessinée sur le cancer en tant que tel, mais de dépeindre, à travers mon expérience, un parcours de vie modifié par un traumatisme », précise-t-elle.


« De l’importance du poil de nez », ou le récit en couleurs d’une battante. Photo DR

Vérité crue et couleurs expressionnistes

Très apprécié par le scénariste français Christophe Dabitch, membre du jury du master, ce projet de fin d’études lui vaudra d’être invitée en 2018 à la Maison des auteurs d’Angoulême, dans le cadre d’un programme de résidence initié par l’Institut français autour de la bande dessinée dans le monde arabe. C’est là qu’il va se transformer et se développer d’un album de 80 pages en un vrai roman graphique de 260 pages, intitulé… De l’importance du poil de nez. Perfectionniste acharnée, Noémie Honein mettra deux ans – et une seconde résidence d’auteur – avant de se décider à le faire éditer en 2020 aux éditions Sarbacane. « Dans ma première version, le ton était plus sérieux. Avec le recul, mon regard a évolué. Je voulais vraiment dédramatiser le récit, tout en lui gardant sa valeur de témoignage sincère et sa vérité intime. J’ai scénarisé pas mal de choses sur le mode de l’autofiction. Et j’ai utilisé une palette chromatique très expressionniste. J’ai par exemple choisi l’orange pour évoquer la maladie, puisqu’après les chimiothérapies, mes urines étaient de cette couleur, et le vert pour symboliser la nature que j’aime tant… » indique la dessinatrice.


« De l’importance du poil de nez », premier roman graphique d’une auteure-dessinatrice au talent prometteur. Photo DR

Microcosme sociétal

À propos de nature, celle de la montagne libanaise sera au centre de son prochain livre à paraître. « Je viens d’en signer le contrat, toujours avec les éditions Sarbacane (du groupe Flammarion-Gallimard). C’est une bédé dans laquelle je dresse un parallèle entre la génération de la guerre qui a détruit les flancs de nos montagnes en y creusant des carrières et celle des jeunes d’aujourd’hui qui reviennent y installer des fermes de permaculture. » Écologiste engagée alors Noémie Honein ? « Disons que j’ai vu une montagne disparaître… C’est quelque chose qui me touche. Je ne vais pas parler de la guerre de 1975 que je n’ai pas connue, même si j’ai été élevée dans le contexte de son impact post-traumatique... En fait, je ne parle que de choses dont je suis témoin. Des choses qui, quelque part, m’ont fondée et dont j’ai envie de garder les traces », assure la jeune femme. Laquelle, dans ce registre justement, a également décidée de se lancer, « à plus long terme », dans une série de bédés aux histoires et personnages directement inspirés de son vécu d’adolescente, dans un coin de montagne libanaise des années 2000. « J’y mettrai tout ce qui me tient à cœur. À savoir la description d’un microcosme sociétal de l’après-guerre, tout en ambivalences. Il y sera question de rébellion, de virginité, de religion, du rôle de la famille, de la peur du regard des autres, de l’amour au quotidien… » Des thématiques importantes abordées de manière légère. Avec toujours une frontalité de battante, une sincérité du ressenti intime exprimé avec autant de pudeur que de crudité, d’émotion contenue que de couleurs vives. Tous les ingrédients qui font l’univers prometteur de Noémie/Naoumi. À découvrir.

Elle a dans le sourire et la voix ce « punch », cette vitalité radieuse de ceux qui ont traversé des moments difficiles et en sont sortis meilleurs. Plus forts, plus sereins, plus rayonnants de vie et de générosité… Et, forcément, plus riches d’histoires à partager. « On a tellement de vécu au Liban que c’est impossible de ne pas partir de soi », affirme...

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