
D.R.
Né en 1945 dans un village du Sud-Liban, Abbas Beydoun est un poète, romancier et journaliste libanais. Il a fait ses études à l’Université libanaise et à la Sorbonne à Paris. Dans sa jeunesse, il milite dans les rangs de la gauche libanaise. Profondément influencé par le poète français Pierre Jean Jouve et le poète grec Yannis Ritsos, il a a son actif plusieurs récits et recueils de poèmes, dont plusieurs sont traduits en français chez Actes Sud. Son dernier recueil, Un billet pour deux, vient de paraître chez Actes Sud/L’Orient des Livres.
Secret
Nous avons dit qu’il était bon et affectueux.
Ce n’est pas un hasard s’il est tombé.
S’il avait été en métal, il aurait vécu plus longtemps.
S’il avait été une statue, il serait resté debout.
S’il avait été une tour, on aurait pu le changer de place.
Le mot “immortalité” ne sauve personne,
mais on peut l’échanger
contre un demi-clou
ou une tasse de sel
et beaucoup d’eau,
qui tombe en pluie ou en larmes.
Si le ciel avait été dans sa poitrine,
Dieu l’aurait entendu.
S’il avait été un rubis, il serait resté rouge.
Nous ne savons pas si le revenant peut entendre,
nous ne savons pas exactement ce qu’est sa voix,
ni s’il est toujours lui-même.
Ce jour-là, il a rempli une cuiller de paroles
et d’une immense quantité de chiffres.
Il va bien sûr attraper cette louche
et s’asseoir au café parmi les clients somnolents.
Sans rien faire,
il attirera leur attention sur lui
sans approuver les mots de l’hommage funèbre.
Celui qui l’a écrasé sera proche,
et ne sera pas d’accord non plus.
Ce qui s’est passé était au-delà de la compréhension,
et, si tant est qu’il en ait un,
n’a pas révélé son secret.
Les grands mots qui fondent
ne ressusciteront personne.
Les statues seront le résultat de cette impuissance.
Bien qu’elles soient vides à l’intérieur,
elles ne sont ni des maisons ni des tombeaux.
Les tours ne réfléchiront pas,
mais elles resteront innocentes, là-haut.
Nous les hommes périssables,
les poètes périssables,
ignorons de quelle fatigue nous sommes venus
et quelle fatigue nous laisserons dans le monde.
Le voile ne sera pas levé pour nous,
car nous ne sommes pas immortels, nous ne sommes pas des
pierres.
Extrait de : Un billet pour deux. Anthologie poétique 2010-2019, traduit de l’arabe par Nathalie Bontemps, Actes Sud/L’Orient des Livres, septembre 2021, 160 p.
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