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Monde - Éclairage

Haftar veut conquérir la présidence libyenne

Le chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne, basée dans l’est du pays, espère réaliser des gains politiques en se présentant à la magistrature suprême dont le scrutin est prévu en décembre prochain, sapant un peu plus le processus électoral.

Haftar veut conquérir la présidence libyenne

Le général Khalifa Haftar à son bureau à Benghazi en 2020. HO/Bureau médias de l’Armée nationale libyenne (ANL)/AFP

C’est une annonce à laquelle les observateurs libyens s’attendaient depuis plusieurs jours. Mercredi, le maréchal Khalifa Haftar – l’homme fort de l’Est libyen aux commandes de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) – a indiqué dans un communiqué s’être provisoirement retiré de ses fonctions militaires dans l’optique de se porter candidat à l’élection présidentielle prévue le 24 décembre prochain. Son remplaçant, le général Abdelrazzak al-Nadhouri, « occupera les fonctions de commandant général de l’ANL pour une période de trois mois, du 23 septembre au 24 décembre », informe le texte. Cette déclaration survient deux semaines après la ratification par le président du Parlement de Tobrouk (Est), Aguila Saleh – figure de l’Est libyen et proche de Khalifa Haftar –,

d’une loi électorale controversée précisant qu’un militaire peut se présenter au scrutin présidentiel s’il démissionne de ses fonctions trois mois avant la tenue de l’élection. S’il n’est pas élu, la loi prévoit également que le candidat « pourra retrouver son poste et recevoir ses arriérés de salaire ». Ratifié sans aucun débat ni vote au Parlement de Tobrouk, le texte ouvre ainsi la voie à la candidature du maréchal Haftar, un temps marginalisé après sa débâcle militaire de juin 2020.

« La poussée de Haftar vers les élections est un pari pour conserver sa pertinence. Il considère son geste comme le moyen approprié par lequel il peut réaliser politiquement ce qu’il n’a pas pu faire par la guerre », observe Emadeddine Badi, analyste politique affilié à l’Atlantic Council, en référence à l’offensive lancée en avril 2019 par le maréchal en vue de conquérir Tripoli, et repoussée par le gouvernement d’union nationale (GNA) avec l’appui de la Turquie.

Les failles du processus

Son annonce intervient dans un climat de tension qui succède à une période d’optimisme relatif dans le sillage de la formation en mars dernier d’un gouvernement unifié et transitoire dirigé par Abdelhamid Dbeibah, au terme d’un processus politique parrainé par l’ONU. La mise sur pied de ce cabinet avait pour but d’achever la transition politique en cours depuis dix ans et de préparer la tenue à l’hiver des élections législatives et présidentielle. « Haftar a généralement prospéré sur la crise de légitimité, les tensions intralibyennes ainsi que les divisions des puissances étrangères, autant de facteurs qui sont actuellement mis en évidence en raison de la division – et même des failles –

du processus menant aux élections », poursuit Emadeddine Badi.

Alors qu’ils devaient initialement s’accorder avant le 1er juillet – selon la feuille de route de l’ONU – sur un cadre constitutionnel en vue de régir le double scrutin à venir, les délégués du forum du dialogue politique libyen (FDPL) ont échoué à plusieurs reprises dans cette tâche en raison de multiples désaccords. « Le dysfonctionnement du FDPL a ouvert un boulevard pour Aguila Saleh, qui a joué sur le fait qu’il était le seul avec son texte à proposer quelque chose qui ressemblait de loin à ce qui était requis, observe Jalel Harchaoui, chercheur au Global Initiative Against Transnational Organized Crime. Cela s’ajoute au cadrage très faible fourni par l’ONU, alors que l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Libye depuis janvier, Jan Kubis, est beaucoup moins sérieux et moins engagé dans son rôle de médiateur. »

En dépit de son caractère frauduleux, la France s’est empressée dans les 24 heures d’applaudir la loi passée en force, qui n’a en outre pas été condamnée par Washington. Le 12 septembre, une déclaration conjointe des ambassades des États-Unis, du Royaume-Uni, d’Allemagne, de France et d’Italie s’est félicitée que « la Chambre des représentants a approuvé des mesures pour atteindre cet objectif (de parvenir à une meilleure stabilité et à l’unification de la Libye), puisque son président (Aguila Saleh) a annoncé le 8 septembre 2021 la loi régissant l’élection présidentielle ».

L’échiquier politique

Fort du soutien du président du Parlement de Tobrouk, Khalifa Haftar poursuit ainsi ses efforts en vue de se repositionner sur l’échiquier politique. Le maréchal avait déjà rencontré une semaine seulement après l’élection du nouveau gouvernement d’union nationale à Genève le nouveau chef du Conseil présidentiel, Mohammad Menfi. Cette entrevue marquait le signe d’une nouvelle alliance qui s’était manifestée pour la première fois à Genève, alors que les délégués représentant Haftar au sein du FDPL avaient choisi de voter au dernier tour des élections pour la liste du candidat Menfi – pourtant proche de l’Ouest – au détriment de la liste concurrente d’Aguila Saleh, signe de rivalités entre les deux figures de l’Est afin d’obtenir l’exclusivité de la représentation régionale. S’il accorde en réalité peu de crédit aux élections présidentielles, Khalifa Haftar agite désormais la carte de la légitimité dans l’espoir d’être propulsé à la tête de l’État libyen. « Haftar profite du fait que la communauté internationale et les États-Unis ont remarqué que Dbeibah souhaite rester plus longtemps à son poste pour se démarquer de ce dernier et prétendre qu’il est un démocrate qui souhaite réellement la tenue des élections », indique Jalel Harchaoui, pour qui le maréchal prend au piège les Américains vis-à-vis de leur propre rhétorique axée sur la nécessité que le scrutin ait lieu. « Mais il a également une autre carte à jouer. Haftar a un contrôle du processus électoral dans ses territoires qui n’a pas d’équivalent à l’Ouest, beaucoup plus divisé. Il a la possibilité de falsifier les élections grâce à sa coalition armée qui peut terroriser la société civile et ainsi sortir victorieux de cette mascarade électorale », poursuit le chercheur.

Si certains opposants chercheront probablement à reporter le scrutin, tandis que d’autres pourraient avoir intérêt à destituer le Premier ministre actuel pour asseoir leur autorité sur l’ouest du pays, la candidature de Khalifa Haftar n’augure rien de bon pour le processus politique. Les observateurs n’excluent pas un regain des violences dans le pays d’ici à décembre, alimenté par les tensions entre les forces étrangères en Libye – au premier rang desquelles la Russie et la Turquie – qui soutiennent respectivement le maréchal Haftar et le gouvernement actuel.

« Le 25 décembre, quel que soit le succès de la candidature de Haftar, il ne pourra toujours pas mettre les pieds à Tripoli et confortera donc sa position en reprenant le commandement des Forces armées arabes libyennes, suggère Emadeddine Badi. C’est une dynamique qui va, au mieux, recréer les divisions institutionnelles formelles libyennes ou, au pire, déclencher un conflit potentiel. La clé de tout cela sera le positionnement des puissances étrangères. » Mardi, le Parlement de Tobrouk a davantage aggravé les tensions entre les camps rivaux de l’Est et de l’Ouest en votant une motion de censure contre le gouvernement de Abdelhamid Dbeibah. Un coup de force supplémentaire de la part de l’institution basée à l’Est pour tenter de chasser du pouvoir le Premier ministre au-delà du mois de décembre, où l’incertitude plane plus que jamais sur la tenue du scrutin.

C’est une annonce à laquelle les observateurs libyens s’attendaient depuis plusieurs jours. Mercredi, le maréchal Khalifa Haftar – l’homme fort de l’Est libyen aux commandes de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) – a indiqué dans un communiqué s’être provisoirement retiré de ses fonctions militaires dans l’optique de se porter candidat à l’élection...

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