La frontière est la ligne qui circonscrit un espace inviolable de souveraineté. C’est l’horizon d’extension, dans l’espace, d’un corps politique donné, celui de l’État souverain jouissant de la plénitude de ses pouvoirs régaliens. Violer la ligne frontalière d’un État, sans l’autorisation de ce dernier, s’appelle tout simplement un « acte de guerre », même s’il s’agit de distribuer des confiseries. Applaudir l’invasion étrangère, accueillir triomphalement l’envahisseur et collaborer avec lui sont des actes de « trahison ». La traversée de la frontière internationale libanaise par les convois de carburants « iraniens », en des points de passage de contrebande, est typiquement une agression contre le Liban. L’inviolabilité d’une frontière n’est pas synonyme du principe d’intangibilité reconnu en droit international. Cette dernière peut jouer au bénéfice du perdant qui réclame des compensations, mais aussi du gagnant qui cherche à légaliser sa conquête.
Le pouvoir à Damas considère la frontière libanaise comme une ligne de division administrative. Il est l’allié de l’envahisseur iranien qui cherche à recréer le vieil empire perse pour le compte d’un projet millénariste et apocalyptique, celui des mollahs de Téhéran. Jusqu’à présent, l’ennemi extérieur prenait soin de maquiller ses intentions belliqueuses par un masque de légitimité libanaise : libérer quelques parcelles du territoire national qui font l’objet d’un contentieux frontalier entre le Liban, Israël et la Syrie. L’explosion au port de Beyrouth n’a pas été l’occasion de dénoncer les intentions belliqueuses de l’occupant tant l’enquête piétine. Par contre, le viol de la frontière par ces convois iraniens, entraîne une conclusion on ne peut plus claire : l’ennemi avance désormais à visage découvert.
On dira : mais c’est pour la bonne cause ; le peuple libanais est mis sous blocus impérialiste et autres arguties. Oui, le peuple libanais souffre la misère, non parce que le monde lui en veut mais parce que son existence autonome de corps politique a été vampirisée par l’ennemi extérieur. Nul ne proteste. Le pouvoir exécutif, gardien de la souveraineté et de l’intégrité de l’État, s’abstient de convoquer l’ambassadeur d’Iran à Beyrouth et rappeler en consultation l’ambassadeur du Liban à Téhéran, à défaut de porter plainte auprès des Nations unies comme on le fait habituellement si un sanglier ose traverser la frontière israélo-libanaise.
La dialectique ami/ennemi constitue une pierre angulaire de l’essence du politique. L’ennemi politique n’est pas l’ennemi total, celui qui doit disparaître. Son existence est une nécessité pragmatique. C’est cet autre dont la connaissance permet de se circonscrire soi-même, de connaître les propres limites de sa souveraineté. L’ennemi politique est toujours un rival hors frontières, une fois neutralisé l’ennemi intérieur. On ne le déteste pas de même qu’on n’aime pas l’ami politique. C’est toujours un groupe qui fait fi des limites du corps politique auquel j’appartiens. Il peut demain devenir un ami. Cette dialectique mouvante trouve le dépassement de son impasse « polémogène » dans le politique. Au fondement du politique il y aura toujours la conflictualité.
L’acte belliqueux perpétré par les Iraniens contre le Liban implique de prendre conscience de la nature de l’agression. Cela pose la question du Hezbollah libanais et de ses alliés chrétiens. Il est nécessaire de se rendre compte que le Hezbollah, comme adversaire inféodé à l’étranger, est un ennemi non circonscrit territorialement. Cela lui fait quitter le registre du politique pour celui de la théologie. Et c’est là le piège, car cela mène tout droit à pratiquer la « causalité diabolique » : faire l’impasse du politique en diabolisant l’ennemi.
Que faire ? Des scrutins législatifs ordinaires en situation d’occupation étrangère sont une illusion, voire un acte de collaboration dans l’intérêt de l’adversaire. L’unification de toutes les forces patriotiques au sein d’un front commun est vitale. Il ne s’agit pas de déclencher une guerre civile contre les collaborateurs, mais de les contenir par un renforcement de la puissance publique sur la plus petite parcelle du territoire national. Au sein de ce front commun, un gouvernement de l’ombre ou un directoire démocratiquement élu sera un interlocuteur crédible de la communauté internationale et le substitut des pouvoirs législatif et exécutif qui ont perdu toute légitimité.
C’est un autre Liban qu’il faut faire maintenant. Oubliez les intérêts électoralistes. Oubliez les ego des groupes de la nébuleuse appelée révolution. Oubliez les vieilles rancœurs. L’heure est à l’union sacrée si vous ne voulez pas capituler et livrer le pays à l’adversaire.
commentaires (6)
Comme toujours, une analyse extrêmement claire. La Syrie est en guerre contre le Liban depuis son indépendance et l'Iran depuis la catastrophe khomeyniste. Merci à Antoine Courban d'oser appeler un chat, un chat, et les vrais ennemis du Liban par leur nom.
Yves Prevost
16 h 51, le 20 septembre 2021