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Moyen-Orient - Au Moyen-Orient, ces personnages oubliés

Bill Eddy, le Lawrence d’Arabie américain

Le nom de ces « personnages oubliés » ne vous dit peut-être rien, mais ces hommes et ces femmes issus de la région ont, d’une manière ou d’une autre, marqué l’histoire du Proche-Orient, chacun dans son domaine. Issus de familles royales ou simples personnages de l’ombre, leurs parcours de vie atypiques inspirent fascination et admiration. D’un joueur d’échecs alépin à une scientifique égyptienne, « L’Orient-Le Jour » propose ainsi une série de six portraits publiés chaque jour au cours de cette semaine. Aujourd’hui, William Eddy, un militaire, espion, diplomate, mort et né au Liban, connu pour son rôle primordial dans les relations entre l’Arabie saoudite et les États-Unis (6/6).

Bill Eddy, le Lawrence d’Arabie américain

Le 14 février 1945, le colonel William A. Eddy (appuyé sur un genou), le roi Abdel Aziz al-Saoud et le président Franklin Roosevelt, à bord du USS Quincy.

Sur les hauteurs de Saïda, dans le cimetière évangélique, une tombe au nom insolite se dresse sous l’ombre d’énormes cyprès. Le colonel William Alfred (Bill) Eddy est né en 1896 de parents américains, tous deux missionnaires évangéliques, et mort en 1962 dans cette ville, chef-lieu du Liban-Sud. « William Eddy est probablement le plus connu de la famille à cause de ses activités politiques et diplomatiques. Mais l’histoire de sa famille dans la région est tout aussi prestigieuse », explique le cheikh Mohammad Abou Zeid, juge chérié à Saïda et auteur d’un livre sur la famille Eddy. Son père, né lui aussi dans cette ville, est connu pour son engagement en faveur de l’éducation, bâtissant une école dans la ville avant de soutenir activement le fondateur de l’AUB, Daniel Bliss. Sa tante paternelle Mary est considérée comme la première femme médecin exerçant dans l’Empire ottoman. Elle avait son cabinet médical au Mont-Liban. « La famille Eddy a un héritage spirituel énorme. En s’installant dans l’Empire ottoman à cette époque en tant que missionnaires protestants, ses membres ont été combattus par les chrétiens autochtones, maronites et orthodoxes. La société musulmane leur a en revanche ouvert les bras, les a acceptés et leur a exprimé sa gratitude. L’amitié entre certaines familles de Saïda et les descendants des Eddy se poursuit jusqu’à aujourd’hui », ajoute le cheikh Mohammad. L’histoire fait pourtant que le colonel Bill Eddy reste le personnage le plus connu de la famille à cause surtout du rôle primordial qu’il a joué dans les relations entre l’Arabie saoudite et les États-Unis. Certains l’appellent le « Lawrence d’Arabie des Américains », tellement sa vision et son action ont imprégné pour des décennies la stratégie de Washington au Proche-Orient.

L’homme a grandi en jouant dans les rues de Saïda en parlant à la fois l’anglais et l’arabe qu’il utilisait pour parler à ses amis. À l’adolescence, le jeune Bill part aux États-Unis continuer ses études scolaires au collège de Wooster en Ohio avant de les poursuivre à Princeton. Bien que rien ne le prédestine à une carrière militaire, il décide de s’enrôler dans les marines au printemps de 1917, peu de temps avant l’entrée officielle des États-Unis dans la Première Guerre mondiale. Il se marie avec une femme nommée Mary le jour précédant son départ pour la France pour combattre les Allemands. Blessé durant la fameuse bataille du bois Belleau (1918), il va poursuivre ses activités en tant qu’aide de camp. Ses capacités d’organisation et ses connaissances de l’allemand et du français lui permettent de faire un excellent travail de renseignement militaire. Ses supérieurs gardent tous un excellent souvenir de lui. C’est toutefois la grippe espagnole, qui sévit sur le Vieux Continent à cette époque, qui le terrasse durant des mois et l’oblige à rentrer au pays pour sa convalescence.

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De retour à New York, le jeune William décide de terminer sa thèse de doctorat, avant de partir en Égypte pour enseigner à l’Université américaine du Caire. Sa relation est tellement amicale avec les Cairotes qu’on lui propose souvent de devenir musulman, lui qui parle leur langue et apprécie leur culture. Bill répond toujours avec une blague : « Je me demande comment on fait durant le jeûne du ramadan au pôle Nord… » Son séjour est finalement écourté, sa femme ayant détesté la chaleur ambiante. De retour aux États-Unis, on lui propose le poste de doyen de l’université de Hobart. Mais la vie ennuyeuse sur le campus le pousse à retourner au Caire, cette fois comme attaché militaire au sein de la Navy. C’est en 1941 et la Seconde Guerre mondiale fait déjà rage. Outrepassant ses fonctions, Bill Eddy envoie une note à ses supérieurs, parlant pour la première fois du « rôle stratégique que peut jouer le royaume (d’Arabie saoudite) en faveur des alliés ».

Le pasteur de l’église évangélique à Saïda montrant la tombe de Bill Eddy. Photo Antoine Ajoury

L’ami Abdel Aziz

Sa notoriété fait que le département d’État, le service de renseignements et la Navy se disputent le colonel Eddy. C’est ainsi qu’il commence sa plus importante mission en Arabie saoudite. À cette époque, le pays est très mal connu aux États-Unis, malgré le fait que la Standard Oil Company of California (Casoc, devenue plus tard Chevron) ait déjà une concession pour exploiter le pétrole dans la région est du royaume.

Les États-Unis ont reconnu le royaume en 1932 à sa création par le roi Abdel Aziz ben Saoud. Mais le pays n’avait pas de représentants diplomatiques sur place. Bill Eddy devient ainsi l’homme par qui cette nouvelle politique américaine au Proche-Orient va se matérialiser. Son action va culminer par la célèbre rencontre entre le président Franklin D. Roosevelt et Abdel Aziz à bord du croiseur Quincy, qui scelle l’alliance historique entre les deux pays. C’est donc Eddy qui va préparer cette réunion dans ses moindres détails et par la suite concrétise l’accord entre les deux dirigeants par des accords bilatéraux. Bill Eddy s’installe en 1944 à Djeddah comme ministre plénipotentiaire et envoyé spécial du président Roosevelt auprès du roi saoudien. Le désormais diplomate américain a beaucoup d’estime pour les Arabes de la péninsule. Il considère qu’ils n’ont pas été « souillés » par les colonisateurs. Mais dans ses lettres reprises dans une biographie intitulée Le Chevalier arabe de Thomas Lippman, il note sa surprise par exemple de voir que le jeu d’échecs ne contient ni de reine ni de fou (bishop, soit « évêque », en anglais). Selon lui, « dans le royaume des Saoud, un chrétien ou une femme ne peuvent faire tomber le roi ».

Ses connaissances de l’islam et des traditions arabes lui ont permis de dépasser les différences culturelles entre les deux pays, notamment lors de la rencontre du Quincy, le 14 février 1945. Il ne lésine pas sur les moyens pour assurer la réussite de ce rendez-vous. Fumer et boire de l’alcool sont prohibés. Les films, interdits par le roi, seront diffusés pour les marins la nuit, alors que Abdel Aziz dort, pour ne pas l’offusquer. Toutefois, Bill Eddy racontera qu’un des fils du roi le menaça de le découper en morceaux… s’il n’était pas invité au cinéma avec l’équipage du navire! Cet écart n’arrivera pas deux fois puisqu’une rencontre entre Abdel Aziz et Winston Churchill quelques jours plus tard fut un échec, le Premier ministre britannique insistant pour fumer son cigare et boire du vin à table en présence du monarque.

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La réussite principale de Bill Eddy est le traité conclu entre Américains et Saoudiens pour la construction et l’utilisation d’une base militaire aérienne à Dhahran, qui est devenue le socle de la présence américaine dans la région pendant des décennies. Durant des années, il sera reçu par le roi Abdel Aziz à Riyad et tissera des liens d’amitié et de confiance avec le souverain. C’est probablement à cause de cette relation qu’il décide en juillet 1946 de quitter son poste en Arabie saoudite et de revenir aux États-Unis. Certains observateurs affirment que Bill Eddy était au courant que le nouveau président américain, Harry Truman, allait reconnaître l’État d’Israël, point d’achoppement principal entre les deux pays. Il avait averti Washington qu’il ne fallait pas se mettre à dos un milliard de musulmans pour gagner quelques millions de voix juives aux élections.

En 1952, Bill Eddy revient avec son épouse s’installer au Liban où il occupe le poste de conseiller chez Aramco. « Il me semble qu’il a été déçu par la direction américaine après la mort de Roosevelt. Il raconte qu’ils l’ont fait poireauter pendant un certain temps avant de lui accorder un entretien avec le président Truman », explique le cheikh Abou Zeid.

Il est ainsi revenu au Proche-Orient en s’installant à Beyrouth et en voyageant souvent dans les capitales arabes où il était respecté et apprécié par les dirigeants qu’il rencontrait. À Beyrouth, il se sent chez lui : sa vie mondaine est remplie de rencontres et de repas avec l’intelligentsia libanaise. « Il y a sûrement aussi un côté sentimental chez Bill Eddy. Son souhait était d’être enterré près de ses parents à Saïda, là où il a vécu une enfance heureuse », ajoute M. Abou Zeid. Il meurt à l’hôpital de l’Université américaine de Beyrouth le 3 mai 1962 d’une crise cardiaque, à l’âge de 66 ans. À l’époque de sa mort, les États-Unis sont devenus – un peu grâce à lui – la puissance principale au Proche-Orient.


Sur les hauteurs de Saïda, dans le cimetière évangélique, une tombe au nom insolite se dresse sous l’ombre d’énormes cyprès. Le colonel William Alfred (Bill) Eddy est né en 1896 de parents américains, tous deux missionnaires évangéliques, et mort en 1962 dans cette ville, chef-lieu du Liban-Sud. « William Eddy est probablement le plus connu de la famille à cause de ses...

commentaires (1)

Tres interressant. Merci pour cette vignette d'histoire.....

Sabri

17 h 35, le 29 août 2021

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Commentaires (1)

  • Tres interressant. Merci pour cette vignette d'histoire.....

    Sabri

    17 h 35, le 29 août 2021

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