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Moyen-Orient - Cisjordanie

« Ni Hamas ni Fateh » : Beita, laboratoire de la contestation palestinienne

Des villageois projettent son et lumière sur la colline voisine pour pousser des colons israéliens à partir.

« Ni Hamas ni Fateh » : Beita, laboratoire de la contestation palestinienne

Des Palestiniens du village de Beita utilisent des jeux de laser pour déranger les colons israéliens sur la colline en face, le 30 juin 2021. Jaafar Ashtiyeh/AFP

À Beita, en Cisjordanie occupée, un étrange cinéma en plein air se produit chaque nuit. Assis sur des chaises en plastique, pointeurs laser, torches et porte-voix en main, des Palestiniens projettent son et lumière sur la colline voisine pour pousser les Israéliens à partir.

Depuis mai, la petite ville de Beita, dans le nord de la Cisjordanie, se veut la promotrice d’une nouvelle façon de lutter contre l’occupation israélienne, à l’écart des partis politiques.

« Ici il n’y a qu’un seul drapeau, celui de la Palestine. Il n’y a pas de factions – Fateh, Hamas ou FPLP (Front populaire de libération de la Palestine). Il n’y a pas de leader charismatique, nous réalisons par le bas ce que les leaders palestiniens n’arrivent pas à faire par le haut », lance Saïd Hamayel, un manifestant, la main sur le pommeau de sa canne.

Pour Beita (12 500 habitants), la mobilisation a déjà été en partie couronnée de succès : début juillet, les colons israéliens qui avaient parqué leurs caravanes sur la colline d’en face sont partis. Ils ont toutefois été remplacés par l’armée israélienne.

Érigée sans feu vert des autorités israéliennes, la colonie « sauvage » d’Eviatar a été évacuée au terme d’un accord entre les colons et le gouvernement israélien, le temps que ce dernier statue sur les droits de propriété de cette colline de Cisjordanie, territoire palestinien occupé depuis 1967 par Israël, qui y multiplie ses implantations en dépit du droit international.

« Rendre dingues » les soldats

Les colons d’Eviatar partis, Beita aurait pu tout arrêter. Mais les manifestations se poursuivent pour « rendre dingues » les soldats qui patrouillent sur la colline et s’assurer que la colonie ne soit jamais construite, et ce même si les rassemblements sont entremêlés d’échanges violents de jets de pierres, d’un côté, et de tirs israéliens, de l’autre, parfois fatals. Plus de 700 manifestants ont été blessés et au moins sept tués dans des affrontements ou des incidents depuis mai avec l’armée israélienne, d’après le ministère palestinien de la Santé.

Saïd Hamayel a payé le lourd prix de la contestation de Beita : son fils Mohammad. L’adolescent de 15 ans est mort à la mi-juin d’un tir de l’armée israélienne qui a dit avoir ouvert le feu ce jour-là en direction « d’émeutiers » qui mettaient en « danger » ses soldats. « Il avait un talent d’orateur et rêvait de devenir avocat pour défendre les droits des Palestiniens », souffle Saïd, en tentant d’étouffer ses sanglots. « Les Israéliens veulent tuer dans l’œuf notre nouvelle forme de résistance populaire. Ils en ont peur », assure-t-il, reprochant aussi à l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, 86 ans, « de ne rien faire d’autre que des déclarations » contre la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Depuis des affrontements fratricides en 2007, le pouvoir palestinien est scindé entre le Fateh de Mahmoud Abbas, qui siège en Cisjordanie, et les islamistes du Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza.

« Abbas dégage »

Fin avril 2021, M. Abbas s’est attiré les foudres d’une partie des Palestiniens après sa décision d’annuler les premières élections palestiniennes en près de 15 ans. Puis, en mai, des manifestations anticolonisation ont éclaté à Jérusalem, et le Hamas a lancé des salves de roquettes vers l’État hébreu qui a répliqué en pilonnant l’enclave paupérisée de Gaza.

En Cisjordanie, la guerre de Gaza a ravivé la cause palestinienne, sans passer par Mahmoud Abbas. « Pour la première fois depuis des années, la jeunesse palestinienne ne se voyait plus comme victime (...) les Palestiniens ne faisaient pas simplement recevoir des coups mais résistaient », explique Jalaa Abou Arab, 27 ans et rédactrice en chef du site d’information palestinien Dooz.

Aujourd’hui, les jeunes veulent « des personnalités avec des convictions fortes, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont pour le Hamas », nuance-t-elle, alors que des deux côtés – Fateh et Hamas – on multiplie les déclarations pour saluer les « héros » de Beita.

Elle cite le cas de Nizar Banat, un critique de l’Autorité palestinienne mort fin juin des suites de coups lors de sa détention par les forces de sécurité palestiniennes. Dans la foulée de son décès, des Palestiniens ont manifesté à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne, aux cris de « Dégage Abbas ».

« Cette situation est sans précédent », note l’ex-Premier ministre palestinien, Salam Fayad. « Il faut commencer par écouter la population, et en particulier les jeunes, qui sont très frustrés de l’occupation et des promesses de liberté qui ne se sont jamais concrétisées. »

À l’heure où la réconciliation Hamas-Fateh semble hors de portée, où des cadres du Fateh accusent le Hamas de vouloir étendre son influence sur la Cisjordanie, Saïd Hamayel rêve de voir le « modèle » de Beita se reproduire à travers les territoires palestiniens : « En haut, il y a des problèmes, mais ici, sur le terrain, les Palestiniens s’unissent. »

Guillaume LAVALLÉE/AFP

À Beita, en Cisjordanie occupée, un étrange cinéma en plein air se produit chaque nuit. Assis sur des chaises en plastique, pointeurs laser, torches et porte-voix en main, des Palestiniens projettent son et lumière sur la colline voisine pour pousser les Israéliens à partir.Depuis mai, la petite ville de Beita, dans le nord de la Cisjordanie, se veut la promotrice d’une nouvelle façon...

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