Hommages

Un sycomore à Ehden, une vigne à Zahlé

Un sycomore à Ehden, une vigne à Zahlé

Illustrations © Mansour El Harb, 2021

Jabbour Douaihy en sycomore qui se raconte…

Le sycomore, c’est le Miden son berceau. Ce sont ses terrasses de café, le murmure d’un feuillage, Ehden. Il s’élance, majestueux, vers le ciel. Il sait ce qu’il vaut mais n’en a que faire. Les racines bien ancrées dans la terre, les branches livrées à l’air libre, il voit passer les saisons, les orages et les peines sans jamais y laisser une once de son âme de poète. Et, quand la brise caresse ses feuilles les soirs d’été ou d’automne, il frémit jusqu’à la jouissance.

Le sycomore est un rêveur, un vagabond, un aventurier. Il chante, médite, se réjouit, se tait, séduit et se laisse séduire. Il est tout cela et bien plus. Il ne connaît ni la relâche, ni le sommeil. Certains diraient qu’il n’est pas voué à son sort puisqu’il l’a lui-même choisi. Un sort qu’il appelle de ses vœux et avec lequel il ne fait plus qu’un. Tout à son sort livré, il ne se lasse jamais et ne connaîtra pas la mort.

Le sycomore est un poète dans sa part de féminité et dans sa virilité. Quiconque l’incarne, jeune fille, jeune homme ou femme saura raconter son histoire, ce qu’il a vu et entendu, ce qu’il a choisi de taire, ce dont il a été témoin et les états d’âme qu’il a voulu révéler. Et Dieu sait si ces états d’âme sont nombreux, comme autant d’histoires à raconter.

Y a-t-il plus beau spectacle que celui du sycomore au crépuscule ?

À la tombée du jour, le sycomore se laisse envahir par la nuit, il s’y laisse sombrer. À l’instar de la nuit, il ondule et coule à flots, telle une source vive.

S’il se dévêt – et il se dévêtira inévitablement –, le sycomore s’en sort indemne. Même la solitude ne l’atteint pas tant son âme est foisonnante. La solitude, il ne la connaîtra d’ailleurs jamais. Il a pour éternels compagnons tous ceux qui, comme lui, ont été dévêtus et désertés.

Jabbour Douaihy, il est si doux de t’imaginer en sycomore conteur…

Farès Sassine, une vigne qui fait ruisseler son vin…

Une vigne, une tablée, un festin, une terrasse près du fleuve Berdaouni, Zahlé, la douce brise qui l’effleure, un chant, un rire moqueur, une idée, un conseil. Un livre qui veille sans se lasser, des expressions qui ne demandent qu’à être apprivoisées, un moment suspendu entre l’esprit et l’esprit, une philosophie, une toile, une symphonie que l’on admire avec les yeux, la raison qui s’exprime avec sagesse, le calme qui fuit les bruits inutiles, le calme philosophe, la quiétude.

Une vigne accrochée sur un cœur, un cœur accroché à une vigne, des grappes suspendues, des mains qui cueillent et s’enivrent, des branches touffues abandonnées, des grains de raisins volés avec courtoisie, avec une élégance spontanée. Des raisins convoités, foulés, filtrés, distillés, bus et dévorés. Un oiseau ivre en septembre, une ivresse qui ressemble au silence des philosophes un soir de pleine lune. Une réflexion rationnelle sur le Liban, si nécessaire lorsque les temps se font durs. Un Liban qui attend qu’on l’extirpe d’entre les loups.

Une vigne, un vignoble dans la plaine. Abdel Wahab qui chante et fait de la musique. Une nuée de bulbul amoureux d’une vigne, une vigne éprise de jeunes filles en fleur, et des jeunes filles énamourées de raisins. Une passion pour l'esprit, un esprit diligent, insatiable, affamé, assoiffé. Un étudiant, un professeur, un attroupement qui observe la moisson. Un refus intelligent, une nuance, une différence, une harmonie qui cherche l'harmonie, une âme qui embrasse ses contradictions pour les réconcilier, pour en faire un vin différent. Ce vin sera dégusté à des moments différents et aura, chaque fois, une saveur différente.

Une vigne, disais-je, et j’y tiens toujours, parce que la vigne est un arbre que l’on ne voit pas uniquement avec les yeux. Les raisins ne sont pas éternels mais laissent derrière eux ce nectar si particulier qui ne quitte ni la maison, ni le cœur, ni l'esprit. Il s'installe, il s'infiltre dans l'atmosphère, il exerce son pouvoir, il s'élève comme des esprits dans l'éther, pour nous insuffler la vie, un héritage généreux, un parfum salvateur.

Traduit de l’arabe par Work With Words

Jabbour Douaihy en sycomore qui se raconte…
Le sycomore, c’est le Miden son berceau. Ce sont ses terrasses de café, le murmure d’un feuillage, Ehden. Il s’élance, majestueux, vers le ciel. Il sait ce qu’il vaut mais n’en a que faire. Les racines bien ancrées dans la terre, les branches livrées à l’air libre, il voit passer les saisons, les orages et les peines sans jamais y...

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