Hommages

La mort qui sépare réunit

La mort qui sépare réunit

C’est à peine quelques heures écoulées après le décès de Jabbour Douaihy que son plus ancien et proche ami Farès Sassine allait le rejoindre dans le Royaume invisible, en rappelant à la mort son capricieux caractère de mystère immortel.

Cette mort est double dans tous les sens. Soit un événement à la fois ironique et tragique, triste et simultanément à même de nous retirer de notre tristesse quotidienne dans un pays aux abois, étouffé et meurtri. La perte est lourde pour la culture libanaise qui devient de plus en plus orpheline et assourdie.

Le romancier et l’érudit représentaient un duo inégalable. Pourtant, je ne m’en souviens pas de textes qu’ils ont écrits à quatre mains.

Les deux auteurs ne se ressemblaient pas. Leur amitié était aussi une célébration du contraste, une chose théâtrale, une amitié entre deux grands vivants. Cela dit, Jabbour le romancier avait plus de chance pour gagner un large lectorat à comparer avec son ami le philosophe érudit. Malgré sa production abondante mais dispersée, Farès Sassine reste largement un penseur posthume, à redécouvrir après sa mort, afin de pouvoir repenser le libanisme, les conceptions différentes formulées par les Libanais sur leur pays et ses caractéristiques, sa précarité fondamentale étrangement résiliente, ainsi que les signes contradictoires de sa durabilité ou de son dépérissement.

Ce destin posthume de la pensée de Farès appelle aujourd’hui à un travail de récupération de son œuvre, et surtout de la publication de ses manuscrits, ainsi que sa remarquable thèse, à vrai dire une talentueuse œuvre de jeunesse, sur le « libanisme maronite ».

Jabbour et Farès ont fait preuve d’un bilinguisme lucide, limpide et créatif.

Le premier, Jabbour, en tant que féru des lettres françaises, a fini par consacrer cette langue à ses chroniques et son œuvre critique, optant pour l’arabe dans son œuvre romanesque, un arabe transpercé néanmoins par les modalités du français et le zeste de l’accent libanais, un arabe vivant et sonore à la poéticité douce qui ne gêne pas l’essentiel d’un roman, l’intrigue.

Cette division de travail n’était pas suivie chez Farès qui vivait doublement dans une lecture « permanente » de Hegel, et dans une réflexion continuelle sur la structure du Liban et l’imaginaire des Libanais.

Le retour à sa fameuse interview à la fin des années 70 avec Michel Foucault, au moment de l’engagement de l’auteur de Surveiller et punir en faveur du soulèvement iranien, témoigne du sens critique et de l’ossature rationaliste de Farès à un moment où les intellectuels d’Occident comme du Proche-Orient recherchaient désespérément, et même aveuglément, dans la révolution iranienne, une recette ou un miracle pour le réenchantement du monde.

Jabbour décortiquait la vie comme expérience mémorielle et vécue, Farès l’appréhendait comme notion et comme sujet qui avance ou qui recule dans l’histoire.

Tous deux restaient fidèles à leurs années de jeunesse parisienne, des soixante-huitards tardifs et d’intellectuels pondérés soucieux de ne pas déraper hors du réel. Ils ont choisi tous deux de rester au Liban plutôt que de fondre dans la diaspora. Choix qui ne s’avère plus évident pour les intellectuels des nouvelles générations aujourd’hui au milieu de tout ce marasme.

Farès restait un roman oral non codifié ou transcrit par la plume de Jabbour, et Jabbour « le personnage conceptuel » du Libanais multiple et serein, sans la pensée de Farès. Paix à leurs âmes.


C’est à peine quelques heures écoulées après le décès de Jabbour Douaihy que son plus ancien et proche ami Farès Sassine allait le rejoindre dans le Royaume invisible, en rappelant à la mort son capricieux caractère de mystère immortel.Cette mort est double dans tous les sens. Soit un événement à la fois ironique et tragique, triste et simultanément à même de nous retirer de...

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