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Politique - Les échos de l’agora

La forme douce du suicide

Le pays se meurt broyé et le peuple s’amuse. L’image que donne le Liban en cette saison estivale est déroutante. Les vols vers Beyrouth sont archi-combles, les plages encombrées, les restaurants pleins et les night-clubs résonnent de millions de décibels. Pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de médicaments, pas de service public, paupérisation massive, on meurt à la porte des hôpitaux, l’État est aux abonnés absents. Seule la milice de Dieu, ou de son contraire, est là prête à se précipiter sur sa proie qu’elle hypnotise depuis plus de 15 ans et qu’elle a fini par réduire au statut peu enviable de peuple en état de totale sidération et d’hébétude. On en voudrait pour preuve l’épuisement du souffle de la révolte du 17 octobre 2019. Blaise Pascal dirait à propos de ce paradoxe : Non ? les Libanais ne s’amusent pas, ils se livrent au « divertissement » qui nous console certes, mais qui est notre plus grande misère. Se divertir est ici entendu dans son sens étymologique d’esquiver et de se détourner d’une réalité déplaisante. Cette dernière n’est pas un mal circonstanciel comme un échec ou un deuil, mais un malheur constitutif, une impasse tragique.

Depuis plus d’un demi-siècle, le Liban baigne dans l’obscurité d’une nuit existentielle emplie de la présence obsédante d’un jeu de forces qui le dépassent, mais qu’il a cru pouvoir manipuler et apprivoiser par fourberie. Le destin écrase le Libanais moyen qui n’entrevoit rien au-delà du constat d’impuissance. La seule vraie sagesse est sans doute de prendre conscience que l’échec est total, que le Liban a perdu. Suffisamment résignés et instruits par leur itinéraire de souffrance, il ne reste plus aux Libanais que l’évasion, tant leur incapacité à métamorphoser le destin en histoire est grande. Mais comment s’évader ? Comment détourner, ou divertir, la fatalité implacable? Le romancier Jabbour Douayhi a parfaitement compris le piège de l’homme libanais. Ses héros sont invariablement prisonniers de sables mouvants qui, peu à peu, vont les engloutir. Nous y sommes. Ce constat est vrai pour l’État, mais aussi pour la population.

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Banalisation du mal politique

Le processus tragique « consiste toujours en une entreprise de désappropriation, de désintégration : aliéné, possédé par une force extérieure qui tantôt procède par enveloppements insidieux et tantôt s’abat sur sa proie en un rapt violent, le personnage tragique est un être qui ne dispose pas d’un espace de décision et d’action ». Toutes les tentatives pour briser l’étau, bien loin de le dégager de l’étreinte, « achèvent de la refermer sur lui et de le bousculer vers l’impasse fatale » (J. Salem).

Comment faire face à l’implacable destin ? En faisant l’impasse sur la temporalité. Certains, conscients de leurs limites et de leur défaite totale, savent qu’ils ont perdu et vont jusqu’au bout du face-à-face avec dignité. Ils quittent l’histoire par le suicide. D’autres se laissent abandonner à un hédonisme résigné qui est la forme douce du suicide. Tel est le cas du Liban depuis 18 mois. Tout un florilège d’images, de manifestations, de rencontres virtuelles, d’écrits, de pétitions, d’événements et de programmes appartiennent au fond au divertissement pascalien « qui occulte dans le tourbillon de l’instant la présence insoutenable du destin cruel ou croit en apprivoiser l’image ». Jouissance sans désir, mais jouissance quand même. Les innombrables pétitions, rapports d’expertise et programmes concoctés illustrent le paradoxe d’une situation où un tel hédonisme vide la parole elle-même de sa fonction signifiante. Elle ne traduit plus désormais que l’inutile effort pour briser le mal.

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Un tel constat est effrayant. Le peuple libanais va-t-il enfin prendre humblement son destin en main ? Est-il devenu adulte ? Peut-il entreprendre cette révolution salutaire, contre lui-même d’abord, et construire sa propre histoire ? L’assassinat de la ville de Beyrouth et de sa population, le 4 août 2020, a peut-être été un tournant décisif. La caste dirigeante est enfin démasquée. La tragédie libanaise pourrait-elle se muer en histoire ? Le Libanais semble prendre conscience de l’urgente nécessité de l’action politique loin de la susceptibilité narcissique des ego. La société dite civile va-t-elle enfin comprendre que son aversion affichée de la « politique » est l’accomplissement même du processus infernal ? La fatalité qui les broie ne demande aux citoyens libanais qu’une chose : s’éloigner de la temporalité du politique et s’enivrer de toutes les variétés possibles de l’hédonisme résigné, formes les plus douces du suicide.

Vive la révolution.

Le pays se meurt broyé et le peuple s’amuse. L’image que donne le Liban en cette saison estivale est déroutante. Les vols vers Beyrouth sont archi-combles, les plages encombrées, les restaurants pleins et les night-clubs résonnent de millions de décibels. Pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de médicaments, pas de service public, paupérisation massive, on meurt à la porte...

commentaires (5)

Un article décevant….

Eleni Caridopoulou

19 h 34, le 13 juillet 2021

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Un article décevant….

    Eleni Caridopoulou

    19 h 34, le 13 juillet 2021

  • Bel article, mais manque l'incapacite des libanais de reconnaitre et comprendre la realite.

    SATURNE

    16 h 51, le 13 juillet 2021

  • Les libanais sont ce qu’ils sont et ne changeront pour rien au monde. Il n’y a qu’à lire certains commentaires absurdes pour réaliser à quel point le libanais est obtus et content de l’être. Peut être que cette vie de chaos après tout leur convient mieux que de vivre dans un pays démocratique, civilisé et développé. Ne dit on pas qu’on a les gouvernants qu’on mérite? J’ajouterai, et le pays qui va avec.

    Sissi zayyat

    13 h 12, le 13 juillet 2021

  • ""cette saison estivale est déroutante."" ""Le peuple libanais va-t-il enfin prendre humblement son destin en main? "" ""La caste dirigeante est enfin démasquée."" ""Un tel constat est effrayant"" j'ajouterais que ce meme constat Confirme sans aucun doute l'artificialité de ce Liban des sa creation .

    Gaby SIOUFI

    09 h 29, le 13 juillet 2021

  • Cher Mr. Courban, votre plume est tres artistique, mais la substance n’y ait pas. Pas d’explications pour le triste état, pas de mention de noms d’oligarques ou de politiciens vereux. Une petite recherche sur le Net pour les plus riches libanais revèle les noms de 8 Milliardaires: 3 Mikati, et 5 Hariri, qui ont eté ou sont des politiciens, ou bien connectés avec les politiciens. Et aussi les millionaires qui sont la plupart des chefs de clans. Qu’ont ils ont fait pour aider leur compatriotes a long terme? Pour batir un etat moderne et une economie productive? Ou sont-elle placées leur fortunes? Peut-etre avec l’aide du chef de la Banque du Liban, qui est bien connecté avec ces clans, et que la Presse indique a réussi a sortir de vaste fonds vers l’Europe? Pourquoi avez-vous evité de mentionner des noms? Mais au moins VOUS AVEZ TROUVE LA BETE NOIRE qui est la cause de TOUS les problemes du Liban: le Parti de Dieu!! (qui au moins aide ses partisans les plus démunis?).

    Athanassiou, Alex

    05 h 33, le 13 juillet 2021

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