Le juge d'instruction chargé d'enquêter sur la double explosion au port de Beyrouth, Tarek Bitar, a rejeté lundi la demande que lui avait adressée vendredi le législatif concernant des "indices supplémentaires de culpabilité" des trois députés et anciens ministres inculpés dans cette affaire afin de statuer sur la levée de leur immunité. Selon plusieurs médias locaux, la décision du juge Bitar se base sur plusieurs articles du règlement interne de la Chambre concernant la procédure de levée d'immunité et sur le principe du secret l'enquête.
Ces informations ont été confirmées par le juriste et directeur de l'organisation Legal Agenda, Nizar Saghieh, dans une série de tweets. "Le juge Bitar a donné une leçon de droit au Parlement et leur a fait savoir qu'il ne leur remettrait aucun nouveau document parce que leur demande enfreint le secret de l'enquête et la loi", a-t-il écrit. Il a accusé le législatif d'avoir voulu "protéger" les députés Nouhad Machnouk, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter en "falsifiant" l'article 91 du règlement interne de la Chambre. Cet article oblige le juge d'instruction à envoyer un "résumé" des indices de culpabilité, "ce qu'a fait Tarek Bitar", et non la totalité de ces indices, comme l'avait réclamé le Parlement.
Le juge Bitar avait demandé la levée d'immunités de ces trois députés et anciens ministres "en vue de les inculper et d'intenter des poursuites pour éventuelle intention d'homicide", mais aussi pour "négligence et manquements", les responsables "n'ayant pas pris les mesures nécessaires pour éviter au pays le danger de l'explosion".
Réunis vendredi, le bureau de la Chambre et la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice avaient toutefois demandé davantage d'indices de culpabilité des députés mis en accusation par le juge et de poursuivre leur examen du dossier afin de présenter un rapport à l'Assemblée générale d'ici deux semaines. D'autant que deux personnalités incriminées sont proches du président de la Chambre Nabih Berry : Ali Hassan Khalil, son bras droit politique, et Ghazi Zeaïter, un membre de son groupe parlementaire. M. Machnouk était pour sa part membre du courant du Futur, mais ses relations se sont depuis dégradées avec son chef Saad Hariri. En plus des députés, des poursuites ont été lancées contre le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim - dont le ministre sortant de l'Intérieur, Mohammad Fahmi, avait refusé vendredi la comparution devant la justice - ainsi que l'ancien ministre Youssef Fenianos, l'ex-commandant en chef de l'armée Jean Kahwagi, plusieurs officiers et le chef de la Sécurité de l’État Tony Saliba.
"Que les coupables soient jugés"
Dans ce contexte actuel d'interférences politiques, le Premier ministre sortant Hassane Diab a démenti des informations publiées par le quotidien al-Akhbar selon lesquelles il aurait demandé à consulter le Comité de la législation et des consultations au ministère de la Justice afin de recevoir un avis sur une comparution du général Saliba, considéré comme proche de la présidence de la République. "Ces informations ne sont pas vraies", a affirmé la présidence du Conseil dans un communiqué.
De son côté, le chef des Forces Libanaises Samir Geagea a estimé dans une déclaration au quotidien an-Nahar que sa formation était pour la levée de l'immunité parlementaire des personnalités poursuivies. "Tout le monde affirme qu'il veut la vérité, comment parviendrons-nous à la vérité si on ne laisse pas le magistrat en charge de l'enquête accomplir son travail ?". "Il y a un groupe de forces (politiques) qui ne veut pas de la levée des immunités", a ajouté M. Geagea. "Pour notre part, nous souhaitons qu'elles soient levées immédiatement".
Le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), Gebran Bassil, s'est également dit en faveur d'une levée des immunités. "Que la justice suive son cours, que les coupables soient jugés et ceux accusés injustement innocentés", a-t-il écrit dans un tweet. "Il y avait évidemment des gens, dont certains dans des postes de responsabilité, qui étaient au courant au sujet du nitrate (d'ammonium) et son utilisation et qui se sont tus. Il serait injuste qu'ils ne soient pas condamnés, a-t-il ajouté. "Mais il est aussi injuste que soient condamnés ceux qui savaient, qui ont fait leur travail et ne se sont pas tus !"
Report des auditions et sit-in
Le magistrat devait par ailleurs entamer dans la journée une série d'interrogatoires de personnes liées à l'affaire, sans toucher pour le moment à la classe politique, mais ces auditions ont été reportées en raison de la grève des avocats du Barreau de Beyrouth. Tarek Bitar aurait du entendre l'ancien directeur des services de renseignement de l'armée, le général Camille Daher, mais son audition a été reportée au 23 juillet prochain. Le général Jawdat Oueidate, officier à la retraite, devrait quant à lui comparaître mardi devant le magistrat, selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle). Il n'est pas clair pour l'instant si sa comparution sera ou non maintenue.
Et sur le terrain, des proches de victimes de la double explosion ont tenu des sit-in lundi soir devant le domicile de Nouhad Machnouk, à Koraytem, ainsi que devant chez Ghazi Zeaïter. Samedi soir, les parents de victimes s'étaient déjà mobilisés en bas de la maison de M. Machnouk et devant celle de Mohammad Fahmi, qui les avait brièvement reçus.
Depuis quand un parlement se mêle d’une enquête criminelle? A moins d’être complice lui-même , ou certains de ses membres les plus influents de ce crime…! Depuis quand un juge livre les éléments d’enquête de son dossier a des députés, pour qu’ils décident s’ils protègent leur collègue contre la justice, ou bien s’ils aident cette dernière à faire la vérité sur un dossier criminel..??
22 h 24, le 12 juillet 2021