Rechercher
Rechercher

Politique - Décryptage

À Tripoli, une colère justifiée, non un plan prémédité

Après la flambée de mercredi, la journée de jeudi était calme à Tripoli. La ville, qui était devenue à partir d’octobre 2019 un des symboles de la révolte populaire, a failli mercredi déraper vers un scénario de violence qui n’était pas sans rappeler les fameux rounds de la guerre, ou même les affrontements entre Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané entre 2012 et 2014, ou encore l’épisode de l’incendie d’une partie du bâtiment de la municipalité par les manifestants en janvier 2021. Il a fallu qu’une rumeur sur la mort d’un enfant malade suite à une coupure de courant, qui a entraîné l’arrêt de son appareil respiratoire, se répande dans le quartier de Bab el-Tebbané pour qu’aussitôt les habitants descendent dans la rue, laissant ainsi éclater leur colère et leur révolte.

Que l’enfant en réalité et heureusement ne soit pas mort, même si son père a effectivement sillonné les rues de la ville à la recherche de courant électrique pour le sauver, n’était plus important. Excédés par leur quotidien fait de crises multiples, les habitants du quartier ne voulaient plus rien entendre, mais juste exprimer leur ras-le-bol.

Lire aussi

À Tripoli, le « black-out » total est déjà (presque) une réalité

Comme c’est souvent le cas dans cette ville complexe, qui n’a jamais vu se concrétiser les promesses de projets de développement, certains jeunes sont aussitôt descendus dans la rue en portant des cagoules et des armes. Le phénomène s’est étendu à d’autres quartiers, comme celui de Tall et de Kobbé. Les tirs ont alors résonné dans tous les coins de la ville, prenant au passage pour cible les soldats de l’armée, chargés de maintenir le calme dans la ville. D’ailleurs, les explosions de colère populaire sont intervenues au moment où le Conseil de défense réuni à Baabda décidait de renforcer les mesures de sécurité sur l’ensemble du territoire, pour éviter toute tentative de déstabilisation qui chercherait à profiter de la crise économique, sociale et financière sans précédent que traverse le pays.

Pris pour cible, les soldats ont riposté, tout en adoptant à la hâte un plan de « semi-retrait » pour ne pas se retrouver en confrontation directe avec les jeunes en colère. Ils se sont ainsi déployés dans d’autres quartiers en essayant de reprendre petit à petit le contrôle des rues envahies par les manifestants. La tension a duré quelques heures. En dépit de certains appels à manifester jeudi, le calme a régné dans la ville, tout au long de la journée.

Immédiatement, les milieux politiques (et diplomatiques) se sont demandé si l’explosion de colère de mercredi était un avant-goût de ce qui allait se passer à Tripoli au cours des prochaines semaines et peut-être s’étendre à d’autres régions du pays, annonçant ainsi le chaos dont on menace le Liban depuis des mois.

Des sources de sécurité bien informées se veulent toutefois rassurantes. Dans leur optique, ce qui s’est passé mercredi est tout à fait compréhensible dans une ville comme Tripoli où le taux de misère est très élevé et où les services publics sont pratiquement inexistants. Toujours selon ces mêmes sources, contrairement à ce qui se dit dans les médias, ce qui s’est produit n’a aucune dimension régionale ou même politique. Il ne s’agirait donc pas d’un mot d’ordre turc, comme cela a été écrit, pour montrer que la Turquie a renforcé son influence dans la ville au détriment des pays du Golfe. De même, le mouvement de protestation de mercredi ne s’inscrirait pas dans un agenda politique lié à la formation du gouvernement. Si c’était le cas, la colère – qui avait poussé les manifestants à incendier le bâtiment de la municipalité à la fin du mois de janvier – se serait étendue au lieu d’être rapidement circonscrite. On se souvient que le 28 janvier, des jeunes avaient tenté de mettre le feu au sérail de Tripoli. Devant la réaction ferme des forces de l’ordre, ils se sont dirigés vers le bâtiment de la municipalité qu’ils ont incendié en partie. Le chef du courant du Futur Saad Hariri avait alors publié un communiqué dans lequel il avait critiqué l’armée qui, selon lui, n’avait pas fait le nécessaire pour protéger le lieu. La polémique avait duré quelques jours avant que les choses se tassent, et l’armée avait alors bien expliqué qu’elle est, avec les autres forces de l’ordre, la gardienne de la sécurité sur l’ensemble du territoire, mais qu’elle refuse en même temps d’être placée en confrontation directe avec les manifestants.

Pour les sources sécuritaires précitées, s’il y avait un véritable agenda politique derrière les manifestants de Tripoli, le plan ne se serait pas arrêté en janvier. De plus, on ne peut pas empêcher les gens de laisser éclater leur colère quand ils manquent de tout et qu’on ne leur propose rien en contrepartie. Face au blocage politique qui prive le Liban d’un gouvernement en fonction au moment où il en a le plus besoin, comment pourrait-on museler les gens ? D’autant que la situation de Tripoli est particulière au plan de la pauvreté et de l’absence des services publics. De même, il y a dans cette ville une multitude de factions possédant des armes qui cherchent de temps en temps à rappeler leur existence, mais sans pour autant vouloir se lancer dans de nouveaux affrontements.

D’ailleurs, aucune partie précise ne s’est manifestée mercredi pour affirmer qu’elle a poussé les gens à descendre dans la rue. Aucun slogan politique n’a même été brandi par les manifestants. Ce qui, selon les sources précitées, montre bien qu’il s’agit d’une réelle explosion de colère populaire. Toutefois, la question qui se pose reste la suivante : qui a répandu la fausse rumeur sur la mort de l’enfant entre les bras de son père faute de courant électrique? Les mêmes sources précisent qu’il ne s’agit pas forcément d’un plan prémédité, la situation étant suffisamment grave pour justifier une révolte populaire... Le mieux serait donc de chercher des solutions aux multiples problèmes des Libanais au lieu d’évoquer des plans de déstabilisation. Mais de toute façon, les forces de sécurité restent en état d’alerte permanent.

Après la flambée de mercredi, la journée de jeudi était calme à Tripoli. La ville, qui était devenue à partir d’octobre 2019 un des symboles de la révolte populaire, a failli mercredi déraper vers un scénario de violence qui n’était pas sans rappeler les fameux rounds de la guerre, ou même les affrontements entre Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané entre 2012 et 2014, ou encore...

commentaires (3)

Tripoli la ville des Rififi..Si les ras-le-"boleurs" ne mangent pas à leur faim qu'ils bouffent les armes plutôt que de les braquer sur l'armée nationale.

Hitti arlette

14 h 57, le 05 juillet 2021

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Tripoli la ville des Rififi..Si les ras-le-"boleurs" ne mangent pas à leur faim qu'ils bouffent les armes plutôt que de les braquer sur l'armée nationale.

    Hitti arlette

    14 h 57, le 05 juillet 2021

  • Un constat simple sans aucune arrière pensée (bien entendu) : période 1989 : aventurisme militaire sous le slogan de la guerre de libération avec son lot de victimes et de destructions massives. Période 1990 : guerre fratricide entre les chrétiens avec son lot encore plus effrayant de victimes et de destructions. Résultat: le $ dépasse les 3000LL et l’armée syrienne occupe le pays jusqu’en 2005 avec son lot d’enlèvements, de pillages et d’humiliations pour une partie des libanais. Période 2016 à ce jour : pillage et détournement massifs d’argent public, corruption généralisée, réserves en devises BdL détournées et évaporées, détérioration de tous les services publics, libertés individuelles muselées, destructions massives dans la partie chrétienne de la capital avec son lot de victimes, pas de carburants, pas d’électricité, pas d’eau, pas de médicaments…. Le $ passe à 18.000LL, toute la population s'appauvrit sauf la classe politique, les hauts fonctionnaires, leurs proches et les initiés. Je laisse le soin à mes compatriotes de trouver le point commun entre toutes ces périodes et la probabilité de coïncidence

    Lecteur excédé par la censure

    12 h 41, le 05 juillet 2021

  • Oui le mieux serait de trouver des solutions. Qui a répandu la rumeur ou à qui profite le crime sont des questions tellement mal placées dans la situation de misère actuelle.

    Khazzaka May

    08 h 30, le 05 juillet 2021

Retour en haut