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Agenda - Le génocide arménien

Commémorations d’avril

Génocide des Arméniens. Guerre civile libanaise. Notre-Dame de Paris. Origines d’un premier exil, prémices d’un second, un vécu de celui-ci. Mon héritage, mes commémorations. Un beau roman, une belle histoire.

Cette année, la mort est passée par là. Cette mort dicte désormais la perception d’un passé à la lumière d’un présent, ce présent tellement fort qui a vocation à changer l’inchangeable, le passé, et à perturber le cours de l’histoire. Cette mort dégage des ondes de vie. Être témoin de nouvelles vérités, les assumer et donner un nouveau souffle au passé, c’est avoir une autre vision du passé, c’est changer le passé par la force du présent.

En avril, on commémore le début de la guerre civile libanaise, guerre dont on ne commémore jamais la fin. Qu’il fut pénible d’entendre cette année la génération ayant vécu cette guerre regretter les années 1975-1990, quand la dignité d’un être humain se conservait malgré tout. Ces années où l’on pouvait justifier la moindre difficulté par un contexte de guerre civile armée et vivre dans un optimisme de la voir finir un jour... Le Liban est-il en guerre civile froide aujourd’hui ? Parallèlement à toutes les crises que connaît le pays et qui s’empirent jour après jour, arrive la double explosion du 4 août, quand, en même temps que le cœur du pays, le cœur de tout Libanais explose. Il est facile de reconstruire les pierres, mais le cœur, lui, ne se reconstruit pas facilement. La peine du 4 août est la goutte qui fait déborder le vase qui continue à être débordé et qui sera bientôt englouti par l’eau qui l’entoure.

La destruction et la reconstruction, nous les commémorons en France aussi, avec l’incendie de la magnifique cathédrale de Notre-Dame de Paris. De Notre-Dame, j’en fais un symbole, celui du patrimoine qui se retrouve aujourd’hui de l’autre côté des frontières du pays qui porte officiellement l’identité de mes origines, ces monuments injustement oubliés par le monde, délaissés, incendiés, pillés, voire entièrement rasés. Du déterminisme de la ville de Paris à reconstruire Notre-Dame, je tire mon optimisme, celui d’entendre un jour la musique céleste de ces 1 200 cloches qui ne carillonnent plus, certaines depuis plus d’une centaine d’années, certaines depuis quelques mois. J’y vois la patrimonialisation et la protection de tous les monuments. J’y vois ma ville natale, détruite en une fraction de seconde, qui se reconstruit progressivement. J’y vois nos plaies qui se cicatrisent. Le rêve est un besoin vital. À travers la réalité de Notre-Dame de Paris, je construis mes propres rêves, qui sont ceux de tout un peuple.

Pourtant, il devient de plus en plus difficile de rêver : la 106e commémoration du génocide des Arméniens ne ressemble plus aux précédentes, depuis que le mot « génocide » fut remis sur la table en octobre dernier pour qualifier le nettoyage ethnique de la population du Haut-Karabakh. Le geste de Joe Biden enchante les esprits, mais la peine de la nation arménienne est bien plus forte. Elle prend le dessus de toute consolation verbale. Cette 106e commémoration, qui est en réalité double pour les Arméniens et pour le Liban, puisqu’elle englobe celle de la grande famine qu’a connue le Mont-Liban pendant la Première Guerre mondiale, qui atteint son apogée en avril 1915. Aujourd’hui, seuls les intellectuels et les connaisseurs s’en souviennent, alors que le pays se retrouve aux portes d’une seconde famine et qu’on ne connaît toujours pas les raisons de la première : pour certains, il s’agit d’une tentative de génocide perpétrée par l’Empire ottoman ; pour d’autres, des facteurs politiques externes sont surtout à prendre en considération ; les livres scolaires, quant à eux, mettent le paquet total sur l’invasion massive des sauterelles au Mont-Liban puisque, pour satisfaire tout le monde, il est plus facile d’accuser des animaux que des politiques...

Avril rassemble la mémoire des événements tragiques dont j’ai hérité et que j’ai vécus. Pourtant, en avril, la nature est vivante, les arbres verts, les champs colorés…

C’est également en avril cette année que le Christ est ressuscité. Le mois de ramadan aussi coïncide en partie avec le mois d’avril, l’occasion annuelle pour moi de renouveler ma reconnaissance envers la communauté musulmane que je côtoie depuis mon enfance et qui autrefois offrit refuge à mes ancêtres arméniens exilés sur ses territoires au Levant, et qui accueille aujourd’hui les bras ouverts mes compatriotes libanais, toutes confessions confondues, qui quittent leur patrie pour les pays du Golfe, cette communauté qui incarne aujourd’hui à mes yeux la seconde chance, le recommencement. Le bourreau centenaire des Arméniens est de cette même communauté, me dira-t-on. Apprenons cependant à dissocier l’humain de la haute politique, à réfléchir en dehors des généralités et à être reconnaissants quand il le faut.

Avril oscille entre vie et mort. Dehors, tantôt la pluie, tantôt le soleil. Nous retenons pourtant la fin de l’hiver et le début de l’été. Non, en avril, nous ne commémorons pas la mort. La nature nous le dit. Les faits nous le disent. Le langage aussi : « abril », avril en arménien, signifie vivre. Le Liban et les Libanais vivront. L’Arménie et les Arméniens à travers le monde vivront. Notre-Dame de Paris et Beyrouth retrouveront toute leur splendeur.

Génocide des Arméniens. Guerre civile libanaise. Notre-Dame de Paris. Origines d’un premier exil, prémices d’un second, un vécu de celui-ci. Mon héritage, mes commémorations. Un beau roman, une belle histoire.Cette année, la mort est passée par là. Cette mort dicte désormais la perception d’un passé à la lumière d’un présent, ce présent tellement fort qui a vocation à...