C’est une déclaration au vitriol qu’a lancée il y a cinq jours le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, avant de se faire éjecter du bloc du Liban fort dirigé par le chef du CPL, Gebran Bassil. « La solution idéale serait que l’armée prenne le pouvoir pour une période transitoire », a dit M. Ferzli. Selon son plan, le chef de l’armée Joseph Aoun prendrait ainsi les rênes après que les trois présidents – de la République, du Parlement et du Conseil – eurent consenti à se désister. C’était le mot de trop. Le vice-président du Parlement a non seulement appelé à la démission de Michel Aoun, mais a ouvert par la même la voie au commandant en chef de l’armée, l’un des principaux concurrents du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, à l’élection présidentielle.
Cet appel pour le moins surprenant de la part d’un membre du bloc aouniste a immédiatement suscité une réplique tout aussi virulente du conseiller du président Michel Aoun, Salim Jreissati, qui a coupé court à toute tentative de renversement de l’ordre établi. « Notre armée n’est pas l’armée d’un régime, mais celle d’une légalité constitutionnelle, et notre Constitution ne sera pas suspendue à chaque virage dangereux de notre vie publique », a-t-il martelé.
Deux jours plus tard, M. Ferzli est officiellement exclu des rangs du bloc aouniste pour ses propos perçus comme étant d’autant plus hostiles qu’ils émanent d’un personnage influent et membre du bloc du Liban fort. Proche allié du président du Parlement, Nabih Berry, et interlocuteur privilégié auprès du régime syrien, Élie Ferzli « n’est pas né de la dernière pluie », comme il aime à le répéter devant les journalistes. Son expérience politique et son influence au sein de la Chambre, dont il a occupé la vice-présidence à trois reprises, font de lui un allié de poids et, inversement, un adversaire redoutable. Le député de la Békaa-Ouest est connu pour ses sorties provocatrices. Il était l’un des onze députés à avoir été vaccinés le 24 février dernier au siège du Parlement, une affaire qui a fait scandale, et avait alors traité le directeur régional de la Banque mondiale, Saroj Kumar Jha, de « menteur ».
Issu des milieux politiques conventionnels, ce vieux routier, réputé pour être l’un des membres de la classe politique les plus rusés, opère dès 2013 un rapprochement contre nature avec le CPL, tant il est vrai qu’il incarne tout ce que les aounistes affirment vouloir combattre. Le courant aouniste, qui commençait alors à faire évoluer sa rhétorique vers la défense des droits chrétiens, est alors séduit par un projet de loi électorale proposé par M. Ferzli, celui dit du « Rassemblement orthodoxe ». Le texte est basé sur une proportionnelle intégrale et prévoit que chaque citoyen vote pour un candidat de sa propre communauté religieuse.
« Nous allons faire la guerre au haririsme »
Son divorce – définitif cette fois-ci – du CPL n’est en tous les cas pas le fruit des derniers déboires dont a témoigné la scène politique interne, mais plutôt l’exacerbation d’une série de divergences avec le parti de Gebran Bassil. Celles-ci ont culminé avec l’affaire de la procureure près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, dont il a dénoncé l’insubordination à la hiérarchie judiciaire, affirmant craindre la « dissolution délibérée du corps judiciaire, tout à fait comme ce qui se passe au niveau de toutes les institutions ». Depuis près d’un an, M. Ferzli n’assiste plus aux réunions de son bloc qu’il boycotte en raison de « différences irréconciliables sur un ensemble de dossiers ». Le premier incident qui a suscité ses appréhensions était, dit-il, les propos incendiaires de Gebran Bassil qui affirmait, lors de la commémoration du 13 octobre 2019, vouloir « renverser la table ». « Je n’ai pas trop insisté, estimant que cela faisait peut-être partie d’une tactique quelconque pour séduire la base populaire aouniste », dit-il. Ces propos, qui sonnaient à l’époque comme une menace de coup d’État, ont été immédiatement atténués par le CPL après le tollé qu’ils ont provoqué, le courant ayant considéré que la déclaration de M. Bassil reflétait une « rébellion contre la situation économique plutôt que sur quiconque ».
Si cet incident lui a mis la puce à l’oreille, comme il dit, la gêne s’est approfondie avec les mises en garde lancées par le CPL à Saad Hariri quelques jours avant sa démission début novembre 2019. Salim Jreissati et Gebran Bassil avaient fait comprendre au Premier ministre qu’il pourrait démissionner seulement si le chef du CPL décidait de démissionner, et vice sera, rappelle M. Ferzli. Une logique qu’il contestait, ne pouvant accepter que Gebran Bassil se hisse au rang du Premier ministre.Le point de bascule surviendra en octobre 2020, lorsque le vice-président de la Chambre suggère au chef du CPL de soutenir en force la nomination de Saad Hariri, de faire profil bas et de ne pas participer au gouvernement, mais de se faire représenter par le biais de candidats proches de la formation. La logique soutenue à l’époque par M. Ferzli était que le combat des réformes devait se faire à partir des institutions et de l’establishment politique en présence, et non dans la rue. En tant que parti chrétien, le CPL devait également jouer le rôle de médiateur entre sunnites et chiites. Cela signifie qu’il fallait, d’après lui, rester en bons termes aussi bien avec le Hezbollah qu’avec le courant du Futur. « La réponse des aounistes à ma proposition a aussitôt fusé : nous allons faire la guerre au haririsme, m’avaient répondu en chœur Gebran Bassil et Selim Jreissati », raconte M. Ferzli. Saad Hariri est alors désigné avec 65 voix, dont celle d’Élie Ferzli, se démarquant alors du bloc aouniste qui refuse de nommer le chef du courant du Futur. Ce divorce progressif finit par le rapprocher de plus en plus de Saad Hariri. Plus la relation entre le CPL et le chef du Parlement se dégradait, plus le fossé entre Élie Ferzli et le CPL s’élargissait.
La défense du secteur bancaire
Par la suite et dans la foulée du bras de fer entre le CPL et le chef du Futur, les points de désaccord entre M. Ferzli et les membres de son bloc se sont multipliés, notamment au sujet du défaut de paiement des eurobonds par le Liban, décidé par le gouvernement de Hassane Diab. Si cette décision a été appuyée par la communauté internationale, M. Ferzli considère qu’elle a été prise sur incitation des aounistes. « J’étais absolument contre le fait de se mettre à dos le secteur bancaire – le pilier principal du Liban –, principalement détenu par les chrétiens », dit-il. Puis est survenue l’affaire de Ghada Aoun qui mène depuis une semaine une guerre de tranchée contre le Conseil supérieur de la magistrature, plus principalement le président du parquet, Ghassan Oueidate.
Pour Élie Ferzli, c’est la goutte qui a fait déborder le vase. « Pour moi, le courant aouniste a échoué à édifier un État. Aujourd’hui, l’équation devant laquelle il place les Libanais est la suivante : Gebran Bassil ou le chaos », déplore encore le vice-président du Parlement. L’Orient-Le jour a contacté, en vain, plusieurs membres du bloc du CPL pour recueillir leur version des faits.
Bassil vs Ferzli = blanc bonnet , bonnet blanc ! ;-)
19 h 26, le 25 avril 2021