Entretiens

André Abou Chacra : « Les élèves trouvent en Baudelaire un “frère”. »

Enseigner Baudelaire à l'école est une mission difficile dont peu d'enseignants parviennent à s'acquitter avec brio. Parmi ces profs, il en est un qui, de l'avis de milliers d'élèves formés par ses soins, a su transmettre sa passion pour l'auteur des Fleurs du Mal avec beaucoup d'enthousiasme : André Abou Chacra, professeur de Lettres et préfet au Collège Notre-Dame de Jamhour entre 1965 et 1989, avant d'intégrer le collège Saint-Martin de France à Pontoise où il a exercé son métier avec le même enthousiasme jusqu’en 2010. Professeur de français, Monique Géara l'a interrogé pour L'Orient littéraire sur la perception de l'œuvre de Baudelaire par les jeunes :

Homme de son temps, bien ancré dans son époque, Baudelaire continue pourtant à susciter de nombreuses études…

En effet ! Quand on dresse la liste des biographies, des thèses, des critiques et des analyses autour de Baudelaire et de son œuvre, on est en droit de se demander pourquoi un tel intérêt, pourquoi un tel engouement et pourquoi une telle actualité. On pourrait ainsi s’imaginer que « tout a été dit »... et pourtant !

Selon vous, l’enseignement de l’œuvre de Baudelaire au collège et au lycée est-il le chemin propice pour initier les élèves à la « vraie poésie » ?

Je vois encore le regard curieux de mes élèves quand j’entamais en classe la présentation de Baudelaire par cette phrase : « Tu m’as donné ta boue et j'en ai fait de l'or ». Et commençait alors la découverte progressive de ce grand alchimiste... Professeur de Lettres pendant près de 40 ans, j’attendais impatiemment le moment où je pourrais faire avec eux ce « voyage » en espérant les voir « lever l’ancre », fût-ce pour quelques minutes ! Si son œuvre maîtresse Les Fleurs du Mal est controversée, elle demeure une référence pour le lecteur qui peut mesurer combien le poète a réussi à transformer le réel, fût-il souvent plus difficile à supporter que ce « couvercle qui nous verse un jour plus triste que les nuits ».

Quelles sont les raisons pour lesquelles vous encouragerez les jeunes d’aujourd’hui à lire Baudelaire : est-ce le poète de la mélancolie et du spleen, le poète amant, le poète transfigurant la laideur en beauté, ou bien, privilégiez-vous une autre dimension ?

À l’âge de l’adolescence, les élèves trouvent facilement en Baudelaire le « frère » chez qui l’horizon est bouché « quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle »... Ils s’identifient avec complaisance à ce poète souffrant, plongé dans cet ennui profond... « jeune et pourtant très vieux » (Dieu, que la diérèse est bien placée !). Si, pour Baudelaire, l’ennui est aussi cette incapacité à briser les chaînes du réel, son œuvre n’est-elle point une invitation au « voyage » pour trouver du nouveau ? Toute la magie des « Correspondances » n’est-elle point un tremplin pour que l’adolescent puisse s’envoler « bien loin de ces miasmes morbides » et « trouver du nouveau » ?

Baudelaire n’est-il point ce poète-créateur, véritable alchimiste qui permet encore aux jeunes d’aujourd’hui de rêver un monde moins gris et où « tout n'est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté » ? Poète aux multiples paradoxes, n’est-il pas tantôt cet Icare aux ailes brisées ou cette cloche fêlée, et tantôt cet enfant qui s’enivre de soleil et « dans tout ce qu’il boit et dans tout ce qu’il mange/retrouve l’ambroisie et le nectar vermeil » ? Présenter Baudelaire aux élèves du lycée, c’est donc les inviter à chercher cette pierre philosophale pour pouvoir « comprendre sans effort/ Le langage des fleurs et des choses muettes ».

Enseigner Baudelaire à l'école est une mission difficile dont peu d'enseignants parviennent à s'acquitter avec brio. Parmi ces profs, il en est un qui, de l'avis de milliers d'élèves formés par ses soins, a su transmettre sa passion pour l'auteur des Fleurs du Mal avec beaucoup d'enthousiasme : André Abou Chacra, professeur de Lettres et préfet au Collège Notre-Dame de Jamhour...

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