Une nouvelle guerre froide

Dernier tsar de Russie, Vladimir Poutine est, en réalité, le plus grand perturbateur de l’ordre mondial.

En 2015, prétextant une lutte antiterroriste, Poutine soutient Bachar el-Assad dont il devient l’allié principal. Quant à la Syrie, elle devient le « terrain d’expérimentation d’une armée russe modernisée ». Cette intervention militaire ouvre à la Russie « les portes d’un retour spectaculaire sur la scène internationale ». Loin d’être un fait isolé, cette intervention fait partie d’un vaste projet habilement dissimulé.

En effet, lorsque Poutine est arrivé au pouvoir, la Russie avait besoin d’une restructuration politique et économique afin de retrouver sa place de puissance égale aux États-Unis. Comme cette restructuration aurait pris trop de temps, il a choisi un autre chemin : perturber l’ordre international tout en étendant son pouvoir sur la société russe.

Cela se traduisit par un durcissement du régime, notamment par l’élimination des opposants et l’assassinat de journalistes. Alors que le système russe est passé d’un régime mixte à un autoritarisme pur, « la propagande est devenue plus grossière, la contre-propagande plus agressive et les mensonges plus effrontés ».

D’autre part, Poutine n’a cessé d’accroître son emprise sur les pays voisins relevant de son « étranger proche ». À titre d’exemple, en 2008, il amputait la Géorgie de 20% de son territoire ; en 2014, l’Ukraine perdait la Crimée, purement et simplement annexée… Poutine dénonce l’encerclement de la Russie par l’Otan et refuse aux anciennes républiques de l’URSS le droit de choisir librement leur adhésion.

Cette nouvelle guerre froide contre l’Occident se déroule « sans règles ». Dans cette « lutte incessante mais jamais avouée », les alliés de Moscou sont, entre autres, la Chine, la Turquie, l’Égypte et l’Inde qui combattent les droits fondamentaux et la démocratie. Poutine est un « redoutable organisateur du travail de sape de l’ordre international ». Il a mis en œuvre une implacable « stratégie du désordre : ingérence politique tous azimuts, renforcement de l’influence des populistes dans les démocraties, attaques contre les droits de l’homme et le droit international humanitaire, corrosion de l’influence occidentale, annexion et déstabilisation d’États souverains, accroissement des tensions internationales, dérégulation de la guerre, instrumentalisation du terrorisme et même paralysie des Nations Unies. »

Dans leur ouvrage La Stratégie du désordre, co-écrit au terme d’une minutieuse enquête, Julien Théron et Isabelle Mandraud, dénoncent la « léthargie » de certains chefs d’État occidentaux qui se perdent entre hésitation et bienveillance… Et « plus l’Occident tempère, plus Poutine avance ». Julien Théron avoue pourtant douter de l’efficacité à long terme de cette stratégie ; d’une part parce que la Russie n’exerce aucune attraction sur son « étranger proche » où les gouvernements « oscillent entre rejet et acceptation forcée » ; d’autre part parce que « la société russe n’a toujours pas renoncé à la démocratie ».

Dans son ouvrage La Russie entre deux mondes, Hélène Carrère d’Encausse vantait les nombreuses qualités de Poutine ; il est vrai qu’il a pu, à une certaine époque, passer pour un libéral, mais il n’en est rien… C’est un homme secret qui gouverne son pays d’une main de fer. Après vingt ans d’exercice du pouvoir, « Poutine demeure un inconnu. C’est un dirigeant froid, inaccessible ».

Dans son ouvrage La Reconquête russe paru en 2009, Laure Mandeville analysait déjà, d’une part, l’échec de la démocratie en Russie et, d’autre part, la « contre-attaque » d’un État qui cherchait à reconquérir ses satellites perdus. Toutefois, Isabelle Mandraud et Julien Théron vont beaucoup plus loin ; en effet, il ne s’agit plus simplement de reconquérir des satellites perdus mais bien d’inscrire cette reconquête dans un processus global qui avait réussi à demeurer, jusqu’ici, des plus opaques et dont les étapes sont décryptées et expliquées, exemples à l’appui, dans cet ouvrage qui éclaire d’un jour nouveau ce que nous savions sans en avoir saisi la portée et sans l’avoir véritablement compris.

Lamia el-Saad

Poutine. La Stratégie du désordre d’Isabelle Mandraud et Julien Théron, éditions Tallandier, 2021, 384 p.