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Centenaire Grand Liban : lecture économique

Cent ans d’industrie : un potentiel certain et des opportunités manquées

Cent ans d’industrie : un potentiel certain et des opportunités  manquées

Durant les années 1960 du siècle dernier et jusqu’au milieu des années 1970, le Liban a consolidé sa présence industrielle. Photo DR

À aucun moment les liens entre l’industrie libanaise et les conditions économiques, voire socio-politiques, du pays n’ont été aussi liés que durant cette période de cent ans qui ont connu, à l’image du pays, des hauts et aussi beaucoup de bas. Durant la Première Guerre mondiale, l’industrie était formée principalement de petits ateliers au niveau artisanal qui ont évolué dans plusieurs secteurs. La politique du mandat a encouragé l’importation des produits fabriqués en France, ce qui n’a certainement pas aidé à promouvoir la production locale. Il n’en demeure pas moins que les perturbations qui ont été provoquées par la guerre mondiale ont eu aussi des répercussions sur la disponibilité de beaucoup de produits, encourageant ainsi la production locale.

Bien que l’industrie fût principalement axée sur l’activité artisanale, un essor industriel s’est produit entre les années 1926 et 1940 avec des investissements importants dans le secteur textile, dans la cimenterie, la production de savon, les tanneries et la production des meubles et du mobilier, ainsi que l’industrie papetière. Mais toujours est-il que la prépondérance était à l’activité artisanale.

L’essor économique industriel a eu lieu avec la Seconde Guerre mondiale, à la suite de la perturbation des voies maritimes, et aussi du fait de la demande accrue occasionnée par la présence des forces étrangères établies dans la région. Cela a poussé nombre d’industries à travailler à plein régime, et aussi à développer leurs capacités de production et à introduire de nouvelles activités commerciales, comme ce fut le cas de certaines industries métallurgiques, le verre, et aussi les imprimeries et le carton.

De nouvelles activités industrielles

À partir de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie a connu un essor assez rapide qui a atteint 13,5 % du PIB en 1950, avec la présence de 1 861 usines en 1955, parallèlement à l’essor d’une industrie agroalimentaire assez importante. En 1959, le secteur industriel représentait déjà la troisième position en tant que contribution au PIB, employant au total pas moins de 40000 personnes. Toutefois, l’essor économique a connu plusieurs obstacles et plusieurs contraintes, comme par moments le manque de certaines matières premières locales, les prix élevés de l’énergie, ainsi que certaines difficultés à l’exportation à cause d’une féroce compétition étrangère.

Durant la période des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970, le Liban a commencé à consolider sa présence industrielle avec une poussée de nouvelles activités industrielles, comme la transformation des produits métallurgiques, les produits chimiques, les produits pharmaceutiques, ainsi que le développement des industries existantes.

Cette époque a connu aussi une prise de conscience, tant au niveau du grand public que des responsables politiques, de l’importance des activités productives.

À cet effet, plusieurs institutions ont été créées comme l’Institut de recherches industrielles (IRI) ainsi que la Libnor en 1962. Cela a été aussi accompagné par des institutions dédiées au financement de l’industrie, comme la Banque du Crédit agricole, industriel et foncier, dédiée entre autres, principalement, à l’activité industrielle.

Le Liban comptait déjà à cette époque 9 840 usines en 1974 avec 140 000 personnes travaillant dans le secteur. Des mesures concrètes prises dans les années 1980 ont permis un essor sans pareil, un essor de l’industrie textile et de confection qui, à un moment donné, comptaient non moins de 400 entreprises et représentaient 12 % de nos exportations. Il en a été de même pour le secteur de la maroquinerie et la fabrication de chaussures. À cette époque-là, les exportations industrielles représentaient plus de 70 % de nos importations, alors que ce ratio ne dépasse pas dernièrement les 15 % !

La force de résilience

Il ne faut pas oublier que l’industrie libanaise a payé le prix de la guerre, et on s’interroge sur le fait de savoir si la destruction des zones industrielles était voulue et programmée, comme à Mkallès, Naamé et Choueifate, où des dizaines d’usines ont été bombardées, saccagées, occasionnant des pertes d’emplois substantielles ainsi que la perte de marchés étrangers et la perte de la main-d’œuvre qualifiée. Cette dernière, à un moment donné, était la force du Liban, et elle a permis de contribuer largement au développement de la classe moyenne libanaise, laquelle était en fait l’une des forces de la démographie libanaise. Il reste que beaucoup d’industriels n’ont pas baissé les bras. Ils se sont agrippés à leurs institutions, ils ont continué à persévérer et à défier tous ces aléas.

Aujourd’hui, on voit toujours des institutions, comme dans l’industrie de l’ameublement (Elcir), l’industrie de la confiserie (Gandour), l’industrie du papier et du carton (les établissements Gemayel), qui ont été dévastées et saccagées, mais qui existent toujours et qui rayonnent même à l’étranger à partir du Liban. L’usine Elcir est, à titre d’exemple, le fournisseur de grandes chaînes internationales d’hôtellerie. Elle a fourni la Deutsche Bank à Paris, et des hôtels dans les îles Cayman. Gandour rayonne en Arabie saoudite, en Égypte et en Inde !

C’est donc dû à cette force de résilience que certains industriels ont pu pérenniser leurs entreprises malgré toutes les difficultés. Il faut reconnaître aussi que plus tard, beaucoup de dégâts ont perturbé et même dévasté l’industrie, après la guerre de 2006 et d’autres incidents destructeurs…

Toutefois, il ne faut pas oublier que les exportations industrielles ont atteint à peu près 4,5 milliards de dollars en 2011, et l’industrie libanaise a pu accéder aux marchés les plus exigeants, exportant en Europe, aux États-Unis, au Japon, des produits de grande qualité selon des standards internationaux… Tout cela malgré des désavantages concrets, que ce soit en termes de coûts d’énergie ou bien de contrebande, ainsi que du dumping que subissaient ces industriels sur le marché local.

Malheureusement aussi, l’industrie a perdu un certain nombre d’entités qui étaient aussi des fleurons à un moment donné, comme Procter & Gamble, Bata, Red Shoe, Hashim, Gerard, Warner Lambert, Uniceramic, LEFA, ou aussi Soliver et Maliban, qui a été bombardé et n’a plus repris. Plusieurs fleurons dans l’industrie du textile et de la confection ont dû fermer boutique. Cela a certainement occasionné des pertes énormes d’emplois, donc des répercussions sur l’activité économique.

L’exemple des Phéniciens

Il ressort ainsi que l’industrie a été une conséquence de cette politique économique, mais aussi une cause majeure des problèmes socio-économiques, dans le sens que le manque patent de vision et d’une stratégie industrielle qui consolide l’industrie n’a pas favorisé l’activité industrielle établie qui reposait sur l’engagement individuel de l’industriel, lequel à son tour était assujetti à des contrebandes, à des importations en dumping, sans mentionner une panoplie de surcoûts !

Les industriels libanais n’ont pas été soutenus. Nombre d’industries se sont effondrées et seuls quelques téméraires ont continué et ont assuré quand même 12 % de notre PIB. En définitive, l’industrie n’a pas pu contribuer, comme elle aurait pu le faire, à la création d’emplois ou au maintien des emplois. Le pays tout entier paie aujourd’hui le prix de cette politique puisque nous regorgeons de jeunes qui cherchent des emplois et qui malheureusement se rabattent sur l’émigration.

Il ne faut pas oublier aussi que les industriels libanais rayonnent par leurs produits de par le monde, mais aussi par leur présence directe en acquérant et en dirigeant des usines (que ce soit dans les pays arabes, en Afrique, et même en Europe ou aux États-Unis) à partir du Liban. Ils offrent ainsi des milliers d’emplois aux citoyens des pays qui les accueillent, alors qu’ils se démènent au Liban.

C’est une leçon pour l’avenir puisque nous célébrons les 100 ans du Grand Liban et nous nous préparons pour les cent ans à venir. Il faut comprendre et bien analyser l’expérience du passé pour mieux construire l’avenir. L’économie libanaise ne peut être qu’une économie libérale, mais elle doit faire rayonner tous ses secteurs et toutes ses composantes, et surtout les secteurs productifs industriels et agricoles.

Les industriels, à part l’activité qu’ils créent eux-mêmes, sont des moteurs qui entraînent avec eux les autres activités commerciales, bancaires, financières, et engagent les services des professionnels de tout genre. Espérons que nos autorités tiendront compte de cette expérience qui a été aussi confirmée par McKinsey et par plusieurs autres études qui insistent sur l’importance de l’activité productive.

Le Liban a perdu beaucoup d’opportunités et n’a pas utilisé les forces réelles de l’industrie qui sont à disposition ; espérons qu’il le fera à l’avenir !

Il est temps aussi de remettre en question certains mythes. On ne parle des Phéniciens que comme des commerçants… Ils l’étaient et réussissaient brillamment, mais il ne faudrait pas pour autant occulter le fait qu’ils étaient avant tout des fabricants de produits innovants, comme le murex, le bronze et le verre, parallèlement à la fabrication de bateaux ; et c’est précisément cette activité industrielle qui leur a permis de lancer un commerce extérieur et de développer bien après des activités commerciales plus étendues.

Soyons les Phéniciens du troisième millénaire et conjuguons tous ensemble nos efforts autour des valeurs d’excellence et d’innovation ! Le Liban est en effet un pays, mais c’est aussi un pays de grandes opportunités.

* Les statistiques citées ont été relevées de l’ouvrage de M. Michel Morcos.

Fady GEMAYEL

Président de l’Association des industriels

À aucun moment les liens entre l’industrie libanaise et les conditions économiques, voire socio-politiques, du pays n’ont été aussi liés que durant cette période de cent ans qui ont connu, à l’image du pays, des hauts et aussi beaucoup de bas. Durant la Première Guerre mondiale, l’industrie était formée principalement de petits ateliers au niveau artisanal qui ont évolué dans...