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Moyen-Orient - Éclairage

À Idleb, le leader du groupe Hay’at Tahrir al-Cham en pleine opération séduction

Depuis plusieurs mois, Abou Mohammad al-Jolani multiplie les apparitions publiques dans l’ultime grand bastion jihadiste et rebelle du pays dans l’objectif de redorer l’image de son organisation.

À Idleb, le leader du groupe Hay’at Tahrir al-Cham en pleine opération séduction

Abou Mohammad al-Jolani, leader du groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham. Al-Manara al-Baydaa/AFP

Depuis mardi, la photographie sur Twitter d’Abou Mohammad al-Jolani en costume aux côtés du journaliste américain Martin Smith a surpris de nombreux observateurs de la Syrie. Loin de ses précédentes apparitions, où le leader du groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTC, ex-branche d’el-Qaëda en Syrie) était constamment vêtu de son treillis kaki pour mettre l’accent sur son statut de combattant, ce dernier montre officiellement un tout autre visage à l’occasion d’une interview télévisée avec le média Frontline. « Je viens de rentrer de trois jours à Idleb, en Syrie, avec Abou Mohammad al-Jolani, fondateur du front al-Nosra, affilié à el-Qaëda. Il a parlé avec franchise du 11-Septembre, d’el-Qaëda, d’Abou Bakr al-Baghdadi, de l’État islamique, de l’Amérique et plus encore », a tweeté Martin Smith en dévoilant la photographie. Cette dernière n’a pas manqué de faire réagir sur le réseau social. « Où est la cravate pour tous les deux ? Ou au moins pour al-Jolani ? », ironise Omar Abou Layla, fondateur du site d’informations Deirezzor24. « Je ne verrai jamais HTC ou al-Jolani comme un moindre mal par rapport à Assad. Un tel argument reviendrait à blanchir les atrocités commises par HTC et saper l’action des Syriens et leur droit à établir la paix et la démocratie », affirme pour sa part Rahaf Aldoughli, spécialiste de la Syrie et enseignante à l’Université de Lancaster.

La tentative d’Abou Mohammad al-Jolani de se façonner une nouvelle image n’est pas nouvelle. Depuis près de deux ans, ce dernier accorde des interviews à des journalistes étrangers dans son fief d’Idleb, au cours desquelles il présente HTC comme une organisation indépendante des racines qaëdistes et insiste au contraire sur son programme exclusivement national à l’image des talibans. Mais cette photographie semble être la preuve que HTC a fait un pas supplémentaire dans le cadre de sa stratégie d’ouverture. « Il est difficile de sous-estimer l’énorme signification symbolique de cette image dans le monde jihadiste. Jusqu’à présent, HTC a été condamné par el-Qaëda et l’État islamique pour sa rhétorique “nationaliste” et sa distanciation par rapport au “vrai” jihad. Cette image rend ces critiques insignifiantes », analyse dans un tweet Charles Lister, du Middle East Institute. Abou Mohammad al-Jolani semble vouloir montrer que son organisation est différente des autres groupes jihadistes fondamentalistes et chercher à faire changer les opinions locales et internationales sur HTC.

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Depuis 2012, Washington a en effet placé le front al-Nosra sur sa liste terroriste. Quatre ans plus tard, Jabhat al-Nosra a annoncé sa désaffiliation d’el-Qaëda et a adopté le nom qu’on lui connaît de Hay’at Tahrir al-Cham. Il n’en reste pas moins que cette dernière faction reste considérée comme une entité terroriste par les États-Unis et par l’ONU. Mardi dernier, après la publication de la photographie d’Abou Mohammad al-Jolani par Martin Smith, la section des « récompenses pour la justice » du département d’État américain a d’ailleurs tweeté : « Bonjour beau garçon, quel est ce beau costume ? Vous pouvez changer de vêtements mais vous êtes toujours un terroriste. N’oubliez pas la récompense de 10 millions de dollars », avec un numéro indiqué en-dessous pour livrer des informations sur le leader rebelle. À l’échelle locale, Jolani semble opérer la même stratégie de reconquête de l’opinion. « Il sait que si HTC ne change pas, il ne pourra pas faire face aux menaces du régime syrien et de la Russie, de la Turquie et de son soutien à l’Armée nationale syrienne et aux petits groupes jihadistes », observe à L’Orient-Le Jour Souhail al-Ghazi, chercheur et activiste de l’opposition syrienne. L’organisation dirigée par Abou Mohammad al-Jolani est régulièrement aux prises avec la Turquie et les groupes rebelles qu’elle soutient. En avril dernier, plusieurs membres de l’ex-branche d’el-Qaëda en Syrie avaient notamment critiqué les accords de cessez-le-feu précaires négociés entre Ankara et Moscou et le déploiement de patrouilles russo-turques. Une trêve est en cours depuis mars, malgré des affrontements ponctuels dans cette zone frontalière de la Turquie. Mais HTC tente cependant de faire preuve de pragmatisme envers la Turquie, qui a placé l’organisation dans la liste de groupes terroristes en 2018. « HTC traite directement avec la Turquie alors que les deux parties ne se font pas confiance et ne sont pas d’accord sur tout », ajoute Souhail al-Ghazi.

Conquête politique

C’est ainsi que pour redorer l’image de son organisation aux yeux de la région et du monde, Abou Mohammad al-Jolani multiplie les déplacements auprès de la population d’Idleb. Le 23 janvier, il a notamment effectué une visite dans un camp de déplacés, au cours de laquelle il a été photographié avec des responsables du camp se plaignant de la destruction d’une partie des habitations suite à de fortes intempéries. Plus de 175 000 personnes ont été touchées par ces pluies submergeant plusieurs camps de réfugiés dans la région. Un mois auparavant, à la mi-décembre, le leader de HTC avait également visité un camp de déplacés internes dans la campagne d’Idleb. Des apparitions qui semblent servir la volonté de HTC de se présenter comme une force fiable dans toute solution politique future au niveau local. Alors que son idéologie fondamentale reste la même, HTC viserait dorénavant à accorder autant d’importance à la gouvernance qu’à la dimension militaire, tout en concentrant tous ses efforts sur la sphère locale.

« Les apparitions publiques de Jolani font partie de la stratégie de HTC de se repositionner d’un affilié d’el-Qaëda avec une orientation et une adhésion salafiste-jihadiste à une force concentrée sur la Syrie qui, malgré une orientation islamiste radicale, considérée par beaucoup comme répressive et intolérante, se débarrasse de ses objectifs et liens transnationaux en faveur d’un projet de renforcement de l’État local », note à L’Orient-Le Jour Dareen Khalifa, spécialiste de la Syrie à l’International Crisis Group. « Il y a trois ans, on m’a dit que Jolani avait commencé à utiliser l’appellation “le Nord-Ouest syrien libéré” pour décrire la région et proposait également d’élire un Premier ministre, une idée rejetée et réprouvée par les jihadistes », écrit Charles Lister sur son compte Twitter. Le succès d’Abou Mohammad al-Jolani est cependant incertain. « La question de savoir si HTC peut se transformer en un acteur principalement politique faisant partie de l’ordre post-conflit de la Syrie à Idleb est loin d’être claire », explique Dareen Khalifa. « Entre 2014 (en tant que Jabhat al-Nosra) et début 2019 (en tant que HTC), l’organisation a progressivement démantelé, mis sur la touche ou maîtrisé la plupart de l’opposition armée dominante dans le nord-ouest de la Syrie tout en réduisant l’espace pour la société civile, dans un effort réussi pour se consolider comme groupe hégémonique. Cela a créé beaucoup de rancœur pour HTC parmi les militants et autres rebelles », poursuit-elle. « Les habitants de la province du Nord-Ouest n’estiment pas beaucoup HTC. Ils lui reprochent d’être responsables des pertes accusées par Idleb ces deux dernières années, à savoir la campagne de Hama, les campagnes du sud et de l’est d’Idleb ainsi que la campagne dans l’ouest d’Alep », commente pour sa part Souhail al-Ghazi, qui note cependant que la majorité d’entre eux soutiennent aujourd’hui le gouvernement stable que HTC a établi au cours des trois dernières années. « La stabilité est très favorisée par les habitants lorsqu’ils la comparent aux territoires du nord d’Alep tenus par l’Armée nationale syrienne. La situation n’est pas parfaite mais je pense que HTC a obtenu un bon soutien des locaux », conclut-il.


Depuis mardi, la photographie sur Twitter d’Abou Mohammad al-Jolani en costume aux côtés du journaliste américain Martin Smith a surpris de nombreux observateurs de la Syrie. Loin de ses précédentes apparitions, où le leader du groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTC, ex-branche d’el-Qaëda en Syrie) était constamment vêtu de son treillis kaki pour mettre l’accent...

commentaires (1)

"Ils" sont beaux et ressemblant tous, ces macarons cuisinés, par "le Chef". Plat à servir :" Terrorisme international".

Marie Claude

09 h 00, le 05 février 2021

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Commentaires (1)

  • "Ils" sont beaux et ressemblant tous, ces macarons cuisinés, par "le Chef". Plat à servir :" Terrorisme international".

    Marie Claude

    09 h 00, le 05 février 2021

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