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Culture - Court-métrage

Il suffit d’une balle perdue pour clouer un cercueil

Dans son percutant court-métrage d’une minute « Were You Thinking ? » (« Étiez-vous conscients ? »), Anna-Maria Oueiny cible la pratique barbare de tirs de célébration qui cause des victimes innocentes, souvent en toute impunité.

Il suffit d’une balle perdue pour clouer un cercueil

Images tirées de « Were You Thinking ? » d’Anna-Maria Oueiny.

Il n’y a pas si longtemps, la diffusion d’un court-métrage auprès du public s’apparentait à un véritable parcours du combattant. Aujourd’hui, il suffit de moins de 24 heures pour qu’il fasse le tour des réseaux, se partage et suscite l’intérêt. C’est le cas du film Were You Thinking ? (« Étiez-vous conscients ? ») réalisé par Anna-Maria Oueiny, qui cartonne actuellement sur les réseaux sociaux.

Née dans le village de Batha (Kesrouan), la jeune femme fait partie de cette génération qui considère que contenu et diffusion vont de pair, chacun nécessitant les mêmes solutions créatives et offrant un potentiel dont on ne cesse de découvrir l’ampleur de jour en jour. Son film d’une minute, une œuvre brève mais percutante, a ainsi recueilli plus de 22 000 vues rien que sur Instagram. Passionnée depuis toujours par le métier de réalisatrice, Anna-Maria Oueiny confesse ne s’être jamais trop éloignée d’une caméra. « Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours eu une caméra sur moi, on ne sait jamais, des fois qu’il y aurait quelque chose d’imprévu à filmer. » À l’école, elle était une rebelle. L’appareil suspendu à son cou, elle filmait ses amis qui se prêtaient avec plaisir au jeu et l’encourageaient, tandis que ses professeurs, qu’elle provoquait volontiers, la punissaient. Les cours d’histoire arabe ou la géométrie dans l’espace ne l’intéressant pas, Anna-Maria cultivait en silence cette passion dévorante et rien ni personne ne pouvait se mettre en travers d’un chemin qu’elle avait déjà tracé. Après des études en audiovisuel à l’USEK, la jeune femme aborde des sujets heureux, s’intéresse à la mode. Elle donne dans l’événementiel, filme la vie, du temps où celle-ci n’était pas interrompue… Désireuse d’aller encore plus loin, Anna-Maria Oueiny s’inscrit à l’Université de Prague pour compléter sa formation. Elle s’y trouve encore lorsque la contestation d’octobre 2019 éclate au Liban. « Un grand sentiment de frustration m’a envahie de n’avoir pas pu être sur le terrain », regrette-t-elle. Aujourd’hui, au-delà des prises de vue du quotidien, l’envie de réaliser des reportages sur la triste réalité de son pays s’est emparée d’elle. La révolution d’octobre, la double explosion du port et, pourquoi pas, la pandémie.

Comme une prémonition

Le 4 août, il est 16 heures lorsque Anna-Maria et l’une de ses amies sont au bord d’une plage dans le nord du Liban. « Soudain, dit-elle, nous avons eu toutes les deux comme l’impression d’entendre des voix, les cris d’une foule au loin qui fuit et qui pleure. » Sur le chemin du retour, elle apprend la nouvelle de l’incendie du port, mais ne réalise pas encore l’ampleur de la catastrophe. « J’ai vécu ce moment graduellement et je me suis sentie une fois de plus coupable de n’être pas sur place. » Le lendemain, la réalisatrice part sur le terrain, un balai dans une main et une caméra dans l’autre, ne sachant par quoi commencer. Elle réalise un film sur la classe politique irresponsable et compromise. Lorsqu’une semaine plus tard, une personne est tuée par une balle perdue lors de coups de feu anarchiques tirés lors de funérailles d’une des victimes du 4 août, mille questions et indignations se bousculent dans sa tête. « Plutôt que de nous soutenir, nous sommes en train de déverser notre haine les uns sur les autres. Pourquoi devons-nous célébrer les moments tristes et les moments de bonheur toujours avec les armes ? Notre culture se limite-t-elle à cela ? » se demande Anna-Maria Oueiny. L’idée lui vient alors de réaliser une vidéo sur l’impact des balles perdues. Elle laisse pourtant ce projet en attente, préférant mûrir la manière la plus éloquente visuellement de délivrer son message. « Le soir du Nouvel An, quand nous avons entendu des coups de feu tirés en l’air, j’ai décidé de reprendre mon idée pour la mener jusqu’au bout. » Son court-métrage prend alors forme.

Anna-Maria Oueiny, réalisatrice engagée au langage esthétique percutant. Photo DR

« Rsasa tayché… » perdue ou écervelée ?

Un homme en tenue de guerre, un menuisier en train de monter un cercueil, une arme à feu en train d’être chargée, un marteau enfonçant un clou... Les images de Were You Thinking ? sont saccadées avec une proximité dérangeante. L’utilisation du très gros plan avec l’inspection méthodique de chaque détail transmet l’expression visuelle d’une fascination horrifiée pour la nature du citoyen libanais, et manifeste aux yeux du spectateur que quelque chose le dépasse. Ce quelque chose n’est rien d’autre que la réalité. Celle d’un peuple qui ne peut plus s’exprimer que par le biais des armes. « C’est l’expression en anglais “to put a nail in the coffin” qui est le fil conducteur de ce court-métrage, confie la réalisatrice. On y a recours pour exprimer une situation vouée à l’échec. En tant que société, nous sommes en train de nous condamner les uns les autres. » Le clou est remplacé par une balle, laquelle s’enfonce dans le bois. Le personnage qui prépare son fusil ajoute à la clarté du message afin que le sujet ne soit pas abstrait. Car chaque personne qui porte un fusil aujourd’hui condamne tous les autres. Anna-Maria manie autant l’idéal esthétique que la propension à créer une atmosphère qui ne cesse d’impressionner, laissant l’image tout révéler sans qu’un seul mot soit prononcé. Elle n’opte pas pour un graphisme vraiment dérangeant, mais construit son récit pour marquer le spectateur de la meilleure façon possible. « Quand je tiens une caméra, je suis détachée de la réalité, et pourtant, dit-elle, je suis en plein cœur de la réalité. »

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À seulement 27 ans, Anna-Maria Oueiny a trois certitudes : l’inspiration est toujours présente, l’audiovisuel est le plus beau métier du monde et le Liban a besoin de sa nouvelle génération.

Elle a su suivre la voie de sa passion avec l’ambition de réussir et de continuer à s’en donner les moyens. Elle sait qu’elle a encore énormément de choses à découvrir dans ce monde et les appréhende avec impatience. En attendant, c’est avec une confiance totale en l’avenir qu’elle se laisse porter par le courant.

Il n’y a pas si longtemps, la diffusion d’un court-métrage auprès du public s’apparentait à un véritable parcours du combattant. Aujourd’hui, il suffit de moins de 24 heures pour qu’il fasse le tour des réseaux, se partage et suscite l’intérêt. C’est le cas du film Were You Thinking ? (« Étiez-vous conscients ? ») réalisé par Anna-Maria Oueiny, qui cartonne...

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