Mêmes objectifs, même rhétorique, même histoire : sur la scène politique, les Forces libanaises (FL) et les Kataëb sont sans aucun doute les deux partis qui se ressemblent le plus. Et pourtant – et justement, diraient certains –, une alliance semble aujourd’hui plus qu’improbable entre les deux. « Nous n’avons plus confiance dans les Forces libanaises », affirmait Samy Gemayel le 18 janvier, refusant la main tendue par Samir Geagea pour former un front commun contre le pouvoir en place. Entre les deux hommes, le courant n’est jamais vraiment passé. « Ils ne se voient pas et se parlent très rarement », résume un familier de Saïfi et de Meerab. Mais la dimension personnelle n’explique pas tout. Il y a un mélange de méfiance et de blessures historiques, de divergences dans les choix tactiques et stratégiques dans la période récente et de calculs politiques dans la querelle intestine entre les deux partis chrétiens. Le sujet est sensible. Des deux côtés, on pèse soigneusement ses mots pour ne pas heurter le frère d’hier, le potentiel allié de demain. Tout le monde a en plus conscience que la chamaillerie a un côté un peu enfantin à un moment où le pays prend l’eau de toutes parts. « On peut avoir des différends, mais on doit les régler de façon politique », avance Charles Jabbour, porte-parole des FL, qui considère que leur division fait « le jeu du Hezbollah ».
Au sein du parti de Samir Geagea, on fait porter la responsabilité de la division à Samy Gemayel, sans toutefois le citer nommément. « C’est une décision qui relève d’un seul homme », assure un député FL. Au cours de ces dernières années, le leader des Kataëb a développé un discours plus proche de la société civile, s’éloignant de la rhétorique traditionnelle de son parti – même si cette ligne subsiste en son sein – élargissant un peu plus le fossé, creusé par les rivalités historiques, avec les FL. « S’il était convaincu de la nécessité du changement, Samy a en plus clairement cherché à se démarquer des FL », indique un proche du parti. Comme si la relation entre les deux formations était toujours dépendante de cette dialectique de fusion/séparation qui les lie depuis l’origine. On soupçonne, alternativement et selon le contexte, les uns de vouloir couper le cordon ombilical, les autres de vouloir réaliser une OPA de gré ou de force.
Les Kataëb sont censés être la maison mère, même si les FL regroupaient à l’origine toutes les milices chrétiennes et étaient en ce sens, conformément à la volonté de Bachir Gemayel, dès la fin des années soixante-dix, bien plus que le bras armé du parti phalangiste. Mais très vite, le rapport de force s’est inversé, au point que la milice chrétienne est devenue le parti dominant, présent sur tout le terrain, et les Kataëb, à l’inverse, une petite formation provinciale, regroupant les fidèles de l’ancien président Amine Gemayel et les nostalgiques de la « grande époque ». « Samy a peur que son parti se fasse avaler par les FL en cas de rapprochement », estime la source familière des deux partis. En 1992, Samir Geagea avait échoué de peu à prendre la tête des Kataëb contre la volonté d’Amine Gemayel, avec qui les relations ont toujours été en dent de scie. « Geagea est frustré de n’avoir jamais pu, même au plus fort de l’histoire des FL, mettre le grappin sur l’institution traditionnelle », explique la source précitée.
Du côté des Kataëb, on met surtout en avant les divergences politiques. « Ils essayent de personnaliser le problème, mais notre ligne politique ne tient pas à ce type de considérations », assure un responsable au sein du parti. La formation de Samy Gemayel ne pardonne pas aux FL d’avoir contribué à faire élire Michel Aoun à la présidence de la République. La réconciliation entre les deux rivaux historiques, Michel Aoun et Samir Geagea, au début de l’année 2016, avait pavé la voie à l’arrivée à Baabda du général et devait permettre aux FL et au Courant patriotique libre, qui estimaient représenter ensemble 85 % de la rue chrétienne, de se partager le gâteau institutionnel en mettant les autres formations chrétiennes à l’écart.
Pour les Kataëb, c’est la « faute originelle », celle dont on ne peut se laver facilement, d’autant plus que les FL considèrent jusqu’à ce jour que cette décision n’était pas une erreur. « Nous n’avions pas le choix. C’était soit Aoun, soit (Sleiman) Frangié », défend Charles Jabbour. « Nous ne pouvons pas être tenus pour responsables de la façon dont Michel Aoun gouverne », renchérit le député FL de Baalbeck-Hermel, Antoine Habché. « Mais comment est-ce qu’on peut encore leur faire confiance après cela ? » rétorque le responsable Kataëb.
Élections législatives
Simple posture ou blessure profonde ? Certainement un peu des deux. Les Kataëb ont assumé de se mettre à la marge de la scène politique et de jouer à fond la carte de l’opposition. Les FL ont pour leur part d’abord tenté de rentrer dans la logique du grand marchandage traditionnel, fortes de leurs 15 députés à la Chambre, avant de s’en retirer partiellement. Depuis, elles semblent hésiter, comme si elles craignaient de ne plus pouvoir peser sur les enjeux politiques si elles allaient au bout de la logique. Le meilleur exemple ? La démission du Parlement. Les Kataëb l’ont fait au lendemain de la double explosion qui a meurtri Beyrouth. Les FL, pour leur part, n’ont pas sauté le pas. « Si nous sommes les seuls à démissionner (sans le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste), cela ne mènera nulle part et profitera au contraire à nos adversaires qui pourront faire ce qu’ils veulent, comme changer la loi électorale », soutient Antoine Habché. « C’est vrai que notre démission n’a pas fait vaciller le Parlement, mais qu’est-ce qu’ils ont obtenu, eux, en y restant? » réplique le responsable Kataëb.
Des deux côtés, on fait semblant de ne pas remarquer que lors des prochaines élections législatives, les deux formations se disputeront en grande partie le même électorat. En 2018, les Kataëb n’avaient obtenu que trois sièges en misant sur une stratégie en rupture avec le discours classique du parti. Le parti de Samir Geagea avait quant à lui considérablement renforcé sa position, notamment grâce à un changement de loi électorale qui lui convenait parfaitement. Mais la révolution du 17 octobre et la crise économique sont, depuis, passées par là. Conscientes de la nécessité de prendre ce virage, les FL tentent de se refaire une virginité, se rapprochant ainsi de la ligne défendue depuis des années par le parti de Samy Gemayel, jusqu’à lancer une opération séduction en direction de la société civile. « C’est aussi ce qui énerve les Kataëb. Le fait que les FL finissent par adopter leur position à la dernière page du livre », décrypte le familier des deux formations.
Les Kataëb ont une longueur d’avance sur ce terrain et pourraient séduire une partie des militants FL déçus par la décision de Samir Geagea de faire élire Michel Aoun. Mais la formation de Samir Geagea est nettement plus organisée, dispose d’une plus grande force de frappe et demeure dans l’esprit d’une grande partie de l’opinion chrétienne une force capable de les protéger en cas de nouveaux conflits sur la scène locale.
commentaires (20)
Ces tiraillements politiciens et combat de chefs sont totalement ridicules et malvenus à un moment aussi critique de l'histoire du Liban. Oui il eu erreur stratégique, de calcul ou autre mais faudrait que ces chefs fassent preuve de maturité politique et s'allier de toute urgence. Nous sommes à un moment où le Liban joue son existence et j'espère que Kataeb et FL feront preuve de responsabilité.
CAMAYOU / INEOS
17 h 52, le 31 janvier 2021