Critiques littéraires

Chant à une ville aimée

Dans son nouveau recueil de poèmes intitulé Le 4 août 2020, Akl Awit nous parle de la ville de Beyrouth lors de l’explosion, et d’un « tueur qui s’acharne à tuer » et à pousser le pays de plus en plus vers le chaos.

Chant à une ville aimée

Ainsi s’adresse le poète à sa ville bien-aimée : « Quant à toi, ô Beyrouth, tu peux recourir à ta mort (…) afin de découvrir ce qui peut amener la vie à ouvrir de nouveaux les yeux. » Ville massacrée, mais toujours debout, « tel un phare qui ne peut être couché dans un champ de bataille. Tel un phare blessé, tu ne meurs pas ».

Akl Awit sait que d’autres destructions ont été perpétrées, d’autres villes ont été détruites, mais la ville de Beyrouth fait partie intégrante de son être. Sa destruction lui meurtrit le cœur. Au moment de l’explosion, tout a été dispersé sous ses yeux, même « la toile qui s’est envolée du bureau pour atterrir sur l’arbre de Samir Kassir », son ami qui a expérimenté, dans sa chair, ce que signifie être libre dans un pays sinistré, un pays que les pirates avaient dérobé, maltraité et couvert son visage de sang et de boue.

La mort a pénétré l’air et a couru sur les belvédères et les balcons. « Vous respiriez lentement et mourriez lentement ». Ici, la mort n’affecte pas seulement les gens, mais aussi les bâtiments résidentiels, les hôpitaux, les rivières et les vergers lointains. Les éléments s’entremêlent, et il n’y a plus de séparation entre la pierre et les arbres, la mer et la terre, la viande rôtie et le café torréfié, le son et le cri, la cendre et les roses qui fendent le mur à la recherche d’un souffle d’air.

L’explosion a altéré les lois de la nature et a arraché les racines d’arbres en laissant derrière elle les victimes dont le sang ne s’était pas encore refroidi. Elle les a laissés sur une colline voisine jetant un dernier coup d’œil sur la mort répétée pour la énième fois de leur ville.

Ainsi nous entendons le poète prononcer successivement des mots et des phrases comme une litanie : « lambeaux », « nuages fugitifs », « mort profonde », « douleur », « odeur des braises », ou bien « l’idée du désert remplace l’idée de la fontaine », et enfin « charbon est la ville, charbon est la vie ». Sous le choc, Awit murmure et bredouille. Il évoque « la ruine simple, fragile et pauvre qui parcourt la ruine complexe, solide et absolue ».

Celui qui parvient à l’extrême limite n’écrit plus, en fait. Il se brûle et éclaire. Celui qui va au bout de la peur n’est plus sujet à la peur.

À plusieurs endroits de ce recueil, la poésie s’identifie à la ville déchirée. Nous entendons le battement des mots et l’interruption de leur souffle. Ces mots deviennent un corps ensanglanté dans une robe brûlante. À un moment donné, nous ne savons plus si nous récitons le poème ou la ville dans cette cohésion qui fait de l’écriture l’essence même des choses vouées au néant.

Terrible était l’explosion du port de Beyrouth. Massive est la destruction lorsque les habitants de la ville, morts et vivants à la fois, se sont transformés en un clin d’œil en poupées volant dans les airs, et en souffle gelé sur des éclats de verre brisé. Cependant, derrière ce paysage apocalyptique, derrière ce bouleversant requiem écrit par Akl Awit, il y a une lueur d’espoir, un écho à ce que disait Jalal Eddine Roumi : « Sous les décombres : le diamant ».

Issa Makhlouf

Al-Rabeʽ men ‘Ab 2020 (Le 4 août 2020) de Akl Awit, Chark al-Kitâb (L’Orient des Livres), 2020, 80 p.


Extrait

La lumière ne filtrera pas pour que je puisse distinguer le visage du tueur. J’invoque l’histoire de l’embarcation qui rentre d’elle-même au port. Et, pendant que la lumière baigne dans son sang, je fais appel à la maîtrise du port qui permet que l’on accoste sans heurter le quai.

Quant à toi, ô Beyrouth, tu peux recourir à ta mort, datée du 4 août 2020 et signée à dix-huit heures et sept minutes exactement afin de découvrir ce qui peut amener la vie à ouvrir de nouveau les yeux.

Et comme le témoin qui se lève pour voir quelle vérité recèle en son sein la vérité, alors que le tueur s’acharne à tuer, et que la main de la victime ne cherche même pas à cacher le crime, tu te ressaisis, tel un phare qui ne peut être couché dans un champ de bataille. Tel un phare blessé, tu ne meurs pas.


Ainsi s’adresse le poète à sa ville bien-aimée : « Quant à toi, ô Beyrouth, tu peux recourir à ta mort (…) afin de découvrir ce qui peut amener la vie à ouvrir de nouveaux les yeux. » Ville massacrée, mais toujours debout, « tel un phare qui ne peut être couché dans un champ de bataille. Tel un phare blessé, tu ne meurs pas ».Akl Awit sait que d’autres destructions...

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