Dans une interview fleuve accordée à la chaîne MTV le 8 octobre dernier, le leader du Futur Saad Hariri s’est dit « candidat naturel » à la présidence du Conseil. Il a été nommé chef de gouvernement désigné le 22 octobre et s’est donné pour mission de former une équipe restreinte de spécialistes indépendants des protagonistes politiques, comme le stipule l’initiative française en faveur du Liban. Sauf que l’éclaircie n’est pas pour demain au vu de la guerre des quotes-parts qui bat son plein. L’opportunité de former une équipe de salut, perçue comme la dernière chance de sauver le pays, est-elle ratée ?
Certains observateurs seraient tentés de répondre par l’affirmative au vu du surplace que fait le processus ministériel, motivé par la seule logique du partage du gâteau.
En définissant ses objectifs et affirmant sa détermination à se conformer à l’initiative parrainée par le président français Emmanuel Macron, principalement axée sur la mise en place d’une équipe de spécialistes indépendants, Saad Hariri pensait pouvoir calmer la colère populaire contre la classe politique dans son ensemble. Mais un an après la révolte du 17 octobre, rien ne semble avoir changé, d’autant que les partis au pouvoir ont repris les mêmes manœuvres. C’est ainsi qu’un analyste politique explique à L’Orient-Le Jour les concessions que Saad Hariri a rapidement faites, notamment au tandem Amal-Hezbollah, pour voir sa tâche facilitée. Contrairement à Moustapha Adib, le chef du Futur a cédé à la pression des deux formations chiites qui insistaient à obtenir le ministère des Finances. Dans une démarche qui visait à paver la voie au cabinet Adib, M. Hariri avait accepté, le 22 septembre dernier, que les Finances restent aux mains de la communauté chiite à condition que le chef du gouvernement choisisse le futur ministre.
Tentant de faire un clin d’œil au binôme chiite, M. Hariri a décidé d’obéir à ce principe en formant son équipe. Il a donc implicitement permis au tandem chiite de nommer ses ministrables. Une démarche que le reste des partis politiques vont, à leur tour, adopter, donnant au prochain gouvernement une coloration éminemment politique, loin des attentes des Libanais, mais aussi et surtout de la communauté internationale.
« Saad Hariri fait partie intégrante de la caste politique et désire devenir chef de gouvernement. Cela constitue pour lui une priorité », explique l’analyste, avant d’ajouter : « Le Premier ministre désigné devait être conscient du fait que le Hezbollah ne permettra pas la formation d’un cabinet qu’il ne contrôle pas au moyen du tiers de blocage. » « Le binôme chiite ne facilitera pas la formation d’une équipe au sein de laquelle il ne nomme pas les ministres de sa communauté et ne choisit pas leurs portefeuilles », déclare encore l’analyste, soulignant que « du côté de Baabda, on estimerait que le prochain gouvernement sera probablement le dernier du mandat Aoun. Le Courant patriotique libre et la présidence voudraient donc naturellement avoir leur mot à dire ». « Ce ne sera donc qu’un nouveau cabinet Diab », déplore-t-il.
Pour le moment, les milieux du Futur, où l’on observe le silence sur les tractations et contacts actuellement en cours, refusent ce genre d’accusations lancées contre le Premier ministre désigné. « Saad Hariri n’a cédé qu’au sujet du ministère des Finances », souligne à L’OLJ Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur. Selon lui, et en dépit de l’immobilisme actuel, « M. Hariri compte patienter ». Il laisse ainsi entendre qu’en fin de compte, il finira par répondre favorablement aux demandes de tous les protagonistes. Sans vouloir représenter l’opinion des cercles haririens, il estime qu’un gouvernement formé à la faveur d’une telle logique ne pourra pas opérer les réformes exigées.
Ces craintes se font également sentir chez le patriarche maronite Béchara Raï. Dans la continuité de ses diatribes contre les partis politiques auxquelles il se livre depuis plusieurs mois, il s’est montré très critique à l’égard des personnalités et partis concernés par les tractations gouvernementales. Dans son homélie hier à Bkerké, le dignitaire maronite a sommé les protagonistes à « cesser d’exercer des pressions sur le Premier ministre désigné ». « De quel droit et jusqu’à quand les partis politiques continueront-ils à bloquer la formation du gouvernement, non pour assurer le respect des principes constitutionnels, mais pour préserver leurs propres quotes-parts ? (…) » a lancé le chef de l’Église maronite.
Sourde oreille
Mais dans les milieux politiques, on fait toujours la sourde oreille à ces mises en garde. Après avoir longtemps assuré qu’il facilitera la formation d’un cabinet de spécialistes, le CPL a posé quelques conditions allant à l’encontre de la volonté de Saad Hariri. Dans un communiqué publié samedi, la formation aouniste s’est dit favorable à une mouture élargie. « Les réformes prévues par l’initiative française exige un gouvernement efficace, composé de spécialistes. Cela suppose que chaque spécialiste devrait détenir un seul portefeuille (…) » Une façon pour le CPL d’augmenter la pression sur M. Hariri pour élargir son équipe afin d’y inclure ses alliés, dont le Parti démocratique libanais de Talal Arslane. Objectif ? Faire barrage à ce qu’il perçoit comme « un monopole de la représentation des druzes de la part du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt. D’ailleurs, Jad Haïdar, cadre du Parti démocratique libanais, est revenu à la charge hier, plaidant dans un communiqué pour deux ministres druzes dans le cadre d’une formule de 20. En face, Moustapha Allouche est catégorique : « Saad Hariri n’a pas tenu à répondre aux demandes de ceux qui ne l’ont pas nommé à la présidence du Conseil. » Une allusion tant à M. Arslane qu’à Gebran Bassil.
Outre la pression druze, le Premier ministre désigné devrait régler le problème de la représentation des grecs-catholiques. Et pour cause : le patriarche grec-catholique, Mgr Youssef Absi, a affirmé son opposition à « tout cabinet dans lequel la communauté ne sera pas représentée comme cela se doit ». Une demande à laquelle M. Hariri n’a toujours pas réagi.
commentaires (13)
Il faut avoir du courage pour être premier ministre au Liban à sa place je donne tout aux mains du Hezbollah et Amal et comme ca le Liban deviendra Venezuela
Eleni Caridopoulou
17 h 52, le 02 novembre 2020