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Sport - Dopage

Cette semaine, la Russie joue son avenir dans le sport mondial

Moscou conteste devant le TAS sa mise au ban des grandes compétitions par l’AMA.

La Russie conteste à partir d’aujourd’hui devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) sa mise au ban des grandes compétitions, décrétée pour quatre ans par l’Agence mondiale antidopage (AMA), épilogue d’un rocambolesque affrontement au parfum de guerre froide. Exaspéré par les tricheries russes à répétition, le gendarme mondial du dopage avait demandé une audience publique, à la hauteur du pire scandale de dopage d’État depuis des décennies, venu démentir l’illusion d’un sport de plus en plus « propre ». Mais faute d’accord entre les parties, les trois arbitres désignés par le TAS examineront cette affaire à huis clos jusqu’à vendredi prochain, dans un lieu de Lausanne tenu secret, avant de rendre leur décision à une date non communiquée.

Sans équivalent dans l’histoire de la justice sportive, ce litige concentre les attentes : celles des athlètes russes, menacés de quatre ans sans compétitions de prestige ; de l’AMA, qui a déployé des efforts d’enquête inédits ; et du monde sportif, Comité international olympique (CIO) en tête, à huit mois des Jeux olympiques de Tokyo. En janvier dernier déjà, le patron de l’instance olympique, Thomas Bach, avait appelé le TAS à trancher sans ambiguïté, « car s’il y a de la place pour l’interprétation », alors les fédérations internationales pourront avoir des lectures différentes « et cela conduirait à la confusion totale ».

Choc et aiguillon

« Déflagration » par sa sophistication et son ampleur, le scandale du dopage institutionnalisé en Russie a poussé la lutte antidopage à progresser, tout en attisant les prétentions américaines à prendre la tête de ce combat.

Les soupçons contre une partie du sport russe n’ont pas attendu les révélations du couple Stepanov, à l’origine d’une série de documentaires de la chaîne allemande ARD à partir de la fin 2014, puis les confessions en 2016 du docteur Grigory Rodchenkov, ancien patron du laboratoire antidopage de Moscou. « On se doutait qu’il y avait des choses, mais pas à cette échelle, pas organisées avec l’État russe, pas avec l’appui d’un laboratoire agréé par l’Agence mondiale antidopage », résume Fabien Ohl, sociologue du sport à l’Université de Lausanne. Non seulement le laboratoire de Moscou escamotait les tests positifs des athlètes dopés, mais Grigory Rodchenkov avait développé à leur usage son propre cocktail de stéroïdes, dilués dans du whisky ou du vermouth et absorbés via la muqueuse buccale pour minimiser la durée de détection. Pour Fabien Ohl, la « déflagration » est d’autant plus brutale que le scandale Festina, lors du Tour de France cycliste 1998, avait donné naissance à un système antidopage qu’on imaginait plus efficace, avec la fondation de l’AMA en 1999 puis l’adoption en 2004 du premier code mondial antidopage.

« La cohérence normative était le seul souci de l’AMA et la crise russe a montré les limites de cette approche : il y avait un fossé entre la norme antidopage sur le papier et sa mise en œuvre », constate Antoine Duval, chercheur en droit international du sport à l’institut Asser de La Haye.

Lanceurs d’alerte

Cible de critiques virulentes, le gendarme antidopage a aussi pâti de son propre code de l’époque : il ne pouvait enquêter et pour déclencher des investigations, il aurait dû partager les allégations des Stepanov avec l’Agence antidopage russe (Rusada) ou la Fédération internationale d’athlétisme, qui se sont justement avérées être au cœur de la tricherie, rappelle Fabien Ohl. L’AMA s’est donc dotée depuis 2017 d’un programme de lanceurs d’alerte baptisé « Speak Up ! », prévoyant un traitement confidentiel de leurs informations par une équipe d’enquêteurs montée depuis la mi-2016 autour de l’Allemand Günter Younger, passé par l’unité de lutte contre le trafic de stupéfiants d’Interpol.

L’idée était non seulement d’éviter les ingérences, en dressant un mur entre l’investigation et la gouvernance de l’AMA mêlant mouvement olympique et gouvernements, mais aussi de limiter le recours aux enquêtes externes sur le dopage russe qui avaient coûté 3,9 millions de dollars en 2015 et 2016. Avec un effectif monté à 15 enquêteurs, après trois embauches annoncées fin septembre, « c’est un développement intéressant, mais qui ne renforce pas considérablement la capacité de l’AMA », nuance cependant Antoine Duval. La lutte antidopage dépend encore largement « du bon vouloir » des organisations nationales – à l’image de Rusada ou de l’Agence française de lutte contre le dopage –, qui réalisent chaque année les deux tiers des tests effectués dans le monde, souligne le juriste. Le Comité international olympique a certes poussé en 2018 la création de l’Autorité de contrôle indépendante (ACI-ITA), mais elle reprend à sa charge les tests antidopage effectués par les fédérations internationales, soit le tiers restant, moins sujets « aux manipulations nationalistes », relève M. Duval.

Pression américaine

Si l’AMA a vu ses ressources renforcées depuis la crise russe, avec une hausse annuelle de 8 % de son budget entre 2018 et 2022, elle se heurte aussi à une difficulté nouvelle : la récente menace des États-Unis de lui couper les vivres, pour mener leurs propres poursuites contre des athlètes du monde entier au nom du « Rodchenkov Act », soumis au Sénat américain. La perspective de voir les Américains s’ériger en gendarmes mondiaux – qui rappelle leur action dans le Fifagate – risque de créer « une confusion totale », d’autant plus malvenue que ces règles ne s’appliqueraient pas à des ligues privées américaines comme la NBA (basket), MLB (baseball) ou NFL (football américain), déplore Fabien Ohl. « Si des athlètes russes ou chinois se voient sanctionner par la justice américaine, on peut être sûr qu’il y aura des législations spécifiques russes ou chinoises, avec des arrestations d’athlètes américains. C’est extrêmement dangereux », avertit le sociologue.

Coralie FEBVRE/AFP

La Russie conteste à partir d’aujourd’hui devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) sa mise au ban des grandes compétitions, décrétée pour quatre ans par l’Agence mondiale antidopage (AMA), épilogue d’un rocambolesque affrontement au parfum de guerre froide. Exaspéré par les tricheries russes à répétition, le gendarme mondial du dopage avait demandé une audience publique, à...

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