« Ma chère Beyrouth. Je t’écris depuis l’autre rive de la Méditerranée. Et même de loin, mon cœur ne cesse de battre pour toi. Ta beauté et ta force ont bercé mon enfance et ne m’ont, depuis, jamais quittées. Tu m’as suivi partout. Et ce soir, à mon tour de venir vers toi. De voir la plaie saignante de ton port. De marcher dans les rues du centre-ville, de Gemmayzé, d’Achrafieh, de Mar Mikhaël, Dora, la Quarantaine, toutes détruites. (…) Te souviens-tu des mots de Gebran Khalil Gebran ? : “Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit”. L’aube se lève. Je le sais. Je la vois poindre du fond de tes yeux. Mon irrépressible Beyrouth. Ta flamme ne s’est jamais éteinte. Elle scintille. Je vois, comme jadis, tes enfants jouer et rire dans tes rues. Tu as été témoin de ma naissance d’entre les bombes en 1983. Mais je n’ai jamais oublié que je suis aussi né de ta grandeur. Ma belle Beyrouth, tu n’es pas seule. Puisse la lumière de ton âme rayonner comme le soleil. Beyrouth, je t’aime. »
C’est par cette lettre-incipit, ces quelques mots que Mika entame son ode à sa ville natale. Missive émue pour l’enfant de Beyrouth qui entend rendre à sa cité originelle tout l’amour qu’elle a pu lui offrir. Des mots qui viennent d’avant la musique. Des mots qui précèdent la mélodie. Surannées, les images d’un Beyrouth d’archives côtoient des vues de la corniche, aujourd’hui. L’émotion affleure. L’odyssée de l’amour peut commencer.
Aimer Beyrouth
C’est lové au cœur du Teatro Niccolini des environs de Florence en Italie que Mika débute sa performance avec son tube Origin of Love. Sourire confondant, vêtu de blanc, Mika, acrobate de l’amour – les colonnes de Baalbeck se souviennent encore de son énergie folle – emplit l’espace de la scène. Acrobate-chantre-chanteur de l’amour, il survole et survolte la scène. Les fauteuils au velours théâtral, eux, sont vacants. Et pourtant, des centaines de milliers de spectateurs sont là, électroniques et électrifiés, de l’autre côté de la Toile. « Tu es l’origine de l’amour », murmure un Mika au sourire confondant, un Mika au chevet de sa ville de naissance, de la naissance des villes. Défiant la géographie et le temps, il compose son concert usant des fuseaux horaires pour portée musicale. « Où que vous soyez dans le monde ce soir, bonsoir ! » lance-t-il à son public avant d’égrener, inlassablement, le mot « LOVE ».
Les écrans du voyage
Direction Los Angeles. Autre scène, autre décor. Chevalière aux doigts d’argent, les mains de Rufus Wainwright se pavanent sur un C. Bechstein. Accompagné en duplex par les Folk Musicians of Beirut, il entonne, magistral, un Magnus Dei bouleversant, entêtant, hypnotique. Mélopée transcontinentale pour piano, oud et nay, les nappes sonores scellent – deuils et noces confondus – les amours du chanteur canado-américain pour la capitale libanaise.
Clap de transition, direction la Bretagne où la bise se fait marine. Fanny Ardant nous livre La Qasida de Beyrouth, vers mythiques du poète palestinien Mahmoud Darwiche. « Beyrouth est notre tente. Beyrouth est notre étoile », murmure la voix de l’actrice à la fêlure d’or, d’ambre et d’amour. L’écran se scinde à nouveau pour nous offrir Me Myself , un duo surprenant interprété par Mika et Danna Paola, la star de la série Élite sur Netflix. En anglais et en espagnol, la ballade nous transporte au-delà des idiomes, de Florence à Mexico City. S’ensuit It Must Have Been Love, le tube de Roxette revu et apaisé par Danna et Mika. Douceurs.
Moment très attendu de la soirée, cette magnifique rencontre entre Mika et les Mashrou’ Leila. À Beyrouth, Carl Gerges et Firas Aboufakher, aux États-Unis, Haig Papazian et Hamed Sinno, et depuis Florence, toujours Mika. Ils chantent à cinq leur Promise Land. Un duo inédit pour une promesse de tube !
Furtive, mais ô combien puissante, Etel Adnan apparaît depuis son appartement parisien. Artiste à la douceur doyenne, à 95 ans, Etel persiste et dessine : « La seule réponse à la barbarie, c’est encore plus de détermination pour la poésie, la littérature, la musique, les arts ! »
Dont acte, la soirée se déploie sur une séquence festive et impromptue d’un Mika chantant son Lollipop dans les rues de San Cascianoin Val di Pesa, à grand renfort de cuivres. Les saxos et autres trompettes enfiévrées de la troupe Funk Off secouent Florence et ses environs.
Changement de registre, nous voici dans un studio de Londres. Émotion pétillante et stellaire, Kylie Minogue offre son Say Something pour Beyrouth. Toute en beauté, toute en sobriété, la star australienne nous livre un chant élégant, noble et généreux.
Du cœur de l’Italie vers le cœur de Beyrouth, direction Rome et son Colisée. Spectaculaire, et pourtant immensément intime, Laura Pausini interprète son Tra te e il mare avant de lancer, visiblement émue : « We Love Beirut. I Love Beirut ! »
Autre moment fort, cette fois aux pieds de Montmartre, Louane entonne son Si t’étais là en duo avec Mika. Une chanson, un poème en butte au manque. Ode sans cesse renouvelée à l’amour.
La littérature, encore et toujours. Salma Hayek, en grande admiratrice de Gebran Khalil Gebran, lit, regard perçant la Toile, Sur la beauté, un extrait du Prophète, saluant fièrement au passage son héritage libanais.
Témoignages…
Scandant ces escales musicales, des images et des mots viennent dire Beyrouth. Certaines évoquent le passé, d’autres le présent endolori par la tragédie. Les survivants prennent la parole. Il y a les mots de Michèle Homsy qui témoigne sur fond de silos de la douleur, du choc, de ses blessures et d’un inconnu, un ange-gardien en scooter qui lui a sauvé la vie, quelques minutes à peine après l’explosion. La maman de Michèle est là aussi. Elle livre ses maux. Il y a aussi le petit Alex, visage d’ange blessé. Parole d’enfant, parole de parent. La puissance des mots et celle incommensurable des regards et des silences. Le petit Georges, miraculé de l’Hôpital Saint-Georges, né au moment de l’explosion, apparaît plus loin au bras de ses parents. Aucun mot ne peut décrire leur émotion encore vive. « Notre Georges est une lumière au cœur des ténèbres », murmure le père.
...et images faussaires
Seul écart – un grand – seul faux pas de la soirée, ces vaines et douloureuses tentatives de reconstitution de la tragédie. Corps faussement soulevés par le souffle de l’explosion, faux bris de verre volant en faux éclats, faux personnages mimant le faux drame… Il est encore trop tôt, beaucoup trop tôt pour ces fausses et vaines fictions. Si la parole est encore fébrile, fragile pour dire l’indicible réalité, les images, quant à elles, peuvent et se doivent d’attendre. Laissons au temps le soin de cautériser le drame pour que puisse advenir l’image fabriquée.
Furtives, sur les murs de Gemmayzé et de Mar Mikhaël, apparaissent soudain les images-portraits des vraies victimes. Des images réelles, derniers témoins de vraies vies. Images aux vrais sourires d’éternité qui resteront, elles, à jamais gravées dans nos pierres et dans nos mémoires. Pour aimer Beyrouth, l’aimer d’un amour fou, inconditionnel.
----
* À l’heure où nous posons ces mots, le concert caritatif aura récolté la somme de 190 000 livres sterling. Vous pouvez effectuer vos dons sur le site www.gofundme.com/f/ilovebeirut
comment faire pour le voir?
09 h 50, le 21 septembre 2020