Abdellatif Laâbi s'est associé à Issa Makhlouf dès le lendemain de la catastrophe du 4 août pour lancer un appel au monde entier afin « que vive le Liban des Lumières ». Cet appel signé par des dizaines d'intellectuels et d'écrivains du monde entier a été traduit et publié dans les quotidiens de plusieurs pays. Il nous propose ici un extrait d'un long poème écrit en 1982 alors que la guerre civile faisait rage, hommage à Beyrouth qui garde toute sa force et sa pertinence aujourd'hui.
Vers toi Beyrouth
nos moignons
les étoiles filantes de nos yeux
et la nuée de rêves-oiseaux-lyres
qui nous picorent le cerveau
Vers toi, cette nuit méconnaissable
où nous trimons pour revigorer le ciel
de nouvelles constellations
Vers toi, nos maladies honteuses
nos pustules et nos lèpres
Vers toi, la stérilité qui a frappé nos dons visionnaires
Vers toi, nos murmures inaudibles
dans la cohue du mépris et de l’orgueil
Vers toi, notre silence trempé comme l’acier
rutilant d’impitoyables interrogations
Vers toi, notre caravane de misères
de parias ceints de leur suaire
payant le tribut du péché originel
décrété par les zélateurs de l’imposture
Vers toi, ce qui reste de nos vieux réflexes
d’hommes pensants
ne connaissant d’autre refuge que cette Terre
qui a recueilli nos aïeux
leur a donné le goût de vivre aimer lutter
leur a donné la passion
de l’émerveillement et des merveilles
fruits du cœur et de la main
Vers toi, notre inconditionnelle appartenance
notre chant de terriens
blessés dans la foi de leur dignité
Vers toi, notre transparence d’hommes
sans étiquette de race religion couleur
hommes seulement, se présentant
devant l’impressionnante balance de justice
Vers toi, notre bouleversement
ce cœur de tourterelle palpitant
que nous déposons dans ta paume avant de nous retirer
pour que tu rendes, en ton âme et conscience
ton jugement véridique