Le bleu ici est coupé au couteau.
C’est un espace à l’arme blanche
soleil tanné.
Il n’y a pas que les hommes qui ont
vécu.
Les chaises aussi peuvent témoigner.
Tout tourné vers le couchant.
Arrière-goût d’un arrière-pays d’une
arrière-saison…
Les époques ici s’entredévorent les unes les autres.
Nous rendrons aux couleurs leur couleur,
et à la lumière sa clarté
pour sortir la mort de son obscur
et l’obscur de son mort.
Ici est une ville qui effleure nulle étoile.
Les étoiles d’obus ici fleurent la ville
en mille et mille éclats de murs.
Là-dedans il y avait de l’enfance
mais quel enfant pour raconter ?
Pas de mémoire. Pas de mémoire.
Catastrophe sous le tapis
où se tapissent les catastrophes.
Ici est une ville où la nuit jamais
ne trouve son obscur. Tintamarre d’oubli.
Tintamarre ! Ici une ville dévore une ville :
ville cannibale devenant dévorant plus fragile ville.
Ville vile here is the Devil !
C’est une ville aveugle de ses habitants.
Personne pour parler doucement aux choses.
Ville tapis sous lequel on oublie des infinis
faits de cadavres et de silence.
Personne pour dire « je » personne ici
pour dire « nous ».
Je me souviens des absences
le temps est une lame de rasoir. Dire
les mots de la mémoire, c’est se trancher
les commissures des lèvres.
J’écris en aveugle. Ici, là-bas,
trouver les mots qui redonneront lumière
aux décalcomanies des ténèbres.
C’est une ville entre la montagne et le couchant,
prise entre l’élévation et la noyade,
entre la transcendance des montagnes
et l’immanence des profondeurs de la mer.
Sur les trottoirs les dallages de marbre
sont souvent brisés.
Des palmiers, des pins, des figuiers, et c’est incompréhensible ;
il y a si peu d’attention qu’il est plus facile de croire
que ces arbres sont arrivés ici tout seuls : Caraïbes, Italie, Grèce.
Les artères éventrent la marche ;
impossibilité de relier la ville à ses pieds,
impossibilité de reconstruire,
impossibilité de raccourcis
mais le silence.
C’est une agriculture de béton.
Terre labourée, asphalte ensemencée.
Et Moi, de loin, je suis cette langue évasive,
entre le flou de mon souvenir et le béton de la ville.
Trop d’opacité pour permettre
l’aisance de la réalité.
Des lieux sans mémoire.
Chacun seul,
qui saura ce que chacun a vécu
au milieu de la catastrophe ?
Je n’abdique pas et c’est déjà
une violence.
Déflagration.
C’est sous des ciels dissemblables
que se dissout la grâce de l’enfance
passant de ciel cyan au ciel sable
Va et vient
ciel-ciel
ainsi se poncent
les lamelles fines de la joie.
La catastrophe prendra vite fin
disais-tu.
Et c’était là ce qui la faisait durer.
Ici, pas d’étonnement
pas de locataires dans les immeubles
pas de douleurs invisibles
pas de mystère.
Tu disais
les mots inutiles
qui ne consolent pas.
Là un trou d’obus
comme une lune en creux
dans la façade
d’un visage.
Dans une flaque de pluie
Un enfant joue
Avec le soleil
Tentant de rendre au ciel brûlant
Ses plaques de rayons.
Dans ses mains
Des siècles de farine.
Dans une flaque de sang
Un enfant sonde les ténèbres
Échouant à sortir le rouge du sombre
Dévorant son silence
s’abreuvant à même
son propre visage.
Il y a dans un ciel déchiré
les éclats d’une cité aux mille et mille balcons
où encore l’on fait pousser
la menthe sous le soleil radi.
Les enfants jouent au foot avec le soleil en ballon.
Une ombre de sang,
qu’est ce que c’est
l’ecchymose de la mémoire ;
le mercure au chrome du chagrin
sur la plaie du silence.
Magnifique. Liberté j'écris ton nom...
15 h 25, le 10 septembre 2020