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Lifestyle - Photo-roman

J’ai 17 ans, une American Express... et une berline sans permis

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite...

J’ai 17 ans, une American Express... et une berline sans permis

Photo David Raffoul

C’était il y a deux mois. Une fois le confinement levé, un matin, mon père, affalé dans le cuir feutré de sa chaise longue Eames, au troisième étage de notre penthouse beyrouthin, nous avait déclaré, cigare aux lèvres : « Beyrouth devient invivable. Cette révolution communiste, insupportable. Ils ont une dent contre nous, les riches. Ils veulent notre peau. On se tire d’ici, on sera au calme dans notre chalet de Faqra en attendant de voir quoi faire. »

Jaloux de notre argent
Ma mère, trempée après son cours privé de Pilates, avait alors donné deux ou trois instructions à Rosy, Lilia et Flora qui s’étaient aussitôt affairées à ranger nos chambres en débâcle puis à apprêter nos malles pour notre fugue en montagne. Daisy, de son côté, avait aidé ma mère à préparer sa garde-robe pour l’enfilade de déjeuners champêtres, sunset parties et autres dîners qui l’attendent. Déjà que le Covid avait ruiné une grande partie de nos plans de voyages pour cette année, il ne nous manquait plus que cette foutue crise économique au Liban pour complètement achever mon été.

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Cela dit, Faqra, ce n’est peut-être pas Gstaad ou les îles grecques où nous avions l’habitude de passer nos vacances, mais ça reste tout de même mieux que Beyrouth qui, pour reprendre les mots de mon père, « devient de plus en plus glauque, nulle et communiste ». Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’est le communisme, mais si je ne me trompe pas, c’est quand les pauvres détestent les riches parce qu’ils sont jaloux des fortunes qu’ils ont faites à la sueur de leur front, et qu’ils veulent du coup les punir pour cela. C’est ce que mon père m’a expliqué un soir pendant les nouvelles locales, et c’est ce qui arrive au Liban aujourd’hui. Des cambriolages à la pelle, « on ressemble au Venezuela, quelle horreur ! ». J’entends ma mère répéter cela à ses copines, des gens qui hurlent dans les rues, les boîtes de nuit qui ferment, les banques qui sont contraintes de se barricader à cause des casseurs qui veulent foutre le bordel dans le pays, des limites sur les cartes de crédit, semble-t-il, tout cela m’exaspère au plus haut point. Et, dans le fond, ça m’attriste un peu, moi qui ai toujours vendu Beyrouth à mes amis de Gstaad et des îles grecques comme étant la Suisse du Moyen-Orient, un semblant d’Ibiza à longueur d’année, un Miami méditerranéen, avec ses magnums de champagne qu’on sabre jusqu’au matin, ses restaurants incroyables, ses hôtels à se damner, ses femmes comme des bombes, ses innombrables enseignes de luxe, ses voitures de dingue… J’ignore comment on pourra rester ici sans toutes ces choses essentielles. D’ailleurs, ma mère le vit si mal que je la vois s’enfiler – entre deux séances de healing – des cocktails de Valium et gin pour tenir.

Dans notre bulle
Pour ne rien vous cacher, de ma vie entière je n’ai jamais été confronté à une situation pareille. Le mot problème n’a nullement fait partie de mon vocabulaire. Très tôt, j’ai compris que le moindre souci, mon père, grâce à son réseau social d’enfer, pouvait le régler en un claquement de doigts. Et c’est pareil pour toute ma bande de copains. Que je me fasse virer de mon cours pour avoir jeté de l’encre sur la jupe de la prof d’arabe, harcelé une camarade de classe trop grosse à mon goût ou planté des pétards dans les toilettes pour rigoler, mon papa surmontera l’obstacle avec une donation à l’école. Que j’arrive trop tard à l’aéroport, c’est tout l’avion qui m’attendra. Qu’on refuse de me faire rentrer en boîte parce que mon fake ID est trop flagrant, mon papa passera un coup de fil au proprio, et c’est tout le staff qui me déroulera presque un tapis rouge. Que je me fasse choper avec de la drogue plein les poches, nul besoin de paniquer, mon papa connaît des députés, des banquiers, des ministres, des gars haut placés. Il y a deux étés, j’ai même renversé un vieux monsieur dans la rue alors que je conduisais une berline sans permis. L’affaire s’était soldée, encore une fois, grâce à mon papa, un piston doublé d’un dérisoire chèque bancaire. Bref, au moins ces privilèges-là continuent d’exister dans notre bulle de Faqra.

Partir, mourir, ne plus revenir...

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J’ai 17 ans et je passe mes journées à y parader avec ma Ferrari rouge que mon père m’empêche de sortir en ville, « pour passer inaperçus ». J’ai 17 ans et quand je m’en lasse, j’enfourche avec mes potes des ATV qu’on fait zigzaguer entre les chalets pour effrayer tout le quartier. Ça nous éclate. J’ai 17 ans et, comme casse-croûte, j’hésite tous les jours entre un Lobster Roll et un plateau d’huîtres que je ne me dérange pas d’afficher sur Instagram ou TikTok. Là où, d’ailleurs, je me plais à poster quotidiennement des vidéos de Rosy, Lilia, Flora et Daisy qui m’ont élevé et à qui j’organise des farces à n’en plus finir. J’ai 17 ans et, habillé de la tête aux pieds en édition limitée Off White, je fais passer mon American Express de bar en boîte et de boîte en hôtel où, à la vue de mon fresh money, tous les employés – sans exception – se plient en quatre à chacun de mes caprices. J’ai 17 ans et le Covid, je n’en ai rien à cirer parce que je sais qu’au pire, mon père m’installera un hôpital à domicile. J’ai 17 ans et je n’hésite pas à brandir mes dollars devant tout le monde. J’ai 17 ans, eh oui, et j’ai fait tout ce qu’il ne fallait surtout pas faire. Et c’est ce qui m’a plu, que ça soit interdit. J’ai 17 ans et de toute façon, quoi qu’il arrive au Liban, grâce à mon passeport, et à l’argent de mon papa planqué dans des comptes aux Panama, je me tirerai de ce pays glauque, nul et communiste. Et après nous, le déluge.

Chaque lundi, « L’Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ est une photo. C’est un peu cela, une photo-roman : à partir de l’image d’un photographe, on imagine un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c’est selon...

C’était il y a deux mois. Une fois le confinement levé, un matin, mon père, affalé dans le cuir feutré de sa chaise longue Eames, au troisième étage de notre penthouse beyrouthin, nous avait déclaré, cigare aux lèvres : « Beyrouth devient invivable. Cette révolution communiste, insupportable. Ils ont une dent contre nous, les riches. Ils veulent notre peau. On se tire...

commentaires (5)

Une jeunesse dorée comme tant d'autres dans la monde...ce n'est pas non plus la faute à ce jeune écervelé que nous en sommes là !!!

In Lebanon we (still) Trust

11 h 13, le 20 juillet 2020

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Commentaires (5)

  • Une jeunesse dorée comme tant d'autres dans la monde...ce n'est pas non plus la faute à ce jeune écervelé que nous en sommes là !!!

    In Lebanon we (still) Trust

    11 h 13, le 20 juillet 2020

  • A vomir ? en effet, mais j’espère que ce ne sera plus jamais d’actualité ?? Viviane Khoury Haddad

    Khoury-Haddad Viviane

    09 h 17, le 20 juillet 2020

  • A Vomir d’Actualité et de Vérité. Le Liban D’aujourd’hui! Excellente satyre.

    Cadige William

    08 h 21, le 20 juillet 2020

  • Trop caricatural. Vous auriez pu être plus proche de la triste réalité de la jeunesse dorée

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 13, le 20 juillet 2020

  • La COVID d’après l’académie française !

    lila

    07 h 23, le 20 juillet 2020

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