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Moyen-Orient - Décryptage

Quand la loi César bouleverse les plans émiratis en Syrie

Le retour du régime syrien dans le giron arabe devrait être contrarié par les sanctions américaines.

Quand la loi César bouleverse les plans émiratis en Syrie

L’ambassade des Émirats arabes unis à Damas. Archives AFP

La loi César va-t-elle dissuader les pays du Golfe d’acter leur rapprochement avec Damas ? S’ils ne sont pas directement visés par le texte, l’effet ricochet des sanctions américaines devrait contrarier leurs plans en Syrie, du moins pour l’instant. Entrée en vigueur le 17 juin, la loi César prévoit des mesures contre toute personne ou entité étrangère qui « apporte un soutien significatif au gouvernement syrien, financier, matériel ou technologique, ou qui conduit des transactions significatives avec celui-ci ». Une première liste de noms d’individus et d’entreprises syriennes sanctionnés par Washington pour leurs liens avec le régime a été publiée. Des éléments qui pourraient dissuader des acteurs de la péninsule Arabique d’investir dans des projets de reconstruction liés à Damas. « Cette loi devrait, entre autres, tuer dans l’œuf tout accord ou tout projet mis en place entre les pays du Golfe et le régime de Bachar el-Assad », remarque Mouaz Moustafa, directeur exécutif de la Syrian Emergency Task Force, contacté par L’Orient-Le Jour.

Des conditions qui ne font pas les affaires de Bachar el-Assad et de son parrain, le président russe Vladimir Poutine. Ni la Russie ni la République islamique, dont l’économie est asphyxiée par les sanctions américaines, ne sont en mesure de financer la reconstruction du pays estimée à plusieurs centaines de milliards de dollars. La reprise des relations entre la Syrie et les pays du Golfe avait le double avantage d’offrir une solution à ce problème et de faire revenir le régime Assad dans le giron arabe. Cette perspective s’éloigne avec la promulgation de la loi César. « La loi mettra certains partenaires proches des États-Unis dans la région dans une position difficile – notamment les Émirats arabes unis – alors qu’ils cherchent à trouver un équilibre entre leur désir de réhabiliter le président Assad et le maintien de liens politiques étroits avec Washington », explique Kristian Ulrichsen, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut Baker pour les politiques publiques à l’Université Rice.

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Parmi les pays du Golfe, les Émirats arabes unis se présentent comme la tête de pont du projet de normalisation avec le régime syrien. Une intention clairement affichée en 2018 avec la réouverture de leur ambassade dans la capitale syrienne. Le premier entretien téléphonique depuis 2011, en mars dernier, entre le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed, et le président syrien a toutefois fait passer leur relation à la vitesse supérieure. Peu avant, le chargé d’affaires d’Abou Dhabi en Syrie avait qualifié les relations entre Damas et l’émirat de « durables, spéciales et puissantes », lors d’une cérémonie dans la capitale syrienne pour la fête nationale des EAU.

Une approche singulière
S’insérer dans l’équation syrienne présente d’abord un intérêt économique pour Abou Dhabi. Les Émirats ont en ligne de mire une série de contrats juteux qui devraient leur permettre de s’arroger une partie du gâteau syrien. Depuis deux ans, les allées et venues d’hommes d’affaires syriens et émiratis se sont multipliées. En septembre 2019, une délégation émiratie s’était notamment rendue en Syrie pour assister à la 61e Foire internationale de Damas, faisant fi des avertissements de Washington contre toute participation à l’événement. La venue à Abou Dhabi neuf mois plus tôt d’une délégation syrienne, menée par Mohammad Hamcho, proche de Maher el-Assad (le frère du président), reste toutefois l’un des déplacements les plus remarqués, comprenant des individus issus de différents secteurs tels que l’agroalimentaire, l’immobilier ou les télécommunications. Selon différents rapports, une partie de la délégation serait liée à la Damascus Cham Holding Company, entreprise qui finance la construction de « Marota City », un projet de construction urbaine en banlieue de Damas, surnommé « le petit Dubaï syrien ».

Considéré comme l’homme de Damas auprès des Émiratis, Mohammad Hamcho fait déjà l’objet de sanctions américaines. Une partie de ses proches sont aussi visés dans la première liste relative à la loi César.

L’approche émiratie n’est pas surprenante. Dès le début du conflit en Syrie en 2011, les EAU se sont démarqués de leur allié saoudien en s’opposant certes au régime de Bachar el-Assad mais en adoptant une rhétorique plus modérée à son égard. Abou Dhabi craignait que tout soulèvement dans la région ne secoue également son pouvoir en interne. Contrairement au Qatar ou à l’Arabie saoudite, les EAU se sont aussi mis en retrait dans le financement de groupes à tendance islamiste, considérés comme une menace pour son projet politique. Plus discrètement, des liens ont également subsisté entre les Émirats et la famille Assad : la matriarche du clan, Anissa Makhlouf, et sa fille Bouchra ont trouvé refuge à Dubaï entre 2012 et 2013. « On évoque aussi des fortunes dans des banques des EAU et l’achat de propriétés », remarque le politologue Ziad Majed, spécialiste de la Syrie.

Autre enjeu pour Abou Dhabi : s’imposer comme la seule voix arabe dans le jeu syrien face à ses rivaux iranien et turc. « La reprise des relations entre Abou Dhabi et Damas s’inscrit beaucoup plus dans la perspective du rôle régional très agressif et actif qu’essayent de jouer les EAU », explique Ziad Majed. Si le petit émirat et son allié saoudien voient d’un mauvais œil l’influence iranienne dans la région, c’est surtout la présence turque en Syrie et en Libye qu’ils ont en ligne de mire. En toile de fond : la dispute entre Ankara, proche des Frères musulmans, et les poids lourds du Golfe pour le leadership du monde sunnite.

Vers un ralentissement du processus
Les EAU peuvent-ils être directement visés par la loi César ? « Il existe une vraie possibilité que des individus, des sociétés ou des entités des pays du Golfe ou d’autres États soient visés par la prochaine salve de sanctions prévues par la loi César, peut-être dès cet été », souligne Mouaz Moustafa.

Lors d’un briefing téléphonique au début du mois avec des journalistes à propos de la loi César, le représentant spécial des États-Unis pour la Syrie, James Jeffrey, a par ailleurs rappelé que Washington « refuse absolument » que les pays, à l’instar des EAU, rouvrent leurs missions diplomatiques à Damas. « Nous avons clairement souligné que nous considérons cela comme une mauvaise idée », a-t-il affirmé.

« Historiquement, les États du Golfe n’ont pas l’habitude de tenir tête aux États-Unis, en particulier lorsque la Maison-Blanche se montre très sérieuse, comme le montrent les déclarations fermes de James Jeffrey », rappelle Fayçal Mohammad, ancien professeur associé à l’Université de Qalamoun en Syrie, aujourd’hui basé à Toronto.

« Par crainte des sanctions, des critiques et des mises en garde américaines, Abou Dhabi et les autres acteurs de la région vont ralentir tout le processus de normalisation avec le régime de Damas, économiquement comme politiquement, ce qui veut dire que la reconstruction en Syrie n’aura pas lieu prochainement », note pour sa part Ziad Majed.

La loi César va-t-elle dissuader les pays du Golfe d’acter leur rapprochement avec Damas ? S’ils ne sont pas directement visés par le texte, l’effet ricochet des sanctions américaines devrait contrarier leurs plans en Syrie, du moins pour l’instant. Entrée en vigueur le 17 juin, la loi César prévoit des mesures contre toute personne ou entité étrangère qui « apporte un...

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"Les Émirats ont en ligne de mire une série de contrats juteux qui devraient leur permettre de s’arroger une partie du gâteau syrien." Quel gâteau syrien ? À l'instar de l'Irak ou de la Libye, la Syrie n'a pas une économie productive et des ressources naturelles pour financer son gâteau. L'UAE ne peux être qu'un bailleur de fonds.

Zovighian Michel

06 h 08, le 27 juin 2020

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Commentaires (1)

  • "Les Émirats ont en ligne de mire une série de contrats juteux qui devraient leur permettre de s’arroger une partie du gâteau syrien." Quel gâteau syrien ? À l'instar de l'Irak ou de la Libye, la Syrie n'a pas une économie productive et des ressources naturelles pour financer son gâteau. L'UAE ne peux être qu'un bailleur de fonds.

    Zovighian Michel

    06 h 08, le 27 juin 2020

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