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Culture - Livres

L’obstination du témoignage d’Alexandre Najjar

Auréolé de la médaille d’or de la Renaissance française pour l’ensemble de son œuvre le 19 juin, Alexandre Najjar vient de publier un ouvrage à chaud sur le printemps confiné que nous avons passé, à travers huit pays et huit narrateurs confrontés à un ennemi invisible et inconnu.

L’obstination du témoignage d’Alexandre Najjar

Alexandre Najjar regrette le fait que les Libanais aient trop longtemps emprunté le chemin du « silence souillé de connivence », selon la formule de Charles Hélou, avant de réagir. Photo DR

La Couronne du diable (Plon, 2020) se situe dans la lignée des œuvres précédentes de celui qui est à la fois avocat, écrivain et responsable de L’Orient littéraire. « Pendant la guerre du Liban, j’ai écrit La Honte du survivant (Naaman, 1989), en faisant référence à “l’obstination du témoignage”, chère à Camus, et à laquelle j’ai toujours cru. L’idée sartrienne de “responsabilité de l’écrivain” me paraît tout aussi fondamentale, avec l’idée qu’il doit être en situation, dans son époque, et qu’il doit s’engager, ce que j’essaie de faire aussi bien dans mes éditoriaux que dans mes livres. Face aux bouleversements que nous avons connus ces derniers mois avec le coronavirus, je ne me voyais pas écrire une histoire d’amour à Venise pendant la Renaissance, même me taire semblait indécent. Puisque nous n’avons pas le recul nécessaire pour tout raconter, j’ai proposé de raconter le premier acte de la tragédie, sachant que les commencements sont toujours révélateurs, dans la genèse d’une situation. Ils nous éclairent sur le basculement qui est en train de s’opérer », explique le fondateur du prix Phénix de littérature.

Deux lettres encadrent les huit tableaux qui dépeignent la confrontation des personnages avec un protagoniste qui va dévaster leurs existences. L’émetteur des missives est Gaudens, dont le prénom signifie en latin « celui qui détient la vérité », insistant d’emblée sur un des enjeux majeurs de la pandémie, celui de savoir ce qui s’est réellement passé.

À travers les destinées chamboulées d’un médecin chinois qui joue le jeu de la transparence au péril de sa vie, d’un couple de jeunes mariés confinés dans un navire de luxe au large du Japon ou d’un éditeur espagnol qui se lance dans un trafic de masques, le lecteur oscille entre des situations qui lui sont familières et le jeu de la fiction. La succession des nouvelles tisse habilement le double postulat de ces destins à la fois intimes et universels. « Dans la plupart de mes livres, notamment Mimosa (Les Escales, 2017), Berlin 36 (Plon 2009) ou Kadicha (Plon, 2011), je procède par séquences, peut-être parce que je suis féru de cinéma. J’aime bien visualiser les scènes, cela donne plus de dynamisme au livre. Je l’ai écrit en me fondant sur des sources écrites, audiovisuelles, ainsi que sur des récits d’amis qui se trouvaient dans les pays dont je parle. L’artiste milanais par exemple correspond à une situation réelle, de même que l’éditeur espagnol. Je me suis beaucoup documenté, mais l’imagination a été essentielle pour me téléporter et me mettre dans la peau de chacun, tout en tenant compte du contexte politique et culturel de chaque environnement », précise le romancier.



Transparence, justice et vérité

Outre la dimension plaisante de récits polyphoniques simultanés, la narration invite à une deuxième lecture plus globale, qui met en scène tout ce que ce « fossoyeur des libertés » qu’est le coronavirus a permis de révéler sur ce que l’on est. « La réaction des autorités dans différents pays a été intéressante ; le manque de transparence de certains, comme la Chine et l’Iran, mais aussi la préparation sanitaire très insuffisante de zones considérées comme développées. Cette épreuve a montré leur vulnérabilité et leur impuissance : à force d’investir dans l’armement, dans l’intelligence artificielle et dans les nouvelles technologies, le secteur de la santé a été négligé. Et je montre dans ce texte dans quelle mesure les personnes âgées ont été sacrifiées, avec le personnage de l’enseignante parisienne par exemple, dont la mère est confinée dans un Ehpad et dont elle n’a aucune nouvelle. Le plaidoyer final de Gaudens invite à une révision de nos priorités, pour revaloriser la santé et l’environnement », ajoute celui qui souligne également à quel point le rapport à l’autre a changé au cours de cette période de crise. « Mes personnages peuvent à un moment ou un autre se sentir appartenir à la “cathédrale humaine” dont parle Saint-Exupéry, mais ils expérimentent aussi une forme de défiance vis-à-vis d’autrui. L’un d’eux refuse d’ouvrir la porte lorsqu’il entend frapper chez lui, la distanciation physique s’immisce au sein du couple britannique en voyage de noces et l’idée de classer les patients selon leur âge apparaît... Pour revenir au titre, c’est une action du diable de blesser les gens dans leurs rapports humains et de creuser le fossé entre les générations. »

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Dans ce contexte d’incertitude, la séquence qui se déroule à Washington rend compte de la propension à se laisser séduire par des théories du complot farfelues. « Comme au moment du 11-Septembre, une tendance complotiste a refait surface : le journaliste américain du récit veut démontrer à sa rédaction que la vérité servie dans les médias n’est pas réelle. C’était un moyen pour moi de poser la question de la vérité, qui a été malmenée dans cette épreuve, le professeur Raoult en est un bon exemple. Le médecin chinois qui a lancé l’alerte et qui est violenté par les autorités dit d’ailleurs que la vérité est plus importante que la justice », constate l’auteur du Roman de Beyrouth (Plon, 2006).

Un « silence souillé de connivence »
Dans la chronique libanaise de l’ouvrage, la perspective adoptée est celle d’un père jésuite, ce qui est lié à différents éléments. « La communauté jésuite a été touchée de plein fouet par cette épidémie, plusieurs prêtres sont tombés malades, dont le père Bassili, qui est décédé. Le Liban doit beaucoup à cette communauté, sur un plan éducatif et culturel, et je voulais lui rendre hommage à travers mon personnage, qui a la particularité de soutenir la révolution politique du pays, dans la lignée de ces prêtres qui s’engagent, en considérant que le Christ était un anarchiste qui a réussi. Le narrateur libanais est un homme de foi qui puise dans les Écritures des raisons d’espérer, tout en étant extrêmement critique vis-à-vis des croyances conservatrices ou des interprétations du virus qui prônent que Dieu se venge de l’éloignement des hommes. Le religieux et le merveilleux sont omniprésents dans notre culture, et la dimension superstitieuse est déterminante ; on a pu le constater à plusieurs reprises au cours de cette période de pandémie, avec des fidèles qui refusaient de communier avec la main, au mépris des précautions sanitaires. J’ai voulu montrer que la pratique d’une foi primaire peut polluer le discernement, et rendre hommage aux prêtres éclairés qui abordent la réalité avec une certaine ouverture d’esprit », considère celui qui a su trouver les mots pour dépeindre l’absurdité de certaines situations dans lesquelles nous avons basculé dernièrement. Le romancier et essayiste vient par ailleurs de terminer l’écriture d’un court-métrage qui met en scène l’aspect insensé de certaines pratiques générées par la lutte contre le virus : nettoyer des billets de banque à la javel, programmer des matchs de foot en huis clos, se saluer avec le coude... « Le film est en cours de réalisation par Farah Chaya, qui a fait appel à des comédiens qui, chacun à travers un monologue sur sa webcam, racontent leur expérience ; on y retrouve Badih Abou Chakra, Nada Abou Farhat, Michel Jabre, Josyane Boulos... » annonce celui qui a déjà reçu plusieurs prix prestigieux.

La question de l’articulation entre révolution et pandémie est posée entre les lignes du témoignage fictionnel du père jésuite. « Notre pays connaît une crise sans précédent sur un plan économique, et l’État semble désormais dépourvu de moyens pour apporter le moindre soutien à tous les secteurs en difficulté. En tant qu’avocat, j’ai pu constater que la justice est toujours partiellement paralysée, or elle est fondamentale pour réguler une société et défendre les droits des citoyens. Je déplore vraiment ce manque d’empressement. Malheureusement, je crois que la révolution, à laquelle j’adhère totalement, est arrivée trop tardivement. Peut-être qu’il y a quelques années, au moment de la crise des déchets, elle aurait pu avoir un certain impact si elle avait perduré, car les structures financières et bancaires étaient encore solides. Aujourd’hui, la révolution a besoin de s’organiser, de centraliser les revendications et de choisir ses représentants. Néanmoins, ce qui fausse le jeu démocratique, c’est la présence de deux partis armés, qui seront toujours un obstacle majeur à la marée humaine des révolutionnaires », conclut-il, en regrettant le fait que les Libanais aient trop longtemps emprunté le chemin du « silence souillé de connivence », selon la formule de Charles Hélou, avant de réagir.

La Couronne du diable (Plon, 2020) se situe dans la lignée des œuvres précédentes de celui qui est à la fois avocat, écrivain et responsable de L’Orient littéraire. « Pendant la guerre du Liban, j’ai écrit La Honte du survivant (Naaman, 1989), en faisant référence à “l’obstination du témoignage”, chère à Camus, et à laquelle j’ai toujours cru. L’idée sartrienne...
commentaires (2)

Il faudrait admirer un homme comme Mr Najjar qui favorise une langue civilisée. La langue arabe est une langue primitive et limitée. La langue est l'instrument de la pensée. Et l'Arabe ne se prête pas a articuler le idées d'une manière claire et concise. Serait-ce la cause de la confusion du monde arabophone?Comme toutes les langues liturgiques, l'Arabe sera un jour reléguer a l'archéologie.

SATURNE

16 h 13, le 26 juin 2020

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Commentaires (2)

  • Il faudrait admirer un homme comme Mr Najjar qui favorise une langue civilisée. La langue arabe est une langue primitive et limitée. La langue est l'instrument de la pensée. Et l'Arabe ne se prête pas a articuler le idées d'une manière claire et concise. Serait-ce la cause de la confusion du monde arabophone?Comme toutes les langues liturgiques, l'Arabe sera un jour reléguer a l'archéologie.

    SATURNE

    16 h 13, le 26 juin 2020

  • C'est bien d'avoir des auteurs francophones au liban. Il le faut. En revanche,pour une plus grande diffusion auprès du public, il vaut mieux que les livres publiés actuellement soient plus proche de la plume d'un écrivain, romancier, essayiste même que philosophe ou avocat. Je parle en général ( pas pour ce livre que je n'ai pas lu pour l'instant). Mais globalement, pour le liban, il vaut mieux privilégier le "grand public" et non un club d'élite. Juste pour promouvoir la langue française. Eh oui...Nous en sommes à ce stade malheureusement. Pour ce livre, je vais le lire avec grand plaisir :) ( et nous pourrons en faire un article sur notre site radio. Pourquoi pas? ) Bonne journée.

    LE FRANCOPHONE

    13 h 52, le 26 juin 2020

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