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Politique - En toute liberté

En attendant le Liban

Quel Liban voulons-nous ? Quel Liban est possible ? C’est de grandes questions que le chef de l’État devra poser aux assises de jeudi, si elles se tiennent. Des questions à la dimension de la crise que nous vivons en ce moment. Michel Aoun y sera-t-il demandeur de conseils ou donneur ? Avec la confiance en lui-même qu’on lui connaît, il est difficile de l’imaginer en demandeur. Mais pouvons-nous exclure que, désemparé par le spectacle de la rue et des informations qui lui parviennent, il puisse être également demandeur de conseils ? Qu’il le soit ou non, si le dialogue est appelé à conduire quelque part, il faut que le président Michel Aoun soit conscient qu’il est lui-même partie du problème, et non de la solution. Le chef de l’État doit se poser en égal de ceux qu’il convoque. Le chef du CPL, Gebran Bassil, aussi. Les deux hommes sont égaux dans l’ignorance de ce qui peut et doit être fait pour sauver le navire du naufrage, en plein orage, et alors qu’il fait eau de toutes parts.

La ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, a diagnostiqué une crise de régime. Elle l’a dit il y a quelques jours à des étudiants en droit venus lui prêter main-forte pour mettre à niveau et à jour l’appareil législatif. Nous assistons, a-t-elle dit, à « un combat féroce » entre un Liban de la bonne gouvernance, ou disons de l’honnête gouvernance, et un Liban que l’International Crisis Group décrit comme étant gouverné depuis quelques années par « des cliques corrompues et intéressées qui s’approprient et redistribuent les ressources de l’État (NDLR : à leur clientèle politique) et les ressources publiques ». Le mot clique n’est pas joli ? Remplaçons-le par groupes, ou courants, ou partis.

Mais limiter ce que nous vivons à une crise de régime pourrait être insuffisant. C’est une crise de civilisation que nous vivons, une crise d’identité. Plusieurs Liban se côtoient, au point que l’on ne sait plus lequel est le vrai. Il y a un Liban perdu dans la confusion ambiante, que les différents acteurs, comme dans un colin-maillard, cherchent les yeux bandés, aveuglés par leurs intérêts, leurs idéologies, ou leur cécité.

Quel Liban voulons-nous ? Quel Liban est possible ? À quelques mois du centenaire du Grand Liban, quel Liban reste de cette patrie dont certains de nos ancêtres ont rêvé, quand des chrétiens sont pris de remords d’avoir choisi de vivre avec des musulmans, que d’autres enragent d’avoir laissé filer la Grande Syrie et que d’autres encore rêvent et sanctifient les batailles héroïques perdues face au colonisateur ? C’est bien dans cet esprit que s’est exprimé, il y a quelques semaines, un haut dignitaire chiite, convaincu que le pacte, la formule et les alambics politiques, destinés à distiller le Liban du colonisateur, n’avaient finalement donné qu’un alcool frelaté et indigeste.

Mais à sa place, que propose-t-il ? Pourquoi n’élève-t-il pas la voix contre cette métastase géante que sont le Hezbollah et son allié chrétien, le CPL, qui ronge (ou phagocyte ?) le corps national ? Comment ne discerne-t-il pas que ce rêve guerrier, cet État dans l’État, cette théocratie larvée, est un facteur de désintégration qu’il faudra tôt ou tard opérer pour que le corps ait des chances de se rétablir. Qu’est-ce que le coup du 7 mai sinon une contre-attaque à une tentative étatique de s’opposer à l’installation par le Hezbollah de son propre réseau de communication et à son contrôle de l’Aéroport international de Beyrouth ? Qu’est-ce que l’accord de Doha (2008) sinon un système qui, court-circuitant la Constitution, déclare légal tout ce sur quoi s’entendraient six ou sept chefs politiques, avec en prime le chantage de la démission brandi chaque fois que l’une des forces veut imposer son diktat.

Oui, quel Liban voulons-nous? Pouvons-nous échapper à nos prisons fédérales et sortir à l’air libre de la nation ? Dommage qu’aux assises de Baabda, quelques-uns de nos sages ne soient pas invités. Dommage que la Commission nationale pour les disparus de la guerre nouvellement formée n’y soit pas conviée. Dommage que cette commission ne se soit pas appelé Vérité et justice. Car le Liban ne se relèvera pas tant qu’il n’ait purifié sa mémoire de l’atroce guerre que se sont livrée les Libanais, par-delà les « dialogues » qui ne sont que du radotage politique et les amnisties qui ne sont que des lâchetés institutionnalisées. Les maronites sont à l’origine de la naissance du Grand Liban, nous dit-on. Peut-être. Mais en cent ans d’histoire, on attend toujours de voir en action de véritables chrétiens.

Quel Liban voulons-nous ? Quel Liban est possible ? C’est de grandes questions que le chef de l’État devra poser aux assises de jeudi, si elles se tiennent. Des questions à la dimension de la crise que nous vivons en ce moment. Michel Aoun y sera-t-il demandeur de conseils ou donneur ? Avec la confiance en lui-même qu’on lui connaît, il est difficile de l’imaginer en demandeur. Mais...

commentaires (8)

Notes de lecture : Clemenceau avait mis en garde le patriarche Hoyek qui lui demandait avec insistance le retour des terres libanaises offertes à la Syrie avant 1860. Clemenceau lui avait répliqué : "Ces terres sont à majorité musulmane, tout de suite ils vous dépasseront, pouvez-vous les peupler de chrétiens ?" Le patriarche lui rétorque : "Nous le pouvons". Clemenceau lui dit alors : "Je vous les accorde". Nous y sommes aujourd'hui !

Un Libanais

17 h 08, le 23 juin 2020

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Commentaires (8)

  • Notes de lecture : Clemenceau avait mis en garde le patriarche Hoyek qui lui demandait avec insistance le retour des terres libanaises offertes à la Syrie avant 1860. Clemenceau lui avait répliqué : "Ces terres sont à majorité musulmane, tout de suite ils vous dépasseront, pouvez-vous les peupler de chrétiens ?" Le patriarche lui rétorque : "Nous le pouvons". Clemenceau lui dit alors : "Je vous les accorde". Nous y sommes aujourd'hui !

    Un Libanais

    17 h 08, le 23 juin 2020

  • Nos hommes politiques sont très forts pour poser des diagnostics, pour critiquer l'action du Gouvernement, même lorsqu'ils sont eux-mêmes Ministres ou l'un des parrains de ce Gouvernement. Ils ont une faculté exceptionnelle de dédoublement. Mais lorsqu'il s'agit d'apporter les remèdes, de mettre en oeuvre la thérapie nécessaire, ils se débinent. Quel gâchis!

    Georges Airut

    10 h 22, le 23 juin 2020

  • La Ministre de la Justice a bien mis le doigt sur la plaie, mais que fait-elle concrètement pour remédier à cet état de choses? En tant que Ministre de la Justice, il lui revient d'oeuvrer avec vigueur et sérieux à la mise en place d'une Justice indépendante, à la poursuite et au châtiment de ceux qui ont pillé l'Etat, à nettoyer les Écuries d'Augias. Or jusqu'à présent RIEN N'A ÉTÉ ACCOMPLI sur ce plan.

    Georges Airut

    10 h 04, le 23 juin 2020

  • ""Quel Liban voulons-nous ? Quel Liban est possible ?"".................................................................... Les bonnes questions comme si on a encore le choix. On posait ces questions il y 50 ans, et que de propositions venant surtout d' intellos qui prônaient le Liban nouveau par des projets prêts à l’emploi. Que de publications. Personne n’a vu venir ce courant politico-religieux dans toute sa puissance ? Les contours du Liban sont dessinés par de longues années de guerres de toutes sortes, et qu’il est trop tard de renverser une situation irréversible…

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 51, le 23 juin 2020

  • ....""Dommage que la Commission nationale pour les disparus de la guerre nouvellement formée n’y soit pas conviée. Dommage que cette commission ne se soit pas appelé Vérité et justice. Car le Liban ne se relèvera pas tant qu’il n’ait purifié sa mémoire de l’atroce guerre que se sont livrée les Libanais….""................................................................ Nous sommes dans un pays où le statut de la victime est souvent accompagné non pas d’affection, d’empathie, mais du mépris, sur le ton ""ya haram"" ou bien ""min bikoun hayda"". Oui, bien sûr il faut une Commission pour les disparus, mais pas pour but de tourner les pages des guerres pendant des décennies. Qu’elle soit ""Vérité et justice"", c’est très bien, mais comment purger ou purifier sa mémoire, quand les victimes, elles, savaient sans jamais être entendues. Il n’y a pire qu’un enfant ou un parent qui ne connaît rien du sort de son disparu…..

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 38, le 23 juin 2020

  • Je vous cite : ""quand des chrétiens sont pris de remords d’avoir choisi de vivre avec des musulmans""... ET ...""Peut-être. Mais en cent ans d’histoire, on attend toujours de voir en action de véritables chrétiens.""............................................. De nos jours, la politique de la ""main tendue"" comporte beaucoup de risque. Non pas pour y mettre du gel hydro alcoolique, mais pour être coupée. A l’époque, nos ""ancêtres chrétiens"" étaient férus de morale religieuse, sur le mode qu’il y ""plusieurs demeures dans la maison de mon père"" et qu’avec le temps cela s’arrangera. Or le temps est passé et les véritables chrétiens sont partis. Il faut avoir les moyens surtout économiques pour faire ""vivre ensemble"" toutes ces communautés, comme ""la maison commune européenne"", souvenez-vous. Aujourd’hui, dans la maison Liban, ce sont des enfants très gâtés qui ne savent pas ce qu’ils veulent, et où chacun écoute la musique de son choix. Cela donne le tournis à entendre en même temps tant de concerts de musiques différentes....

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 20, le 23 juin 2020

  • Mr Noun, j'ai souvent le plus grand respect pour une grande partie de vos articles, opinions et analyses. Toutefois, permettez moi de relever qu'un véritable chrétien ne jetterait pas systématiquement l'anathème sur une partie de la population à laquelle il attribue tous nos maux par parti pris politique, indignes d'un véritable chrétien. Il est temps de changer de mentalité archaïque, et de commencer à accepter l'autre dans ses idées et contradictions, c'est ce que ferait un véritable chrétien libanais. Pr André Sacy

    christiane sacy

    07 h 35, le 23 juin 2020

  • Quel Liban voulons-nous ? La réponse est claire: un Liban souverain. Mais comme il sera interdit d'y aborder cette question primordiale, la réunion prévue à Baabda, se trouve dénuée de tout intérêt.

    Yves Prevost

    07 h 34, le 23 juin 2020

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