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Culture - Hommage

D’un coup de dés cosmique

Quand toutes les tristesses auront brûlé

Amour, ne restera que l’aubépine

Pour dire l’aube avec les anges de la face

Et les draps d’herbe où vient parfois la lune

En des statues d’eau pure : amour,

Amour, ne restera que l’aubépine.

(Salah Stétié, « Fièvre et guérison de l’icône », Imprimerie nationale,1998)

Comme tout grand poète, qui a fouillé jusqu’au fond de ses entrailles le venin et la rédemption, Salah Stétié regardait la mort de face comme une promise immémoriale qui entretenait le feu sacré du vivant. Mais voici que d’un coup de dés bref, elle a rompu l’équilibre et s’est emparée du rêveur et de l’homme d’action d’une même levée.

Salah Stétié n’est plus !

On aura beau le savoir de source sûre, on a et on aura du mal à le croire tant il fait partie de notre imaginaire, de nos projections et du vent surprenant qui nous pousse à intervenir sur les interrogations et mystères de notre temps.

J’ai connu Salah Stétié sous plusieurs angles, plusieurs souffles. Tout d’abord à travers une correspondance littéraire nourrie avec celui qui était alors ambassadeur du Liban au Maroc. Il était à l’écoute et en quête d’une voix libérée des contraintes de la fonction. Je lisais à cette époque son très bel essai Archer aveugle, d’une rare finesse et puissance, dédié à ses poètes essentiels. Ce livre, qui est une référence en la matière, fait écho à un autre essai fondateur, Les porteurs de feu, où il célèbre quelques poètes libanais majeurs, dont le remarquable Georges Schehadé. Cette lecture aura marqué durablement mon cheminement poétique.

J’ai revu plusieurs fois Salah Stétié à Paris et en France, toujours surpris par sa vivacité d’esprit et son acuité intellectuelle. Rapide à la détente, il visait juste, comme son « archer aveugle ». Ce mélange d’assurance personnelle et de culture littéraire très variée l’ont transformé en un passeur incontournable entre le monde arabo-musulman-chrétien et occidental. Même si on pouvait le considérer comme l’un des représentants les plus illustres de la poésie francophone, il était, au-delà de ces considérations, aussi bien un poète français et libanais qu’universel. Sa curiosité et sa passion de penseur et d’acteur de la poésie l’ont porté à découvrir et assimiler d’autres cultures européennes, la délicatesse et la fulgurance du Japon, l’Amérique latine qui est une autre face du monde arabe.

Il m’avait fait l’honneur d’être présent lors d’un prix de poésie que j’ai reçu à Agen en 2008, au cours duquel j’ai pu l’observer de très près. Il connaissait de nombreux textes de mémoire, pas celle des écoliers (malgré L’écolier sultan de Georges Schehadé) mais celle du voyant, du mystique : dire les yeux à demi fermés ou fermés. Bien que Salah Stétié n’était pas aveugle, il savait ressourcer la parole dans le noir, et en cela, il me rappelait José Luis Borges qui, lui, ne voyait plus que la portée de sa vision.

Le Liban vient de perdre un de ses plus authentiques représentants, écrivain, poète, diplomate et personnalité de la société civile. Salah Stétié a connu la gloire de son vivant, mais aussi les ombres qui souvent l’accompagnent, son œuvre est patrimoine de l’humanité. Plus encore, il avait une qualité particulière, il savait donner de la voix pour dénoncer la situation intolérable des Palestiniens, l’invasion du Liban par Israël, le racisme et le fossé prémédité qui s’est creusé entre l’Orient et l’Occident.

… Les maîtres de la guerre et de la paix habitent au-dessus des nuages dans des himalayas des tours bancaires

Quelquefois ils nous voient, mais le plus souvent c’est la haine qui regarde

Elle a les lunettes noires que l’on sait…

Le départ de Salah Stétié de notre monde accablé et merveilleux à la fois se fait ressentir en France, sa terre d’exil et d’élection. Tout poète vit un exil qui le force à créer avec ardeur, à ouvrir son troisième œil ! L’œuvre et la présence de Salah Stétié ont traversé tous les continents. Cela est sans doute la part d’âme voyageuse des Libanais, mais dans le cas de Salah Stétié, il aura réussi à tenir le feu de la parole au-delà de toute contrainte ou complaisance.

Une des dernières fois que je l’ai vu, il rendait un hommage émouvant à Yves Bonnefoy, son grand ami et complice qui l’avait précédé dans la traversée de la vie vers la poésie du silence. Salah Stétié était bien inscrit dans son époque et a fréquenté/célébré/inspiré d’autres écrivains de renom du XXe siècle : Giuseppe Ungaretti, Pierre Jean Jouve, André Pieyre de Mandiargues, André du Bouchet, David Gascoyne, etc.

Je suis sûr qu’au Liban, en France et dans le monde entier, des poètes, des compagnons de route, des admirateurs salueront avec ferveur sa mémoire et son immense contribution à la littérature contemporaine. Il est en nous en tant que poète, essayiste et en tant qu’éclaireur des voies souvent obscures et heurtées que nous sommes amenés à découvrir.

Salah Stétié, poète et diplomate, n’est plus !

Non ! Je veux dire : Salah Stétié, poète, mystique en plein cœur d’une cité moderne, avec ses éclats d’intelligence et ses ténèbres, est toujours là !

Il aura trouvé les dernières années de sa vie un refuge qui aura résisté aux tempêtes, le musée Paul Valéry de la ville de Sète, auquel il a confié une importante donation d’œuvres, de manuscrits et de livres d’artistes, et qui lui a dédié une pleine salle. Président d’honneur du festival international de poésie « Voix vives », dans cette même ville, il est assuré aussi d’une flamme bienveillante face à la Méditerranée.

Le poète vit toujours dans l’écho de sa parole !

Hommage à toi, Salah Stétié !

Michel CASSIR, mai 2020

Poète, auteur, scientifique

Quand toutes les tristesses auront brûléAmour, ne restera que l’aubépinePour dire l’aube avec les anges de la face Et les draps d’herbe où vient parfois la lune En des statues d’eau pure : amour,Amour, ne restera que l’aubépine.(Salah Stétié, « Fièvre et guérison de l’icône », Imprimerie nationale,1998)Comme tout grand poète, qui a fouillé jusqu’au fond...

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