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Moyen-Orient - Syrie

Le spectre de la guerre hante toujours les Damascènes

Pour les habitants de la capitale, la peur des bombardements a laissé place à une peur de la pauvreté.

Des déplacés alépins squattent un appartement en cour de construction à Jaramana, près de Damas. AFP/Louai Beshara

Les canons se sont tus il y a plus d’un an à Damas. Mais pour Abdel Kader Kassem et les habitants de la capitale syrienne, la guerre, entrée dans sa dixième année, est loin d’être finie et ses séquelles ne cicatrisent pas.

Portant deux plants d’arbres d’une seule main, le quadragénaire boîte légèrement. Une manche de sa veste est enfoncée dans sa poche : il a été amputé de la main gauche. « C’est difficile pour moi d’oublier la guerre », confie ce vendeur de plantes. « Elle m’a pris ce que j’avais de plus cher : mon fils Mazen et ma main gauche », lâche-t-il.

Avec plus de 380 000 morts, le conflit en Syrie, déclenché avec la répression par le régime de manifestations prodémocratie organisées dès le 15 mars 2011, entre dans sa dixième année.

La guerre a ruiné le pays et jeté sur la route de l’exil plus de la moitié de sa population, plus de 20 millions de personnes.

Souffrant d’une blessure permanente à la jambe, M. Kassem a perdu son fils et sa maison, et a été grièvement touché dans l’explosion d’une voiture piégée en 2013. « Pour beaucoup, la guerre à Damas est terminée », confie le quadragénaire, cigarette au bec. « Mais, pour moi, elle m’accompagnera jusqu’à la fin de mes jours », ajoute-t-il, derrière son présentoir garni de fleurs rouges, jaunes et rose.

Il gagne sa vie en vendant des plantes dans un souk de Damas. Après une commande, il place plusieurs plantes dans une caisse, puis s’assoit sur un tabouret, saluant les passants qui déambulent.

Si les offensives se poursuivent encore sur certains fronts en Syrie, Damas connaît depuis 2018 un calme relatif. Les forces gouvernementales ont délogé rebelles et jihadistes de ses quartiers périphériques et de sa proche banlieue, au terme d’un déluge de feu et d’offensives successives.

Mais les blessures laissées par des années de guerre sont loin d’être cicatrisées, et les Damascènes peinent à rebâtir leur vie dans un pays à l’économie dévastée.

La peur de la pauvreté

Les habitants des territoires gouvernementaux vivent un quotidien d’« après-guerre » au goût amer, marqué par les rationnements de carburants, des pénuries de certains produits et une inflation galopante.

Derrière son volant, Nabil el-Charif conduit chaque jour une quinzaine de clients qui déversent leurs doléances. « Cette voiture est devenue une caisse de résonance pour les inquiétudes des gens. Ils racontent leurs histoires douloureuses tout au long des années de guerre », affirme le chauffeur de taxi de 63 ans. « Si je n’avais pas des nerfs d’acier, je n’aurais pas pu supporter », dit-il. « Chaque client se plaint de la situation économique difficile et de la cherté de vie. »

Avant 2018, lui et ses passagers se déplaçaient avec fébrilité dans la ville, craignant les obus des rebelles qui tombaient. Mais si aujourd’hui les bombardements ont cessé, l’inquiétude a changé de nature. « La peur de la mort a laissé place à une peur de la pauvreté », affirme M. Charif.

Aujourd’hui, 83 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon l’ONU. La guerre a laminé les infrastructures du pays, entraînant des destructions estimées à quelque 400 milliards de dollars.

Les économistes proches du pouvoir imputent la crise aux sanctions occidentales imposées à Damas. Mais aussi à la crise au Liban voisin, qui a accéléré la chute de la livre syrienne face au dollar sur le marché noir.

Exode

À Jaramana, une des banlieues de Damas, la famille d’Ahmad Hamadé, 71 ans, fait partie des centaines de Syriens ayant trouvé refuge dans des immeubles en construction, sans électricité ni mobilier, au milieu d’un quartier sans eau courante ni tout-à-l’égout. Marchant lentement le long d’une ruelle boueuse, appuyé sur une canne, le septuagénaire déplore des années d’exode, ballotté d’une région à l’autre.

« Nous avons fui au moins dix fois », raconte-t-il. « La guerre sera finie quand notre exode le sera et que nous rentrerons sur nos terres et dans nos maisons », estime-t-il, installé dans une pièce sombre aux murs nus.

Son nouveau chez-soi contraste avec la maison confortable qu’il possédait à Alep, province du Nord syrien. Pour se protéger du froid et de la pluie, son épouse Zarifa, 64 ans, a recouvert les fenêtres sans vitres avec des tissus ou des bâches en plastique. Chez eux, le thé est servi sans sucre, désormais trop cher. Le poêle est éteint parce qu’il n’y a pas de bois. « La guerre a pris toute ma vie », se désole la sexagénaire. « Mes enfants ont été poussés à l’exil, ma maison détruite et nous n’avons plus rien. »

Même ce logement insalubre, ils devront l’abandonner. Le propriétaire a décidé de le vendre. « Mon dernier souhait dans cette vie est de pouvoir vivre dans une maison sans être obligée d’en partir », dit Mme Hamadé. « L’exode, je n’en peux plus. »

Maher AL-MOUNES/AFP

Les canons se sont tus il y a plus d’un an à Damas. Mais pour Abdel Kader Kassem et les habitants de la capitale syrienne, la guerre, entrée dans sa dixième année, est loin d’être finie et ses séquelles ne cicatrisent pas.Portant deux plants d’arbres d’une seule main, le quadragénaire boîte légèrement. Une manche de sa veste est enfoncée dans sa poche : il a été amputé...

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