Il y a deux histoires qui s’écrivent actuellement à Idleb. L’une est géopolitique, l’autre est tragique. La première captive le public, la seconde n’intéresse plus personne. Le point commun entre les deux ? L’absence totale des Occidentaux.
Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan se réunissent aujourd’hui à Moscou pour tenter de trouver un accord autour d’un nouveau partage de la dernière province syrienne aux mains des rebelles et des jihadistes. Le partenariat entre les deux pays ne tient plus qu’à un fil, celui de leur volonté de ne pas en découdre et de leurs consciences respectives d’avoir encore besoin l’un de l’autre. L’aviation du tsar, qui parraine le régime Assad, pilonne la province d’Idleb depuis des mois, visant particulièrement les infrastructures civiles dont les hôpitaux, pour pousser les populations à fuir et les groupes armés à la reddition. L’armée du sultan, qui commande la rébellion, bombarde depuis des semaines les positions du régime Assad, tuant des centaines de ses combattants et détruisant une partie de son arsenal militaire. Par la force militaire, Moscou a pu assurer la reconquête par les forces loyalistes de la moitié de la province, obligeant plus d’un million de Syriens à se déplacer pour ne pas vivre à nouveau sous le joug du régime. Par la force militaire, Ankara a pu ralentir l’avancée de l’axe Moscou-Damas-Téhéran, et prouver qu’il était possible d’infliger de lourdes pertes au régime sans pour autant risquer de déclencher une guerre mondiale. Pendant ce temps, les Occidentaux continuent de répéter en boucle, comme s’ils voulaient eux-mêmes s’en convaincre, qu’il n’y a pas de solution militaire en Syrie. Les Russes et les Turcs font de la politique, utilisant combattant et civils comme des pions au service de leurs intérêts. Les Occidentaux détournent le regard.
Après neuf ans de guerre, Idleb a tout pour être le summum de l’horreur et de la honte. Alep et les autres reconquêtes du régime avaient déjà mis la barre très haut, mais jamais les Syriens n’avaient été aussi déshumanisés. Jamais la fuite d’un million de personnes, la misère de dizaines de milliers d’entre elles contraintes de dormir dehors en plein hiver, et la mort, dans de telles conditions, de dizaines de bébés, n’avaient suscité autant d’indifférence.
La domination des groupes jihadistes, principalement Hay’at Tahrir al-Cham (ex-branche d’el-Qaëda en Syrie) dans la province, le rôle pernicieux de la Turquie, la complexité de la situation ou encore la durée du conflit explique en partie cette insensibilité générale. Mais la réalité semble beaucoup plus crue : aux yeux du reste du monde, les Syriens n’existent pas. Ce ne sont que des chiffres et quelques images de temps en temps. Ce ne sont que des potentiels réfugiés ou terroristes. Ce ne sont que des Arabes, très majoritairement sunnites de surcroît, qui ont eu le toupet de refuser de continuer de vivre sous la tyrannie d’un clan.
Les Occidentaux ont décidé d’être les spectateurs d’une politique sans morale et de faire, de leur côté, de la morale sans politique. Ils risquent d’en payer un jour le prix, en particulier les Européens. Ils ont beau jeu de critiquer aujourd’hui le chantage ignoble du président turc qui se sert des réfugiés comme d’une monnaie d’échange, mais qu’ont-ils fait pour empêcher tout cela ? Le reïs est un autocrate, qui n’hésite pas à violer les droits de l’homme et à conspuer la démocratie. Son intervention contre les Kurdes en Syrie et son instrumentalisation de la rébellion syrienne méritent toutes les condamnations. Il n’empêche que la Turquie accueille déjà presque 4 millions de réfugiés et voit plus de 3 millions de Syriens frapper encore à sa porte. Que fait l’Europe pour empêcher cela, à part vilipender la Turquie et appeler à la paix dans des tribunes ?
Il n’y a jamais eu de bonnes solutions en Syrie. Au premier jour de la révolution, il était clair que l’histoire allait dans tous les cas finir dans la violence et le chaos. Mais il y avait des solutions encore pires que d’autres. Le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad et de son clan aura coûté non seulement la guerre, le terrorisme, les interventionnismes extérieurs, la crise des réfugiés mais aussi, et peut-être surtout, le piétinement de toutes les normes internationales et la perte de crédit de ceux qui s’en réclament.
Cela paraît pompeux. C’est pourtant affreusement concret. Comment voulez-vous expliquer aujourd’hui à un Syrien qui se fait bombarder depuis neuf ans, qui s’est fait gazer, qui a dû fuir à de multiples reprises, qui a vu ses proches disparaître un à un, qui a tout perdu et qui ne croit plus en rien, que l’Europe lui ferme ses portes et le considère comme une menace ? Comment, lorsqu’on n’a rien fait pour éviter le pire, peut-on espérer que le pire ne finisse pas par nous rattraper ?
commentaires (8)
C BIEN FAIT POUR LES EUROPEENS , QUI NE VEULENT PAS SE MOUILLER- NON MOUILLER LEURS EUROS A APPUYER DIRECTEMENT ET OUVERTEMENT LES REVOLUTIONNAIRES SYRIENS DES LE DEBUT ! D TRUMP LES AVAIT BIEN TANCE DE DELIER LEURS BOURSES vs LES DEPENSES MILITAIRES /L'OTAN ! VOILA LE RESULTAT: UN TYRAN PLUS TYRAN QUE JAMAIS, UN NEO OTTOMAN QUI LES NARGUENT, UN PUTIN QUI POSE SES FESSES MAIS DIPLOMATIQUEMENT SUR LEURS TETES.
Gaby SIOUFI
17 h 30, le 05 mars 2020