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Culture - Théâtre

Fragments d’un discours amoureux, libre mais non libertin...

La troupe Zoukak présente, ce soir en son studio à la Quarantaine, une pièce taillée à la mesure des intermittences du cœur...

D’une œillade à un corps-à-corps vertigineux… Photo Marianne Korbani

Six acteurs dirigés par Maya Zbib incarnent Fi ayn el-qalb : machrouh al-hob (« Avec les yeux du cœur : le projet de l’amour »). Sans tabous, en toutes franches audace et sincérité, une mise à nu du cœur et des corps, tous sexes littéralement confondus, pour le frisson mais avec du sentiment…

Sur une scène nue, mis à part un panneau en verre opaque, un pan de bibliothèque où sont exposés vases et livres ainsi que quelques chaises en plastique placées face au public, six jeunes garçons et filles, en jeans et t-shirts, ouvrent toutes grandes les fenêtres sur les rapports des femmes et des hommes… Sans craindre d’aborder les désirs pour le même sexe.

Gestuelle bien rodée et voix posée pour parler de la quête du bonheur, de la force du plaisir, de l’épanouissement, de l’identité et de l’orientation sexuelle. En toute liberté et décontraction.


(Pour mémoire : « Avoir un petit espace de parole libre, c’est déjà une révolution dans ce pays »)



Les petits papiers…

Tout commence par la lecture de petits papiers par les acteurs qui se distribuent les rôles des récitants. Courrier nourri déversé dans la boîte aux lettres d’un Cupidon censé envoyer et réceptionner des flèches aux inconnus qui se croisent… Courrier de toutes couleurs et de tous poils, entre plainte, complainte, déclaration ou doléance, lu à voix haute. Pour traduire les émois et les sensibilités chatouillées des amoureux, des amants, des amantes, des couples, sans différenciation de sexe à travers une banalisation sans interdit de tout comportement sexuel et amoureux… Comme une fatalité qui tombe sur la tête. Car choisit-on vraiment ceux que l’on aime ou que l’on désire ? Et « en aveugle je me livre au destin » disait ce vers racinien…

Sur un ton plein d’humour, d’entrain, d’irrévérence (tant il est vrai irrévérence et nudité du corps et des cœurs ont de drôles d’intimité!) parfois enrobé d’un grain de tristesse, caché sous une ironie sans méchanceté, c’est un large kaléidoscope qui, par un mouvement giratoire, embrasse l’universel de la texture et tessiture humaines.

Et brusquement ces lectures engendrent une série d’historiettes, tableaux et saynètes se succédant habilement sur le fil conducteur des battements de cœur pour évoquer des personnages en situation d’amour. Et c’est là que ce manège de 80 minutes (un peu long et répétitif) prend de l’ampleur et pique la curiosité. Pour des spectateurs attentifs à ce déballage parfois cru, amusant mais jamais vulgaire, tant il est imprévisible et ramené avec finesse. Tout comme le paradoxe de la complexité humaine. Déballage donc de paroles, de surprises, de retournements de situation, d’unions et de désunions, de rencontres, de faux pas, d’absences...

Les premières approches, les coups de foudre, les ruptures, les ménages qui cherchent la sédentarité, ceux qui sont plus instables et volages, les hommes qui courent les jupons, les filles d’Ève chasseresses de mâles timorés, les femmes qui aiment les femmes, les garçons qui en pincent pour d’autres garçons, les conjoints qui ne sont pas sûrs de vouloir un enfant, d’autres qui ne veulent que cela… Facette immense et à débattre sur cette vie humaine qui fourmille et grouille comme un panier à crabes où chacun veut son espace de quiétude, de paix, d’harmonie. Sans morsure ni dégâts…


Gaieté, légèreté, témoignage...

Une fête où tous les sens sont invités, d’une bonne chère à un bon moment au lit, d’une œillade à un corps-à-corps vertigineux… Une fête pas forcément païenne, car c’est une enfant de la vie, qui fait tourner la tête et le sang de tous les mortels. Personne n’échappe à cette loi ! Tout cela est dit, mis en scène et en situation, sans provocation aucune, avec un naturel désarmant, sur un tempo tout en rondeur diablement mené. Débit infernal et accéléré pour un ton plaisant et plaisantin alliant petite satire, gaieté, légèreté, témoignage et un nuage de gravité, sans jamais s’appesantir, comme pour se protéger, sur les désastres et les dérapages de la chose… La conclusion est sympathique mais un peu naïve. Se tenir debout et regarder son voisin ou sa voisine (selon la chance et le hasard), les yeux dans les yeux, s’imbiber de l’autre, sentir le fluide monter et laisser faire la chimie… Et puis faire un mouvement et passer à la danse. Ce qui fut fait, avec le sourire et une trombe d’applaudissements où public et acteurs étaient au plus proche les uns des autres…

Un spectacle interactif, inédit et inhabituel par sa frivolité mais aussi l’audace (mais ça on connaît déjà pour cette troupe iconoclaste qui ne recule devant rien !) de Zoukak qui ne renonce jamais à la notion de l’engagement, ligne de conduite de ses créations dramaturgiques. Un spectacle sans grande envergure au niveau littéraire du texte ou des trouvailles scéniques, mais qui a emprunté quand même, avec malice et douceur, loin de toute hypocrisie, un discours hors normes, guère guindé ou restrictif. Surtout dans une région à l’ouverture d’esprit controversée et douteuse. Pour une défense sans discrimination des droits de tous au bonheur. Et c’est le théâtre, voix amplificatrice de la cité, qui le clame bien haut !

« Fi ayn el qalb : machrouh al-hob » (« Avec les yeux du cœur : le projet de l’amour »), dernière représentation ce soir samedi 22 février, à 20h30, au Studio Zoukak, à la Quarantaine.

Fiche technique

Metteuse en scène : Maya Zbib

Acteurs : Lamia Abi Azar, Junaid Sarieddine, Nasri el-Sayegh, Maya Zbib, Loueloua Ghandour

Scénographie : Nathalie Harb

Éclairage et direction technique : Nadim Daebes

Ingénieur du son : Georges Abou Zeid

À noter que cette production a été développée partiellement lors d’une résidence à La Mama Umbria (Spoleto) pour la réception de la récompense internationale Ellen Stewart et a été présentée en Italie les 9 et 10 juillet 2019.


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