Le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, Peter Germanos, devrait présenter aujourd’hui sa demande de démission à la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, s’il s’en tient à ce qu’il avait annoncé vendredi à l’Agence nationale de l’information (ANI). Même si le magistrat, qui était injoignable hier, a évoqué des raisons « purement familiales », sans aucun lien, selon lui, avec le fait qu’il n’avait pas été convié à la réunion du Conseil supérieur de la défense tenue le jour même à Baabda pour débattre des mesures de sécurité à prendre face au mouvement de contestation, des interrogations se posent sur les réels motifs de sa volonté de se décharger de ses fonctions.
M. Germanos avait été nommé en octobre 2017 à ce poste considéré comme très sensible car compétent dans les délits et crimes commis contre les intérêts de l’armée et ceux des Forces de sécurité intérieure, de la Sûreté générale et de la Sûreté de l’État. Le tribunal militaire au sein duquel il œuvre fait depuis des années l’objet de critiques de la part d’associations des droits de l’homme, qui estiment que cette juridiction ne doit pas juger des civils accusés de violences contre des agents de l’ordre. Jeudi, la veille du jour où M. Germanos a fait part de son intention de démissionner, Human Rights Watch avait fustigé le fait que des manifestants ont été traduits devant le tribunal militaire. Dans l’entourage du magistrat, on a alors réagi en affirmant que les deux seuls cas où des civils ont été arrêtés par ce tribunal sont celui où un militaire a failli être tué lorsqu’il a été agressé avec une arme tranchante, ainsi que l’affaire d’un lancement de cocktails Molotov contre des éléments de la troupe à Tripoli. Ces sources affirment que de manière générale, le commissaire du gouvernement n’était pas enclin à rabrouer les contestataires, jugeant que la cause du mouvement est légitime. Dans ces milieux, on indique que M. Germanos aurait même été fustigé par la classe dirigeante, qui exerçait sur lui des pressions pour le pousser à engager davantage de poursuites en vue de sanctionner les actes commis. Sa réticence présumée à coopérer avec les appareils sécuritaires et militaires pour réprimer le mouvement de contestation serait-elle une des raisons de son départ pressenti ? Aucune réponse n’a pour l’instant été fournie, sachant toutefois qu’un proche du pouvoir affirme à L’Orient-Le Jour que « Peter Germanos n’a pas pris des mesures contre les révolutionnaires, plus précisément contre les casseurs ». « Contrairement à d’autres ministères publics, comme le parquet de cassation, il ne s’est pas impliqué contre le saccage de biens publics et privés et l’attaque contre les forces de l’ordre, jugés pourtant comme des crimes dangereux. »
Unanimité
Selon ce responsable, la nomination de M. Germanos à son poste avait fait l’unanimité de toutes les forces politiques, après avoir été proposée de concert par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et le ministre de la Justice de l’époque Salim Jreissati. Mais depuis, le juge fait l’objet de controverses dans plusieurs affaires, qui lui ont donné « le sentiment d’être délaissé de toutes parts et de ne pas être soutenu par le ministère de tutelle et par ses pairs ». Selon ce responsable, « Peter Germanos aurait pensé à démissionner il y a quelques mois déjà ».
Le commissaire du gouvernement avait notamment été accusé d’avoir trempé dans une affaire de corruption liée à un courtier qui aurait agi comme intermédiaire entre lui et certains accusés. « En juin dernier, le conseil de discipline avait ouvert une enquête à ce sujet, et le courtier, Joseph Azar, l’avait accusé de recevoir des gratifications », rapporte le responsable interrogé, affirmant que « durant son procès disciplinaire, le juge avait vu son avancement retardé de plusieurs mois, mais il y a quelques jours, le conseil a émis une décision le blanchissant faute de preuves ».
En juillet 2019, suite à une demande de l’ancien ministre de la Défense Élias Bou Saab, qui reprochait au tribunal militaire de garder en suspens une affaire de pots-de-vin payés à des officiers de l’armée pour faire entrer des élèves à l’École militaire, l’ancien ministre de la Justice Albert Serhane a déféré le dossier devant l’Inspection judiciaire. Selon une source interrogée, ce service n’aurait toujours pas entendu l’adjoint de M. Germanos, Hani Hilmi Hajjar, suspecté de couvrir l’un des officiers accusés, alors que M. Germanos lui-même requiert l’arrestation de cet officier, sur base de 19 millions de dollars trouvés dans son compte.
Un autre dossier qui avait suscité la controverse autour de M. Germanos est celui de Suzanne el-Hajj, ancienne directrice du bureau de lutte contre la cybercriminalité au sein des FSI, arrêtée en mars 2018 pour falsification de preuves en vue d’accuser un acteur, Ziad Itani, d’espionnage en faveur d’Israël. Après avoir requis des poursuites à l’encontre de Mme Hajj, le commissaire du gouvernement a par la suite demandé lui-même qu’elle soit innocentée, ou plutôt considérée comme « un observateur », favorisant une décision de mise en liberté émise le 30 mai dernier par le président du tribunal militaire, Hussein Abdallah. Cette décision avait toutefois fait l’objet d’un pourvoi auprès de la Cour de cassation, qui n’a pas encore rendu son arrêt.
En avril 2019, le magistrat avait par ailleurs eu maille à partir avec la branche des renseignements au sein des FSI (pro-Hariri), l’accusant de « rébellion » contre son autorité. Il avait estimé à cet égard qu’en sa qualité de police judiciaire, ce service doit agir selon ses instructions et sous son contrôle, et non le contraire, lui reprochant notamment de « divulguer des informations sur le contenu d’enquêtes préliminaires et de modifier et déformer ces enquêtes ».
Notons sur un tout autre plan que M. Germanos avait à deux reprises, en mars 2019 et en janvier dernier, refusé de délivrer des mandats d’arrêt contre des militaires accusés d’homosexualité, deux décisions sans précédent dans la justice militaire.
Ce n'est que le début des démissions...
22 h 16, le 11 février 2020