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Monde - Diplomatie

Libye, Méditerranée : Paris multiplie les charges contre Ankara

Le président français, Emmanuel Macron, le 29 janvier à l’Élysée. Benoît Tessier/Pool/Reuters

La France est montée en première ligne en Europe face aux ambitions régionales de la Turquie, affichant dans la foulée ses moyens militaires en Méditerranée orientale, potentiel foyer de fortes tensions entre de nombreux pays de la région. Recevant mercredi le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, le président Emmanuel Macron a dénoncé « les intrusions et provocations » d’Ankara en Méditerranée orientale, où les gisements d’hydrocarbures attisent les rivalités entre les deux pays mais électrisent aussi Israël, le Liban, l’Égypte et Chypre.

M. Macron a annoncé un prochain renforcement de la présence navale française dans la zone afin d’« assurer la pleine sécurité d’une région stratégique pour l’Europe ». Anticipant ce renforcement, le porte-avions français Charles-de-Gaulle est arrivé jeudi en Méditerranée orientale, officiellement pour appuyer les opérations antijihadistes en Syrie et en Irak. La veille, le bâtiment français repérait une frégate turque qui escortait un cargo chargé de blindés de transport de troupes à destination de Tripoli.

Au même moment, Emmanuel Macron dénonçait une nouvelle fois l’ingérence turque dans le conflit libyen en « contravention explicite » avec les engagements pris par Ankara à la conférence de Berlin sur la Libye le 19 janvier dernier.

La France avait déjà haussé le ton contre Ankara lors de l’offensive turque en octobre contre la milice kurde des YPG, alliée des Occidentaux dans la lutte antiterroriste en Syrie, et au sommet de l’OTAN, dont la Turquie est membre, à Londres en décembre.

« Réaction plus qu’action »

« Il faut à un moment donné, face à un régime qui ne voit plus de limites à son action, dire stop », estime Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’Union européenne en Turquie et chercheur au cercle de réflexion Carnegie Europe à Bruxelles. « C’est facile à faire politiquement, c’est ce qui vient d’être fait à Paris. Évidemment, sur le terrain, c’est infiniment plus compliqué (...) Mais seul le langage de force est compris à Ankara », analyse-t-il.

La France, engagée sur de multiples fronts et contrainte budgétairement, est « à la limite de ses capacités d’action maritime », prévenait en novembre le chef d’état-major français, le général François Lecointre, lors d’une audition parlementaire. Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut européen Thomas More, Paris est « plus dans la réaction que l’action face à la poussée turque et russe » en Libye.

Ces derniers mois, Ankara et Moscou ont pris l’ascendant dans la crise libyenne par mercenaires interposés, entre Russes de la force Wagner d’un côté et rebelles syriens proturcs de l’autre. La Russie soutient l’homme fort de l’Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar, au côté des Émirats arabes unis, de l’Égypte et de l’Arabie saoudite. Dans un parfait miroir des rivalités régionales, la Turquie a volé au secours du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj à Tripoli, reconnu par l’ONU, en difficulté face à l’offensive du maréchal sur la capitale.

Quid de l’unité européenne ?

Entre ces deux fronts, les Européens apparaissent divisés, la France restant soupçonnée, malgré ses dénégations, de soutenir le maréchal Haftar. Une suspicion renforcée par sa charge contre la seule Turquie, sans un mot sur le camp d’en face tout autant soupçonné de violer l’embargo sur les armes.

« Là il y a le porte-avions qui passe, c’est l’occasion de faire une démonstration de force, de puissance. Mais y aura-t-il une véritable politique d’ensemble qui ne se réduise pas à des coups de menton, des prises de parole? » s’interroge Jean-Sylvestre Mongrenier. « Ce qui compte, c’est l’unité de l’Europe. Et pour l’heure, nous avons deux approches différentes, ce n’est pas bon », déplore Marc Pierini. Il pointe une chancelière allemande Angela Merkel qui « fait ami-ami avec le président turc » Recep Tayyip Erdogan, afin de contenir le flux de réfugiés vers l’Europe, et un président français qui « fait le contraire ».

Les tensions en Méditerranée orientale se sont accentuées avec la conclusion fin novembre d’un accord controversé entre Ankara et le GNA qui permet à la Turquie de faire valoir des droits sur de vastes zones maritimes riches en hydrocarbures, au grand dam de la Grèce, de l’Égypte, de Chypre et d’Israël. Avec ces multiples ingérences, « la crise libyenne s’étend sur l’ensemble de la Méditerranée », constate François Heisbourg, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris. « La France prend parti entre deux membres de l’OTAN pour la Grèce, qui menace d’utiliser son veto si l’UE adopte des mesures hostiles à Haftar et favorables à Tripoli. Ce n’est pas une petite affaire », souligne l’expert.

Daphné BENOIT et Valérie LEROUX/AFP

La France est montée en première ligne en Europe face aux ambitions régionales de la Turquie, affichant dans la foulée ses moyens militaires en Méditerranée orientale, potentiel foyer de fortes tensions entre de nombreux pays de la région. Recevant mercredi le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, le président Emmanuel Macron a dénoncé « les intrusions et provocations »...

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