Ayam Serious : sérieux, badinage et anonymat

Quand il est employé comme nom, le mot sérieux est synonyme de « l’état d’une personne qui ne rit pas, ne plaisante pas ». Mais quand il est employé en adjectif, il signifie : celui qui prend en considération ce qui mérite de l’être. C’est l’adjectif donc qui s’applique bien à Ayam Serious, car il est sérieux quant à son travail de communicant, mais aussi de plaisantin. Il manie la plaisanterie en se faisant aider par différents médiums qu’il maîtrise bien : cinéma, musique, vidéo. D’ailleurs, son statut sur sa page Facebook se résume en trois mots : blagues, vidéos et jeux de mots.

Un mixeur…

Lorsque la folie furieuse ou la folle furie de l’acteur Peter Finch dans le film Network de Sydney Lumet, sorti en 1977, rencontre des années plus tard la composition Mad as hell du musicien House Stan Kolev, et se mélangent grâce à la vision et la sensibilité d’un inconnu ; et qu’en 2019, dans une « thaoura » « made in Lebanon », un homme sans visage qui se fait appeler Ayam Serious trouve à juste titre que c’est le speech parfait qui s’adapte à une révolution, le résultat est parfait. En mixant cette musique et la colère de jeunes Libanais dans la rue, en images et en son, il réussit à en dégager un formidable coup de poing. Le même que celui de la « thaoura ».

Surprenant qu’un jeune homme de ce siècle connaisse ainsi le film de Sydney Lumet. Plus encore, qu’il connaisse cette scène anthologique qui a valu au comédien australo-britannique l’Oscar posthume en 1977 face à un non moins géant chauffeur de taxi Robert De Niro. Curieux d’en savoir plus, L’Orient-Le Jour décide de pousser plus loin les investigations. Contacté, Ayam Serious, qui n’en est pas à son premier travail, accepte de se soumettre aux questions tout en insistant sur son désir de rester dans l’anonymat. Il a cependant une page Facebook, et une autre sur Instagram où il poste des vidéos qui l’amusent et qui amusent.

Pour créer une page satirique empreinte d’humour et de sarcasme, avec parfois une pointe d’émotion, il fallait que ce dernier ait non seulement une culture très approfondie de toutes les disciplines artistiques, mais aussi avoir ce rire décalé qui fait son charme et l’intérêt de son travail. On découvre alors que ce diplômé en « Communications Arts-Radio/TV » faisait danser les platines et était DJ à ses heures perdues. Le sens de la communication, d’approcher l’autre, de le séduire et de l’appâter, Ayam le possède clairement pour avoir manipulé tellement et si bien la plaisanterie. Sa cible préférée a toujours été les émissions de télévision qui sont parfois, à ses yeux surtout, risibles et manquent de maturité professionnelle.

…et un plaisantin

Il confie que tout a commencé lorsqu’il assiste un soir à la promotion d’une série locale, un drame intitulé Metel Amar. Ayam Serious ne tient plus en place. « Il faut faire quelque chose, se dit-il. C’est trop ridicule » et lance sa première vidéo en créant simultanément sa page Instagram. La vidéo devient immédiatement virale.

« L’intérêt des autres pour mon travail m’a poussé à me prendre plus au sérieux. Depuis, j’essaye de sonder l’actualité et de mettre en évidence tout ce qui est risible et me hérisse le poil sans, cependant, m’attarder à un style en particulier. Tout comme les médias, je critiquais le système et dénonçais la corruption dans laquelle on évoluait. Sakker el-dekkeneh est une autre vidéo que je retrouvais sur les réseaux sociaux et qui m’avait choqué. Il fallait faire l’éclairage sur cette horrible vérité. »

Par ailleurs Ayam Serious est un des premiers sinon le premier à avoir utilisé la synchronisation labiale. « Je faisais chanter les gens de la politique, ce qui les amusait. Je me souviens que Saad Hariri et Paula Yacoubian ont partagé leurs vidéos, ravis. » Saad Hariri, Paula Yacoubian, mais aussi Samir Geagea, et surtout Gebran Bassil chantant le fameux Sorry Mama inspiré de Cleanin out my closet de Eminem. « Une blague, pense-t-il, a comme fonction à la fois de faire rire et d’offenser ; cela dépend du degré de susceptibilité de l’auditeur et de la personne concernée. Je réalise que je m’attire des ennuis de la part de ceux qui ne supportent pas beaucoup mes blagues, mais qu’importe. D’ailleurs mon compte Insta a déjà été fermé une fois et j’ai pu en créer un autre. Ceci ne m’empêche pas de continuer à le faire. »

Ayam Serious n’a visiblement peur de rien. La force de la parole ou de l’image vraie est ce qu’il y a de plus important pour lui. « D’ailleurs, dit-il, l’anonymat renforce leur impact. » Il ne faut donc pas croire que s’il a choisi de rester dans l’ombre, c’est par crainte des détracteurs. Au contraire… Celui qui badine avec l’actualité souvent cocasse et absurde fait preuve en agissant de la sorte d’une grande humilité devant un travail qu’il place avant tout.