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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Comment Moscou tente de fabriquer sa paix en Syrie

Les réunions entre les membres du comité constitutionnel syrien débutent aujourd’hui à Genève.

L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie Geir Pedersen, lors d’une conférence de presse, hier, à la veille des réunions entre les membres du comité constitutionnel syrien, à Genève. Fabrice Coffrini/AFP

Le militaire puis le politique. Depuis son intervention en Syrie en septembre 2015, la Russie a toujours profité de chaque avancée sur le terrain pour essayer de « vendre » sa solution politique à l’ensemble des acteurs impliqués dans le conflit. Le retrait des Américains du Nord-Est syrien et l’accord conclu la semaine dernière entre Ankara et Moscou sur le contrôle de la frontière turco-syrienne lui donnent une opportunité d’accélérer le processus.

Alors que les négociations politiques sont au point mort depuis des années, malgré les réunions régulières des trois parrains du conflit syrien à Astana (la Russie, l’Iran et la Turquie), l’ONU, avec l’aval de Moscou, tente de faire redémarrer la machine diplomatique via la formation d’un comité constitutionnel. C’est un moyen pour l’organe international d’essayer de relancer les pourparlers en contournant la question centrale de la transition du pouvoir inscrite dans la résolution 2254, pourtant adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité. « L’ONU tente de revenir dans le jeu diplomatique après avoir été marginalisée par les processus d’Astana et de Sotchi », rappelle Nicolas Appelt, de l’Université de Genève (Global Studies Institute). Contacté par L’Orient-Le Jour, le bureau de l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, n’a pas répondu à nos sollicitations.

Les premières réunions de ce comité, composé de représentants du pouvoir syrien et de l’opposition, devraient démarrer demain à Genève. Il sera chargé d’amender la Constitution de 2012 ou d’en rédiger une nouvelle. L’assemblée comprend 150 membres : 50 nommés par le gouvernement syrien, 50 par l’opposition et 50 représentant la société civile syrienne.

À partir de ce « groupe large », un plus petit de 45 membres – également répartis entre gouvernement, opposition et représentants de la société civile – est formé pour élaborer des propositions pour la future Constitution, à charge ensuite pour le « groupe large » de les adopter ou non. « La composition de l’actuel comité peut susciter quelques interrogations : se retrouvant en apparente position de force, le régime n’est-il pas enclin à choisir “sa” société civile, sinon “son” opposition ? » s’interroge Nicolas Appelt. De nombreuses voix au sein de l’opposition syrienne ont dénoncé ces dernières semaines la composition impartiale de ce comité, estimant qu’il s’agit clairement d’une majorité de deux contre un en faveur du régime. « Le groupe représentant la société civile est infiltré par le régime, c’est pourquoi il semble impossible d’obtenir une avancée que l’opposition puisse accepter », abonde Nawar Oliver, chercheur au centre Omran basé à Istanbul, contacté par L’OLJ.


(Pour mémoire : Constitution syrienne : simple révision ou nouveau texte ?)

Réécrire cent fois

L’ONU a mis deux ans pour parvenir à un accord, via les trois parrains, sur le choix des représentants. Et pour cause : Damas a tout fait pour faire capoter le processus, craignant de devoir accorder ne serait-ce qu’un semblant de pouvoir à l’opposition. C’est là tout le paradoxe de la situation : le régime n’a pas grand-chose à craindre de ce processus de paix, compte tenu du fait qu’il est orchestré par son parrain russe afin de renforcer sa légitimité et que, de toute façon, le changement de Constitution ne remet pas en question son pouvoir réel, mais il tient tout de même à en contrôler chacune des étapes. « Il ne va rien se passer, c’est un peu un carnaval », confie à L’OLJ un membre de la délégation du régime. « On peut changer cent fois la Constitution, le problème réside dans la réalité du pouvoir », estime pour sa part l’avocat et opposant syrien Anwar el-Bunni, également contacté. En Syrie, la réalité du pouvoir ne se reflète pas nécessairement dans les institutions. Un ministre qui n’a pas de lien direct avec le clan Assad a par exemple beaucoup moins de pouvoirs que quelqu’un qui occuperait un poste moins important mais qui ferait partie du clan. « La solution, c’est un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs et non pas une Constitution », estime Anwar al-Bunni.

Moscou a besoin de convertir ses gains militaires en victoires politiques. Autrement dit, il a besoin d’un processus qui soit suffisamment crédible pour être vendu aux différents acteurs sans toutefois remettre en question le maintien du régime au pouvoir. « Le processus politique est important pour la Russie car il rétablit effectivement la légitimité du gouvernement central syrien et annule ainsi tout projet géopolitique visant à renverser Assad », rappelle à L’OLJ Timur Akhmetov, expert de la Turquie au Russian International Relations Councils.

Les Kurdes à l’écart

« C’est une pièce de théâtre russe, et le régime doit y participer, tout comme l’opposition qui est poussée par la Turquie », estime de son côté un activiste syrien réfugié en Turquie. Ankara n’a pas commenté officiellement la relance des pourparlers, mais son rôle est essentiel en tant que caution de l’opposition. « La Turquie ne pousse pas l’opposition à faire des efforts dans ce processus, pas parce qu’elle ne veut pas, mais parce qu’elle a trop de choses sur le feu, entre les questions sécuritaires internes, mais aussi en Syrie à Idleb, à Afrine et à la frontière », explique néanmoins Nawar Oliver.

Les Kurdes, qui contrôlaient jusqu’au retrait américain près d’un tiers du territoire, sont pourtant exclus du comité constitutionnel. Des personnalités kurdes sont présentes sur les listes de l’opposition et de la société civile, mais l’administration semi-autonome kurde n’est pas représentée. La fin du Rojava et le retour de cette région dans le giron du régime, résultante de l’offensive turque, pourraient leur permettre, mais à travers le régime, de faire valoir certaines de leurs demandes.

Les Occidentaux, principal public de cette pièce de théâtre, espèrent que la rédaction d’une nouvelle Constitution pourra conduire à des élections inclusives permettant de mettre un terme au conflit. Ils conditionnent toute aide financière à la reconstruction du pays, à un arrêt des combats sur le terrain et à de réelles avancées politiques. Vont-ils aller jusqu’à « acheter » la paix russe?

« Le comité constitutionnel risque d’être plus que jamais une feuille de vigne pour la normalisation avec le régime syrien », confie à L’OLJ Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie. « Les Occidentaux ont perdu le contrôle de ce processus. Il leur est difficile de contester le leadership russe : feraient-ils connaître des exigences qu’on leur reprocherait de se substituer aux Syriens », conclut Michel Duclos.


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