Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

Le cœur du grand canyon saoudien à l’IMA

L’Institut du monde arabe propose au public de découvrir le patrimoine naturel et civilisationnel de la région d’Alula, en Arabie saoudite*.

Un mur à Tantora. Photo Commission royale pour Alula

Alors que l’Arabie saoudite est dans une démarche d’ouverture touristique, la nouvelle exposition de l’Institut du monde arabe offre un avant-goût des richesses d’une région construite autour d’une oasis, composée de palmeraies. « Alula est un grand et beau village pourvu de palmeraies et bénéficiant d’une eau particulière », écrivait déjà le voyageur Ibn Battuta au XIVe siècle. Sur fond de plateaux volcaniques, de plaines désertiques et de montagnes ocres, se sont succédé les royaumes de Dadan et de Lihyan et leur célèbre école de sculpture, le royaume de Nabatène et ses tombeaux rupestres majestueux, l’Empire romain, la civilisation de l’islam… Au fil de l’exposition, les images spectaculaires filmées par Yann Arthus-Bertrand accompagnent des vestiges archéologiques venus pour la première fois d’Arabie saoudite, dans le cadre d’une collaboration scientifique franco-saoudienne.

Leila Nehmé, commissaire de l’exposition avec Abdulrahman Alsuhaibani, évoque les étapes du travail archéologique qui a permis la réalisation du projet. Codirectrice de la mission archéologique de Madain Salih, un des grands sites de la région d’Alula, Leila Nehmé est franco-libanaise ; elle a vécu au Liban jusqu’au lycée, puis a fait des études d’archéologie à Paris, où elle a soutenu sa thèse sur Pétra, tout en se spécialisant en langues sémitiques anciennes à l’Institut catholique de Paris. « J’ai fait du grec, de l’hébreu, de l’araméen et de la grammaire sémitique comparée. Après ma thèse, j’ai fait une HDR (habilitation pour diriger des recherches) en épigraphie, j’ai donc la double casquette d’archéologue et d’épigraphiste », précise celle qui est partie pour la première fois sur un chantier archéologique en Syrie à l’âge de vingt ans. Après un contrat de recherche à Oxford, Leila Nehmé entre au CNRS, où elle travaille sur le Proche-Orient hellénistique et romain, avec un intérêt marqué pour l’évolution de l’écriture nabatéenne vers l’écriture arabe. « Je fais aussi beaucoup d’activités de terrain et j’organise des expéditions. Jusque dans les années 80, le district d’Alula a été très peu étudié, et c’était comme un rêve pour notre équipe d’explorer les différents sites, lorsque le ministère français des Affaires étrangères et le département des antiquités d’Arabie se sont associés pour organiser des fouilles d’envergure », ajoute l’archéologue, pleine d’élan.

Richesses naturelles et patrimoniales

L’exposition proposée au public est le fruit d’un an et demi de travail. « C’est très intéressant et c’est beaucoup de travail, entre la scénographie, le graphisme, les cartes, les cartels, le choix des objets, les assurances… L’exposition se déploie sur deux étages. Au rez-de-chaussée, on a voulu donner à voir le caractère grandiose de cette région si peu connue, qui ressemble au Grand Canyon, dans l’Arizona. Les survols de Yann Arthus-Bertrand permettent de prendre conscience de l’immensité des espaces : trois grands écrans favorisent une immersion du visiteur à grande échelle, dans un mélange de désert, de montagne, de grès rouge et de végétation (palmeraies, plantations, vergers…). On a aussi confectionné des herbiers, des études végétales et des enregistrements, pour rendre compte des bruitages de la palmeraie. On entend les insectes, les oiseaux, le bruissement du vent dans les feuilles : une sorte de paix végétale dans un environnement très minéral », poursuit l’épigraphiste.

La seconde partie de l’exposition s’articule autour trois sites. Le premier date du troisième millénaire avant Jésus-Christ : c’est l’ancienne ville d’Alula, près de Dadan (al-Khubayrah). Le deuxième date de l’époque nabatéenne et romaine, il s’agit de Hégra (aujourd’hui Madain Salih), premier site saoudien classé au patrimoine mondial de l’humanité en 2008. Et enfin al-Mabiyat, l’ancienne Qurh, dont l’activité commerciale prospère remonterait à l’ère pré-islamique, et qui est devenue par la suite une des plus fameuses stations sur les routes du pèlerinage, à l’ère islamique.

« Pour la première fois, on va pouvoir montrer un tombeau nabatéen entièrement reconstitué. À force de creuser dans la poussière, on a trouvé une tombe inviolée avec tous les sarcophages, les coffrages en bois... À Pétra, ce ne sont pas les mêmes conditions climatiques, on a bien les tombeaux, mais pas le matériel. Le climat de Madain Salih est sec, et on a pu retrouver en l’état du cuir, du tissu, des bouts de peau, des cheveux, la main d’un homme avec des ligaments séchés et une bague au doigt... On rend compte de la totalité du rite funéraire, on a même réalisé une animation filmée sur la manière de creuser un tombeau », souligne fièrement Leila Nehmé.

Les éléments exposés sont globalement le fruit de fouilles très récentes, ils proviennent directement des lieux de stockage de la mission, comme cette inscription latine découverte dans un fort romain, qui constituait la limite méridionale de l’Empire romain.

Au sein de la partie ottomane de l’exposition, se déploie la voie de chemin de fer empruntée par Lawrence d’Arabie, qui traverse la région d’Alula. « On a retrouvé un morceau de rail chez un collectionneur privé. Le chemin de fer a été inauguré en 1908 et abandonné en 1924. À l’origine, il devait relier Damas et La Mecque, mais il s’est arrêté à Médine et n’est jamais allé plus loin. Des cartes et des photos font revivre ce train mythique, ainsi que des objets retrouvés dans un musée local : la casquette du chef de gare, des tickets, de vieux instruments de communication comme le télégraphe de l’époque... » précise la curatrice de l’exposition.

Le parcours se termine par des interviews de Saoudiens, qui sont actifs dans des domaines spécifiques comme l’élevage de dromadaires, d’abeilles, la culture des palmiers dattiers, l’entretien des palmeraies… « La région d’Alula n’est absolument pas touristique pour l’instant, et les jeunes aimeraient partager leur patrimoine avec le reste du monde, ils doivent apprendre à raconter leur histoire », conclut Leila Nehmé.

Quelques étudiants saoudiens qui font leurs études en France dans le secteur du tourisme, de la restauration ou de l’archéologie seront présents pendant l’exposition, ils iront à la rencontre des visiteurs pour échanger avec eux.

*Jusqu’au 19 janvier 2020.

Alors que l’Arabie saoudite est dans une démarche d’ouverture touristique, la nouvelle exposition de l’Institut du monde arabe offre un avant-goût des richesses d’une région construite autour d’une oasis, composée de palmeraies. « Alula est un grand et beau village pourvu de palmeraies et bénéficiant d’une eau particulière », écrivait déjà le voyageur Ibn Battuta...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut